Origami : un art ancestral à l’épreuve du temps
La pratique du pliage de papier, autrefois très confidentielle, est désormais enseignée à un large public.
Grue blanche réalisée en origami, photographiée sur fond noir.
Originaire de Chine et introduite au Japon au 17e siècle par des moines bouddhistes, cette pratique, qui consiste à plier une feuille de papier sans la couper, est connue sous son nom japonais « Origami », du verbe japonais « oru» (plier) et du mot « Kami » (papier). En traversant les âges, la pratique s’est démocratisée. Arrivée en Europe au cours du 18e siècle, cet art du pliage est devenu une activité artistique très prisée.
À la Maison de la culture du Japon à Paris, Michel Charbonnier, l’un des grands spécialistes français de l’origami transmet sa passion et enseigne la technique de pliage de papier au sein d’ateliers ludiques destinés tant aux enfants, dès 8 ans, qu’aux adultes. C’est dans le cadre d’un de ces ateliers que nous l’avons rencontré.
Michel Charbonnier
Merci de nous recevoir et de nous permettre d'assister à l'un de vos cours pour observer les techniques de pliage.
Il est important de préciser que je ne suis pas professeur. Je ne donne donc pas de cours, mais j’enseigne une discipline dans des ateliers d’initiation à l’art de l’origami. Aujourd’hui je reçois des enfants d’un centre de loisirs que je ne connais pas encore mais je pense qu’ils ont entre 8 et 10 ans.
L’âge idéal est entre 8 et 12 ans. Dès 8 ans, un enfant est capable de reproduire des gestes que lui indique un adulte et de comprendre les termes simples de géométrie auquel l’art du pliage fait appel. À cet âge l’enfant est réceptif à la créativité et au côté ludique de cette activité et pour les plus jeunes, la concentration nécessaire à la précision du geste les canalise. Après 12 ans, ils entrent dans l’adolescence, leurs préoccupations changent et ils sont moins intéressés. Cependant, il arrive que certains jeunes adultes ayant suivi mes ateliers quelques années auparavant, reviennent. On peut dire que c’est une activité plutôt appréciée.
Vous nous confirmez que cet art japonais trouve ses origines en Chine et était réservé aux cérémonies religieuses ?
Effectivement, c’est en chine qu’a été inventé le papier et c’est un moine bouddhiste coréen qui amené le papier et l’origami au Japon. Et les japonais ont l’habitude, lorsqu’ils font une découverte qui les intéressent, de se l’accaparer et de l’améliorer. Et aujourd’hui, il faut le dire, les plus beaux papiers du monde sont faits par des japonais. En effet, d’abord réservés à l’élite pour son caractère précieux et utilisés lors des cérémonies religieuses pour des offrandes aux dieux dans les temples, ils ont ensuite trouvé une destination plus utilitaire. Par exemple, en commençant par la fabrication de petits objets en papier pour la pharmacie, des petits pliages réalisés dans une unique feuille aboutissant à la réalisation de petits récipients pour les poudres avec couvercle et petit bec, qui s’ouvrent et se ferment parfaitement.
Au 18e siècle, l’Europe découvre l’origami. À partir de quand a-t-il suscité l’intérêt du public en France jusqu’à devenir une activité artistique plutôt courue ?
Personnellement, quand j’ai découvert l’origami c’était plutôt confidentiel et les débuts étaient même très timides. Cette pratique était considérée comme une activité simple et naïve destinée aux enfants. Il est vrai que les premiers pliages se résumaient à réaliser un avion qui vole et des cocottes en papier, puis sont venus les bateaux, les grenouilles sauteuses, et les grues. Aujourd’hui, les pliages sont plus élaborés et certains artistes réalisent de véritables œuvres d’art que le grand public prend pour de véritables sculptures sans imaginer que c’est du papier. Et les réalisations peuvent être infiniment petites ou infiniment grandes.
Comment êtes-vous venu à cet art et comment vous êtes-vous formé ?
