Bolivie : découverte d'un écrin chamanique vieux de mille ans

L'écrin à rituels en museau de renard contient les plus anciennes preuves de consommation de l'ayahuasca.

De Erin Blakemore
Publication 9 mai 2019, 11:01 CEST

Un petit étui fabriqué à partir de trois museaux de renards soigneusement cousus pourrait bien contenir la plus vieille preuve archéologique liée à la consommation d'ayahuasca, une mixture à base de plantes psychoactives préparée par les peuples autochtones du bassin amazonien qui provoque de puissantes hallucinations.

L'étui était probablement celui d'un chamane qui opérait dans la région de l'actuelle Bolivie du sud-ouest il y a environ mille ans, selon José Capriles, anthropologue à l'université d'État de Pennsylvanie et auteur d'un article consacré à la découverte paru dans le journal PNAS.

Capriles a trouvé la pochette (et son contenu psychédélique) au cours d'une campagne de fouilles archéologiques menée sur le site de Cueva del Chileno, un abri sous roche qui présente des signes d'activité humaine datant de 4 000 ans.

La grotte était utilisée autrefois comme tombeau et bien que des pilleurs aient déjà récupéré les corps, ils ont laissé derrière eux ce qu'ils considéraient sûrement sans intérêt : des perles, des touffes de cheveux humains et une chaussure en cuir ou plutôt, ce que Capriles avait identifié comme tels.

Cette chaussure s'est en fait révélée être un véritable trésor archéologique : une sacoche en cuir contenant tous les accessoires nécessaires à un rituel dont l'étui en museau de renard, un bandeau décoré, de petites spatules en os de lama, un petit tube sculpté et des petites plateformes en bois destinées à l'inhalation de substances. Une datation au carbone 14 de la surface de la sacoche en cuir a permis d'estimer sa période d'utilisation entre 900 et 1700.

 

DE NOMBREUSES SUBSTANCES PSYCHOACTIVES

Capriles et son équipe internationale de chercheurs n'ont pas pu identifier avec certitude l'ensemble des  restes de plantes séchées contenus dans la sacoche. Toutefois, en se demandant quelles autres plantes le chamane pouvait bien avoir dans sa trousse, les chercheurs ont décidé de tester l'empreinte chimique de l'étui en museau de renard et de la comparer à diverses plantes.

Une analyse qui a révélé de nombreuses traces de substances psychoactives comme la bufoténine, la benzoylecgonine (BZE), la cocaïne (probablement laissée par des feuilles de coca), la diméthyltryptamine (DMT), l'harmine et peut-être la psilocine, composant chimique des champignons hallucinogènes.

Le propriétaire de cet étui devait être féru de voyage ou en contact avec un vaste réseau d'échange puisque les plantes qui ont un jour séjourné dans son étui ne sont pas toutes natives de Bolivie du sud-ouest. L'harmine est présente en grande quantité dans les plantes composant l'ayahuasca que l'on trouve dans les régions tropicales du nord de l'Amérique du Sud, à des centaines de kilomètres. Par ailleurs, l'équipe pense que la DMT proviendrait de la chacruna, une plante des basses terres amazoniennes. « Cette personne parcourait de longues distances ou avait des contacts pour qui c'était le cas, » indique Capriles.

Un guérisseur offre l'ayahuasca pendant un rituel de guérison en Colombie. La découverte de la grotte ...
Un guérisseur offre l'ayahuasca pendant un rituel de guérison en Colombie. La découverte de la grotte bolivienne constitue à ce jour le plus ancien témoignage de consommation d'ayahuasca.
PHOTOGRAPHIE DE Eitan Abramovich, AFP, Getty

Le chamane présumé devait également avoir accès à de puissantes expériences psychédéliques, a priori grâce à une combinaison d'harmine et de DMT. Les plantes du genre Banisteriopsis contenant l'harmine sont le principal ingrédient de la recette actuelle de l'ayahuasca et elles sont souvent associées au DMT contenu dans les plantes Psychotria virides, ou chacruna en Quechua. Ces deux substances interagissent et provoquent d'intenses hallucinations précédées de nausées et de vomissements.

 

UNE PERSPECTIVE TEMPORELLE PROFONDE

Bien que l'ayahuasca soit aujourd'hui considérée comme une antique préparation, les âges véritables du breuvage et du rituel sont contestés. La découverte de Capriles peut être considérée comme la preuve la plus ancienne de consommation d'ayahuasca, mais il n'est pas possible de prouver que le chamane de Cueva del Chileno préparait réellement cette mixture à partir des ingrédients décelés dans l'étui.

Les préparations modernes de l'ayahuasca « sont idiosyncratiques, » souligne Dennis McKenna, ethnopharmacologue spécialiste des plantes hallucinogènes et organisateur de séjours dédiés à l'expériences de l'ayahuasca. « Chaque chamane a sa propre recette. » Il est toutefois d'accord sur le fait que les substances décelées dans l'étui de la Cueva del Chileno pourraient avoir été utilisées pour préparer l'ayahuasca.

« Selon certains, l'ayahuasca est un breuvage relativement récent, » nous informe Scott Fitzpatrick, archéologue à l'université d'Oregon non impliqué dans la recherche. « Le rituel de l'ayahuasca a désormais une perspective temporelle profonde. »

Aujourd'hui, l'ayahuasca jouit d'une certaine popularité. Ses effets psychédéliques et ses potentielles vertus psychiatriques pour les patients souffrant de troubles de l'humeur ou de maladies alimentent la demande en Amérique du Sud comme aux États-Unis, où les chamanes conduisent des rituels ayahuasca pour les praticiens curieux.

 

DES EXPÉRIENCES HORS DU COMMUN

Capriles admet que la découverte pourrait très bien être utilisée à l'heure actuelle pour faire la promotion des rituels ayahuasca auprès des touristes, mais il insiste sur la nature sacrée du travail des chamanes. « À travers leurs expériences hallucinatoires, ces personnes ne cherchaient pas qu'à se divertir, » ajoute-t-il.

De la même façon, le nécessaire à rituels n'a pas été laissé dans la grotte par hasard. « Nous pensons qu'il a été déposé intentionnellement, » poursuit-il. « C'est un phénomène courant dans les lieux chargés d'histoire rituelle. »

Les utilisateurs modernes ne s'essaient pas à cette mixture pour des raisons spirituelles, précise McKenna. « Elle est utilisée très différemment aujourd'hui, pas forcément d'une mauvaise façon, mais tout simplement d'une façon différente. »

Pour McKenna qui a consacré plusieurs années à l'étude et l'échantillonnage de l'ayahuasca, il existe des points communs entre les anciens guérisseurs et les actuels adeptes d'expérience psychédélique puissante. « Lorsque j'utilise ces substances, je suis vraiment époustouflé par mon expérience, raconte-t-il, et ils devaient l'être aussi. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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