Microplastiques : quels risques pour la santé ?
Les débris de plastiques nuisent à la vie marine et les poissons et les crustacés que nous consommons ne sont pas épargnés. À quel danger sommes-nous exposés ?
Une lumière ultraviolette éclaire la lame que Deba Lee Magadini a placée sous le microscope. La chercheuse examine avec soin le tube digestif liquéfié d’une crevette achetée au marché. « Mais c’est le royaume du plastoc ! », lâche-t-elle.
Dans l’intestin de l’animal, sept tortillons de plastique émettent une lueur fluorescente. Nous sommes dans un laboratoire de l’Observatoire de la Terre Lamont-Doherty (université Columbia), près de New York. Ici, comme partout dans le monde, des scientifiques observent au microscope de minuscules morceaux de plastique ingérés par des espèces marines et d’eau douce.
Des microplastiques ont été découverts chez 114 espèces aquatiques. Or plus de la moitié d’entre elles finissent dans nos assiettes. La science manque encore de preuves que les microplastiques (les fragments inférieurs à 5 mm) affectent les populations de poissons à l’échelle régionale. À notre niveau de connaissance, notre approvisionnement alimentaire ne semble pas menacé.
Mais la recherche montre déjà que les poissons et les crustacés souffrent. Chaque année, entre 5 et 13 millions de tonnes de plastique se déversent dans les océans. La lumière du soleil, le vent, les vagues et la chaleur décomposent ce matériau en fragments si petits que le plancton, les bivalves, les poissons, et même les baleines, prennent ces mini-débris pour de la nourriture.
Des expériences montrent que les microplastiques nuisent aux espèces aquatiques, ainsi qu’aux tortues et aux oiseaux : tube digestif bouché, appétit diminué, comportement alimentaire modifié. Résultat, ces animaux grandissent et se reproduisent moins bien. Avec leur estomac rempli de plastique, certains meurent de faim.
Les microplastiques ont des effets mécaniques, mais aussi chimiques. Les polluants flottants qui se déversent de la terre dans la mer ont tendance à adhérer à leur surface.
Chelsea Rochman, professeure d’écologie à l’université de Toronto, a fait tremper durant trois mois de la poudre de polyéthylène (qui sert à fabriquer certains sacs en plastique) dans la baie de San Diego. Puis, pendant deux autres mois, elle a fait manger ce plastique contaminé à des médakas (de petits poissons couramment utilisés dans la recherche), en plus d’une alimentation mise au point par le laboratoire.
Le foie des poissons ayant ingéré le plastique traité a consommé du plastique pur (les poissons dont le foie est lésé peinent à métaboliser les médicaments, les pesticides et d’autres polluants). Une autre expérience a montré que des huîtres exposées à des particules de polystyrène produisent moins d’ovules, ainsi que des spermatozoïdes moins mobiles.
La liste des organismes d’eau douce et marins victimes des matières plastiques comprend des centaines d’espèces.
Les microplastiques ont-ils des répercussions sur nous lorsque nous consommons des produits de la mer ? Difficile à déterminer, car ce matériau se retrouve partout dans notre environnement, depuis l’air que nous respirons et l’eau du robinet ou en bouteille que nous buvons, jusqu’à nos aliments et à nos habits.
De plus, le plastique n’est pas un matériau unique. Il revêt de nombreuses formes et renferme un large éventail d’additifs susceptibles de se répandre dans l’environnement.Certains de ces produits chimiques sont des perturbateurs endocriniens (des substances qui dérèglent le fonctionnement hormonal).
Par exemple, les retardateurs de flamme peuvent nuire au développement cérébral du foetus et de l’enfant. D’autres composés, qui adhèrent aux plastiques, peuvent provoquer le cancer ou des anomalies congénitales.
Un grand nombre de ces composés chimiques semblent affaiblir les animaux de laboratoire – à des niveaux que certains gouvernements considèrent toutefois sans danger pour l’être humain.
L’étude des effets des microplastiques marins sur la santé humaine est compliquée. On ne peut pas demander à des individus d’en manger à des fins expérimentales, car les caractéristiques du plastique peuvent changer à mesure que les animaux de la chaîne alimentaire les consomment, les métabolisent ou les excrètent.
Et nous ne savons quasiment rien sur la façon dont la transformation et la cuisson des produits de la mer changent la toxicité des plastiques, ni sur le niveau de contamination pouvant nous être néfaste.
La bonne nouvelle : la plupart des microplastiques étudiés par les scientifiques semblent rester dans l’intestin des poissons, sans pénétrer dans les tissus musculaires – ce que nous mangeons.
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que les quantités de microplastiques que nous ingérons sont généralement négligeables. De plus, selon la FAO, la consommation de poisson est bonne pour la santé : elle diminue le risque de maladies cardio-vasculaires, et le poisson contient des niveaux élevés de nutriments qui sont rares dans les autres aliments.
Les scientifiques restent toutefois préoccupés par les répercussions des plastiques marins sur la santé humaine. D’une part, ces matériaux sont omniprésents. D’autre part, ils finissent par se dégrader et par se fragmenter en nanoplastiques de moins de 100 milliardièmes de mètre – qui sont invisibles.
Ces minuscules débris peuvent pénétrer dans les cellules et se déplacer dans les tissus et les organes, ce qui est très inquiétant. Cependant, les chercheurs ne possèdent pas de méthode d’analyse pour identifier les nanoplastiques dans les aliments. Ils ne disposent donc pas de données sur leur fréquence ou leur absorption chez l’être humain.
Les recherches se poursuivent. « Nous savons que les matières plastiques ont des répercussions sur les animaux à presque tous les niveaux de l’organisation biologique, souligne Chelsea Rochman. Nous en savons suffisamment pour prendre des mesures, afin de réduire la pollution au plastique qui envahit les océans, les lacs et les cours d’eau. »
Les États peuvent promulguer des interdictions concernant certains types de plastique, en commençant par les plus abondants et les plus problématiques. Les chimistes peuvent élaborer des polymères biodégradables. Les consommateurs peuvent éviter les plastiques à usage unique. Les industries et les gouvernements peuvent investir dans des infrastructures afin de récupérer et de recycler ces matériaux avant qu’ils ne finissent dans la mer.
Dans un sous-sol poussiéreux, près du laboratoire de Debra Lee Magadini, des étagères sont garnies de bocaux. Environ 10 000 choquemorts et fondules barrés, des petits poissons attrapés dans les marécages voisins sur sept ans, y sont conservés. Examiner chacun pour déceler d’éventuels microplastiques est une tâche colossale. Mais Magadini et son équipe veulent savoir comment les niveaux d’exposition se sont modifiés.
D’autres chercheurs s’efforceront d’établir les répercussions des fragments de plastique sur ces poissons fourrages, sur les plus gros poissons qui les consomment et, en bout de course, sur nous.
« Je pense que nous aurons des réponses dans cinq à dix ans », avance Debra Lee Magadini. D’ici là, au moins 25 millions de tonnes de plastique supplémentaires se seront déversées dans nos océans.
Ce reportage a été publié dans le numéro de juin 2018 du magazine National Geographic dédié à la pollution au plastique.