J’ai commencé ma carrière professionnelle dans un tout autre domaine, j’étais cadre dans le milieu pharmaceutique. Mais je suis très indépendant et je ne m’y retrouvais pas. Mon intérêt pour l’origami s’est transformé en passion et je me suis dit que l’idéal serait d’en faire mon métier. Voilà comment tout a commencé. Les cours d’origami n’existant pas dans ma jeunesse, j’étais totalement autodidacte. Puis j’ai rencontré Jean-Claude Correia, qui a créé une association pour promouvoir l’origami comme expression artistique.
C’est ainsi qu’est né le Mouvement français des plieurs de papier (MFPP) en 1978. Nous nous réunissions une fois par semaine dans son atelier et nous nous entraînions ensemble. Cette association nous a permis de rencontrer d’autres créateurs tout aussi passionnés que nous et d’avancer dans nos recherches et dans les techniques de pliage. J’ai aussi eu la chance d’évoluer auprès de mon ami Éric Joisel, artiste reconnu comme un expert au Japon qui réalisait de véritables œuvres d’art. Il a quitté ce monde bien trop tôt et il mérite les hommages qui lui sont rendus.
Pliage représentant le vieux roi, assis sur son trône. Cet origami de 46 cm est réalisé par pliage d'une seule feuille de papier. Le trône et son socle sont en bois recouvert de papier. Papier bamboo/kozo 90 grs corean, MC+WF. Création d'Éric Joisel
Dans son numéro de février, le magazine National Geographic publie un grand dossier sur l’origami qui ouvre de nouvelles voies dans le domaine de la science et de la recherche.
Absolument ! Il y a quelques années, nous avons travaillé sur un projet ambitieux : la création d’une voile solaire pour Ariane. Nous avons trouvé le pliage de cette voile assez facilement en ayant recours à l’art et la manière que nous maitrisions déjà pour créer des cartes routières qui se déploient d’un seul coup. Malheureusement, pour des raisons financières le projet n’a pas abouti. Deux ans plus tard les Japonais ont publié le même pliage, sans surprise pour nous puisque c’est purement et simplement de la géométrie.
Vous avez également réalisé des luminaires. Vous les commercialisez toujours ?
Effectivement, pendant plusieurs années j’ai créé une collection de lampes en origami que je vendais dans ma boutique au Forum des Halles. Mais cette boutique n’existe plus, je me consacre désormais aux ateliers et à quelques conférences et démonstrations.
Lampe "Kochab" de 60 cm en pliage "accordéon". Motif en spirale parallèle au bord supérieur. "Kochab" appartient à la constellation de la Petite Ourse (magnitude 2,2)
Avez-vous rencontré des artistes japonais ?
J'ai eu la chance de rencontrer Akira Yoshizawa, un artiste au sommet de son art, un maître en origami élevé au rang de Trésor national vivant au Japon.
Les pliages que vous enseignez sont-ils difficiles à réaliser pour des néophytes ?
Avec les enfants, on démarre avec les basiques faciles : l’oiseau, la grenouille sauteuse (ndlr : les deux pliages - pas si simples -, réalisés par les enfants ce jour-là), la fameuse cocotte, la grue… et certains adultes me demandent les mêmes pliages car ce sont ceux de leur enfance.
La grue est un origami devenu très populaire, symbole de la paix au Japon, associé à Sadako Sasaki, une jeune japonaise atteinte d’une leucémie après avoir été exposée aux rayons de la bombe atomique d’Hiroshima. Elle entendit parler de la légende des mille grues qui assurait que « Quiconque plie mille grues de papier verra son vœu exaucé », et se mit à plier ces mille grues dans l’espoir de guérir. Malheureusement elle n’a pas survécu. Ses camarades de classe décidèrent de plier à sa place les grues manquantes et d’en faire une guirlande avec laquelle elle fut inhumée. Une statue représentant la jeune fille se tenant les mains ouvertes sur un vol de grues fut érigée dans le parc de la paix d’Hiroshima et la statue est constamment ornée de milliers de grues de papier. C’est une belle histoire, devenue emblème de la paix mais aussi de l’origami.