Changement climatique : ce qui attend la biodiversité marine
Une équipe internationale de chercheurs est parvenue, grâce à un modèle numérique inédit, à prédire un an à l’avance les effets attendus du dérèglement climatique sur la biodiversité marine.
Les programmes d’observation de la biodiversité marine couvrent aujourd'hui une très faible superficie des océans et prennent le plus souvent place dans des régions proches des côtes. Difficile donc de déterminer l’évolution de cette biodiversité présente dans l'eau qui recouvre 70 % de la surface de notre planète. C’est pourtant ce qu’a réalisé une équipe internationale de chercheurs, menée par des scientifiques du CNRS.
Ils ont mis au point un programme mathématique et informatique qui, une fois intégré au puissant calculateur du Laboratoire d’Océanologie et de Géoscience du CNRS, a permis aux chercheurs « de quantifier la force et l’étendue spatiale de ces changements biologiques. Ils ont mis en évidence une augmentation récente et sans précédent des "surprises climatiques", probablement à attribuer au phénomène El Niño, aux anomalies thermiques de l’Atlantique et du Pacifique et au réchauffement de l’Arctique » révèle un communiqué publié par le CNRS.
COMMENT CELA FONCTIONNE ?
La biodiversité marine compterait un peu plus de deux millions d’espèces mais la communauté scientifique n’en a décrit pour l’heure que 200 000, soit « seulement » 10 %. De plus, elle ne connaît que peu de choses sur leur biologie. Pour pallier ce manque de données, Grégory Beaugrand, directeur de recherche au Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences du CNRS et son équipe ont imaginé des espèces fictives et théoriques répondant aux principes biologiques fondamentaux connus « qui gouvernent l’organisation des espèces et de la biodiversité ».
Ces espèces ont été élaborées au Laboratoire d’Océanilogie et de Géoscience depuis 2008 et ont permis de poser les bases de ce modèle. « Nous avons estimé la sensibilité de l’ensemble des espèces marines aux changements climatiques en étudiant les réponses de ces communautés théoriques à une augmentation homogène des températures. [En procédant de cette manière] il est alors possible de relier, pour une région donnée, la sensibilité des communautés à leurs propriétés intrinsèques » précise Grégory Beaugrand.
Ce modèle permet d’identifier et de quantifier les régions potentiellement impliquées par ces évolutions, de comprendre les mécanismes biologiques responsables de ces phénomènes évolutifs et de les anticiper. « Notre modèle anticipe les changements biologiques un an avant qu’ils se produisent. Nous attirons donc l’attention sur ces phénomènes qui ont bien souvent des conséquences socio-économiques importantes » ajoute Grégory Beaugrand.
Pour mettre en perspective les changements détectés, le modèle s’appuie sur une observation des évolutions qui se sont déroulées dans un passé lointain, comme au dernier maximum glaciaire il y a 20 000 ans ou au Pliocène moyen il y a 3,3 millions d’années.
« Entre le dernier maximum glaciaire et actuellement, le paysage terrestre a très fortement changé. La température globale moyenne était de 5° C inférieure à aujourd’hui, le niveau de la mer était 125 mètres plus bas et la concentration du CO2 était voisine de 170 ppm (partie par million), très loin des 411 ppm enregistrées actuellement à Mauna Loa, qui est le site disposant du plus long suivi du CO2 atmosphérique » précise le chercheur, avant de compléter : « Le Pliocène moyen est considéré comme ayant connu des conditions thermiques très proches de celles projetées pour la fin de ce siècle. La température globale moyenne était de 2 à 3°C supérieure à aujourd’hui et la concentration en CO2 atmosphérique était proche de celle observée actuellement ».
QUELLES CONCLUSIONS ?
L’étude a été menée en plusieurs étapes. Après avoir notamment étudié les réponses des communautés théoriques à une augmentation homogène des températures de 2° C, avoir soumis ces espèces aux contraintes climatiques observées au cours de la période 1960-2013, période ayant vu d’importants changements de la biodiversité liés aux variations climatiques et estimé les changements de biodiversité d’ici la fin du siècle en utilisant quatre scénarios de réchauffement des températures, le modèle est parvenu à peindre un tableau de ce à quoi pourrait ressembler la biodiversité marine.
« Notre modèle suggère que si le réchauffement est maîtrisé, s’il reste inférieur à 2° C, les changements biologiques dans l’océan seront sans grandes conséquences, même si 40 % de la superficie des océans connaîtra un changement important de biodiversité au-delà de 5 %. Dans ce cas, seulement 15 % de la superficie totale des océans connaîtra un changement de biodiversité supérieur ou égal à la différence de biodiversité observée entre le dernier maximum glaciaire ou le Pliocène moyen et actuellement » commente Grégory Beaugrand.
Par contre, « si le réchauffement global approche ou dépasse 2° C, les conséquences potentielles deviendront plus importantes. » Les projections faites par les chercheurs indiquent que les changements biologiques dans l’océan seront en effet trois fois plus étendus et d’une magnitude 2 à 3 fois plus élevée que les changements observés au cours de la période 1960-2013. « Près de 37 % de la superficie totale des océans connaîtra des changements biologiques supérieurs à ceux observés entre le dernier maximum glaciaire ou le Pliocène moyen et actuellement. »
Enfin, dans le cas d’un réchauffement non contrôlé, l’influence du changement climatique deviendrait globale. « Près de 90 % de la superficie totale des océans pourrait connaître d’importants changements biologiques. Entre 50 % et 70 % de la superficie totale de l’océan pourrait subir des changements biologiques supérieurs ou égaux à ceux observés entre le dernier maximum glaciaire ou le Pliocène moyen et aujourd’hui » conclut Grégory Beaugrand.
Les conséquences pourraient être désastreuses.