Santé : notre précieuse eau du robinet

Teneur en pesticides, bactéries, médicaments… Si l’ eau courante est globalement sûre en France, son traitement a un prix.

De Corinne Soulay
Publication 12 mars 2019, 17:06 CET
PHOTOGRAPHIE DE ILLUSTRATION : DADU SHIN

Lorsque mon fils de 4 ans me demande à boire, je lui sers automatiquement de l’eau du robinet, tenant pour acquis qu’elle est sans danger pour sa santé. Et je ne suis pas la seule : selon le baromètre C.I.Eau/TNS-Sofres 2018, 67 % des Français en boivent chaque jour et 81 % ont une confiance très élevée dans sa qualité. Avons-nous raison ?

Le dernier bilan émanant du ministère des Solidarités et de la Santé tend à nous en convaincre. En 2017, 92,5 % des Français ont été alimentés en permanence par de l’eau respectant la réglementation sur les pesticides. La proportion atteint 97,8 % sur les paramètres microbiologiques (virus, bactéries...) et 99,4 % sur les nitrates.

« En France, l’eau courante est globalement saine car très bien contrôlée, confirme Yves Lévi, professeur de santé publique à l’université Paris-Sud. Des prélèvements sont réalisés à toutes les étapes de son trajet, de la zone de captage – rivières, fleuves, nappes souterraines... – au robinet, en passant par les stations de traitement et les réservoirs. » Quels éléments sont recherchés ? Des micro-organismes, des polluants chimiques (pesticides, nitrates, solvants, retardateurs de flamme, plastifiants, etc.), des métaux et des substances radioactives. « En cas de contamination microbiologique, leffets se font ressentir très vite, sous forme de diarrhées par exemple, explique Yves Lévi. Mais, avec les produits chimiques, on a affaire à une toxicité à long terme, qui peut provoquer des cancers au bout de quarante ans. Pour tous ces paramètres, l’Union européenne impose des taux à ne pas dépasser afin de préserver la santé des consommateurs. »

Autre gage de sécurité, le laboratoire d’hydrologie de Nancy, lié à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), est chargé de surveiller les contaminants dits « émergents ». Ceux-ci ne font pas encore l’objet d’une réglementation, soit parce qu’ils sont utilisés depuis peu, soit parce que leur présence n’a été détectée que récemment. « Depuis 2007, nous nous intéressons aux résidus de médicaments, explique Jean François Munoz, le directeur du laboratoire. Nous avons analysé plus de 20 % de l’eau distribuée et les valeurs trouvées indiquent une faible exposition. Parmi les autres substances recherchées, il y a les perfluorés, qui sont présents dans des produits de consommation courante, comme les habits ou les revêtements de meubles, et les nitrosamines, qui sont des sous- produits de la désinfection de l’eau. »

Pour dépolluer l’eau, les stations de traitement recourent à des techniques plus ou moins élaborées selon les molécules à éliminer. « Elles peuvent utiliser du charbon actif ou des bactéries pour se débarrasser des pesticides ; des membranes ultrafines pour filtrer les micropolluants ; du chlore ou des rayons UV pour désinfecter », énumère Yves Lévi. Cette stratégie, alliant contrôles drastiques et traitements, porte ses fruits. En Bretagne, elle a même permis une petite révolution : la région, qui, dans les années 1990, était régulièrement pointée du doigt pour son eau polluée par les produits de l’agriculture, fait aujourd’hui figure de bonne élève. Selon l’UFC-Que Choisir, son eau courante présente désormais 99,9 % de conformité pour sa teneur en nitrates et 99 % pour celle en pesticides.

Derrière ces chiffres encourageants se cache une réalité plus complexe. Dans l’Yonne, les habitants de la petite commune d’Étais-la-Sauvin ont ainsi été privés d’eau pendant deux ans. L’interdiction, due à une contamination aux pesticides, a été levée le 19 décembre 2018. À Sauveterre-de-Comminges, en Haute Garonne, ce sont les seuils microbiologiques qui sont régulièrement dépassés.

