Des moutons au cœur des villes
Pâturage pour l’entretien d’espaces verts, réactivation biologique des friches, transhumance connectant les quartiers enclavés… Des éleveurs organisés en structure associative ou privée réintroduisent les ovins en milieu urbain.
Le long du canal qui mène de la porte de la Villette (Paris) à la ville de Saint-Denis (93), parmi les fresques de street art, les pylônes autoroutiers et les ponts de chemin de fer, les promeneurs croisent parfois... des moutons. Depuis sa création en 2012, la coopérative des Bergers Urbains (association Clinamen) fait transhumer son troupeau à travers la banlieue nord de la capitale, et propose aux collectivités et aux entreprises un service de gestion des espaces verts par le pâturage itinérant. Ses soixante-dix moutons participent notamment à la coupe des pelouses des 460 ha du parc Georges-Valbon de La Courneuve et de l’université de Villetaneuse, où sont situées les deux bergeries de l’association. La coopérative propose aussi ses services à des bailleurs sociaux et des entreprises privées d’Aubervilliers, Stains et Saint-Denis.
Un phénomène qui ne touche pas seulement l'Île-de-France. Au moins 250 municipalités et 300 entreprises françaises entretiennent leurs espaces verts grâce à des moutons. Cette pratique d'écopâturage a explosé, passant de 20 troupeaux de moutons en 2000 à 180 en 2016.
Parmi les animaux d’élevage, les moutons sont les plus adaptés à la ville. « On dit que le mouton “jardine”, explique Guillaume Leterrier de la coopérative des Bergers Urbains. Sur une plante, il ne mangera que les pousses tendres et ne va pas tout écorcer, comme le ferait une chèvre. Ces dernières sont également moins dociles et ont tendance à grimper partout, ce qui peut compliquer la transhumance en ville. »
Quant aux vaches, qui pèsent près de 600 kg, elles tassent trop le terrain et leurs bouses sont trop compliquées à traiter. À la création du troupeau, la coopérative de Bergers Urbains a opté pour une race de mouton en voie de disparition — le bleu du Maine — apte à digérer les herbes grasses de la région parisienne. Bien que son coût d’exploitation soit égal, voire supérieur, à celui d’un entretien standard (tondeuse), la place du mouton dans le paysage urbain se justifie tant d’un point de vue écologique que culturel et social.
AVANTAGES ÉCOLOGIQUES DU PÂTURAGE
Un troupeau bien géré s’avère être un excellent agent d’entretien et de restauration des espaces verts. « Les déjections de mouton contiennent des graines et apportent de l’humidité au sol, ce qui participe à la régénération de l’herbe, explique Guillaume Leterrier. En broutant les hautes herbes, les animaux évitent aussi que les pelouses ne jaunissent. » De plus, le piétinement du mouton et la présence de ses déjections relancent l’activité des vers de terre. Le fumier peut également être réutilisé dans les jardins alentour. Mais la pratique n’a pas que des avantages et nécessite plus de temps qu’un entretien avec un tracteur tondeuse. Selon les prairies et le type de végétation, il faut de deux jours à une semaine pour qu’un troupeau de vingt moutons traite 1 ha de terrain.
Au-delà, la présence de l’animal peut nuire à l’écosystème. De plus, pour que les bêtes soient assez dociles en zone urbaine, il faut les sortir quotidiennement, ce qui peut être contraignant dans le cadre d’une activité salariée. Les villes manquent aussi d’infrastructures pour accueillir les troupeaux.
RÔLE CULTUREL ET SOCIAL DE LA TRANSHUMANCE
Au cours de la transhumance, les Bergers Urbains relient des quartiers enclavés de la banlieue. Ces grands ensembles sont riches en talus, pelouses ou squares. « Dans toutes les cultures, le mouton bénéficie d’une image positive, évocatrice de la ruralité, explique Guillaume Leterrier. Le troupeau permet ainsi de connecter des quartiers mis à la marge des villes, de traverser des cités et de les redécouvrir. » Selon une étude publiée dans la revue Urbanité, en février 2019, la vitesse de déplacement d’un troupeau ne dépasse pas les 3 km/h. Cette lenteur procurerait un sentiment d’apaisement aux urbains, parfois stressés par le flux rapide et permanent des déplacements.
La pastoralisme participe également à préserver un patrimoine rural en milieu urbain. À Paris, les dernières fermes urbaines ont fermé dans les années 1960, avec l’essor des réfrigérateurs. « En Europe, il reste malgré tout un véritable savoir-faire dans la gestion d’exploitations de petite taille, rappelle Guillaume Leterrier. Des cultivateurs américains, qui ne connaissent plus que l’agriculture intensive, viennent aujourd’hui à notre rencontre pour apprendre à mettre en place ces petites fermes au cœur des zones urbaines. »
En avril 2019, le magazine National Geographic propose un numéro spécial sur les villes de demain.