« Il n’y a pas une, mais des eaux du robinet, insiste Yves Lévi. Il existe des disparités de qualité importantes entre des villages situés à 2 km de distance ou même entre deux quartiers de Paris. Et une différence encore plus palpable entre la métropole et les territoires d’outre-mer : en Guyane, en Polynésie, à La Réunion, l’eau potable reste rare. » Se pose aussi la question de « l’effet cocktail ».

« Les taux de chaque polluant présent dans l’eau du robinet sont bas et n’ont, séparément, pas d’incidence sur la santé. Mais qu’en est-il de l’effet à long terme d’une exposition à un mélange de ces substances ? », interroge Bernard Legube, professeur émérite à l’université de Poitiers et spécialiste en physico-chimie des eaux.

Dans son laboratoire, Yves Lévi tente de mesurer cet impact : « Nous avons mené une première étude mondiale sur des souris, en les exposant à un concentré de molécules issues de l’eau d’un fleuve, d’un robinet et d’une bouteille. » Les résultats devraient être publiés prochainement.

La priorité d'assainir l’eau « à la source », c’est-à-dire au niveau des zones de captage. « Si l’eau du robinet bretonne est désormais bonne, la qualité des eaux de rivière, elle, n’a pas changé, regrette Arnaud Clugery, porte-parole de l’association Eau & rivières de Bretagne. Plus de 500 ha de terrain sont encore recouverts d’algues vertes, signe que la pollution aux nitrates est toujours là. Pire, en septembre 2018, le syndicat d’agriculteurs FNSEA a demandé à la Commission européenne d’assouplir la réglementation sur les épandages d’engrais azotés, à l’origine de cette contamination. Nous espérons qu’il n’y aura pas de suite ! »

En 2000, pourtant, la directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne fixait des objectifs : l’ensemble des ressources en eau devait avoir atteint un bon état chimique et écologique en 2015, afin de protéger la santé de l’homme. En France, malgré des améliorations – selon le Service public de l’assainissement francilien, le nombre d’espèces de poissons dans la Seine et la Marne s’élève aujourd’hui à trente-trois, contre quinze en 1990 –, l’objectif est loin d’être atteint. « De 30 à 50 % des nappes souterraines, des rivières ou des fleuves présentent des qualités moyennes, médiocres ou mauvaises, assène Bernard Legube. Pour que l’eau du robinet soit de bonne qualité, on est donc obligé de multiplier les traitements et d’en améliorer la technicité, ce qui a un coût pour le consommateur. »

La situation est d’autant plus critique que le changement climatique pourrait aggraver la pollution des cours d’eau. L’association AcclimaTerra, composée de vingt et un scientifiques, dont Bernard Legube, a réalisé une projection sur la région Nouvelle-Aquitaine. Selon le professeur, « en 2050, le débit des rivières aura diminué de moitié en été, ce qui, de fait, augmentera la concentration de polluants ».

Pour Yves Lévi, la solution réside dans un changement d’attitude global : « En tant que citoyens, nous avons le devoir de chercher des solutions de développement durable. Concernant les nitrates et les pesticides, les agriculteurs, entre autres, doivent modifier leurs comportements. Pour d’autres polluants, la question est plus complexe. Les résidus de médicaments se retrouvent dans l’eau par le biais de nos urines. Or, on ne va pas arrêter de se soigner pour les éliminer. »

Le professeur œuvre aussi, au sein de l’Académie de l’Eau, à la mise en place d’un comité d’experts internationaux. « La question de l’exposition aux micropolluants dépasse le cas de la France et même la problématique de l’eau. Car nous y sommes aussi exposés via l’air, les aliments, les cosmétiques... À l’instar du Giec pour le climat, nous souhaitons établir des rapports réguliers à l’échelle mondiale pour prendre les bonnes décisions. »

 

Cet article est paru dans le numéro 234 du magazine National Geographic, daté de mars 2019.

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