La jeunesse contre l'inaction climatique : la colère monte

De la Colombie au Pakistan en passant par les Pays-Bas, les jeunes revendiquent leur droit à un environnement sain, et sortent parfois vainqueurs.

De Laura Parker
Une manifestation en soutien aux plaignants de l'affaire liée au changement climatique Juliana v. U.S. se ...
Une manifestation en soutien aux plaignants de l'affaire liée au changement climatique Juliana v. U.S. se déroule devant le tribunal Wayne L. Morse à Eugene, dans l'Oregon.
PHOTOGRAPHIE DE Terray Sylvester, VW Pics, via Ap

En 2015, les citoyens des Pays-Bas avaient engagé des poursuites contre leur gouvernement pour inaction face au changement climatique et contre toute attente, ils avaient eu gain de cause. La justice avait alors ordonné au gouvernement de réduire les émissions carbone du pays de 25 % en l'espace de 5 ans, soit l'année prochaine, une décision qui se distingue par sa droiture.

La même histoire à succès s'est répétée l'année dernière, en Colombie, où 25 jeunes ont gagné leur procès contre le gouvernement qu'ils accusaient d'avoir échoué dans la protection de la forêt tropicale amazonienne colombienne. Le tribunal avait alors conclu que la déforestation violait les droits des jeunes ainsi que ceux de la forêt tropicale et avait ordonné au gouvernement de mettre fin à cette pratique à l'horizon 2020.

Enfin, au Pakistan, une jeune fille âgée de sept ans s'est vue octroyer le droit via son père avocat d'engager des poursuites contre l'État au nom du peuple pakistanais pour violation de ses droits fondamentaux dans le cadre de la production d'électricité issue du charbon. C'est la première fois que le pays autorise un mineur à déposer une requête, par le biais de son avocat.

Ces trois succès sur trois continents ont posé les fondations d'un mouvement juridique international dont l'ambition est d'inciter les gouvernements à s'imposer pour sauver la planète avant qu'il ne soit trop tard. Les citoyens revendiquent leurs droits constitutionnels pour obtenir la reconnaissance de leur droit fondamental à vivre dans un environnement sain. Des décisions de justice soutenant ce droit ont été rendues dans plus de 50 pays où les charges retenues contre les gouvernements allaient de la caisse de retraite dont les investissements ne tenaient pas compte du risque climat au simple fait de ne pas respecter les engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat.

Les experts juridiques estiment que le nombre de nouvelles poursuites judiciaires ne fera qu'augmenter à mesure que s'aggrave le diagnostic scientifique portant sur les impacts du changement climatique

« C'est la réaction directe à l'éveil général des consciences quant à l'ampleur de cette crise mondiale, » indique David Boyd, professeur de droit à l'université de la Colombie-Britannique et rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'Homme.

Spécialiste du droit environnemental, Boyd a répertorié les actions en justice survenues dans les états membres de l'ONU et en a conclu qu'aucun autre droit économique et social ne s'était aussi rapidement propagé à travers le monde.

Autrefois rejeté pour son côté trop avant-gardiste, le droit à un environnement sain s'est aujourd'hui fait une place dans le paysage juridique des pays du monde entier, poursuit-il. Il est inscrit dans les constitutions de plus de 100 nations et a fait l'objet de lois, traités et autres documents légaux dans au moins 155 pays. La grande majorité des affaires fondées sur le droit constitutionnel à un environnement sain obtiennent gain de cause. Pour ce qui des affaires portées devant la justice par des jeunes, les tribunaux reconnaissent volontiers l'existence de ce droit pour les générations futures.

« Ce nouveau courant qui fait la part belle à la jeunesse est en fait un moyen pour un peuple de dire à son gouvernement : 'Vous avez échoué. Nous avons des droits et vous devez être en mesure de les protéger', » illustre Caroll Muffett, PDG du Centre pour le développement du droit international de l’environnement (CIEL) dont les antennes se situent à Washington et Genève.

 

DES AFFAIRES INFLUENTES

Le cas de la petite fille de sept ans au Pakistan s'appuie sur le procès remporté par un agriculteur qui imputait la perte de ses moyens de subsistance à l'échec du gouvernement pakistanais à respecter ses engagements climatiques. Le tribunal avait considéré que « le retard et la léthargie dont faisait preuve l'État dans l'instauration d'une politique climatique constituaient une infraction aux droits fondamentaux du citoyen. » La cour avait par ailleurs ordonné la création d'un Comité dédié au changement climatique chargé de contrôler l'avancée du gouvernement.

Aux Pays-Bas, l'affaire avait rassemblé précisément 886 citoyens co-plaignants toutes générations confondues. En 2015, les juges avaient rapidement et massivement rejeté les arguments du gouvernement selon lesquels une action à court terme serait trop onéreuse. Pour satisfaire les exigences des tribunaux, le gouvernement devait en un an réduire les émissions carbone deux fois plus qu'il ne l'avait fait depuis 1990. Pour cela, l'État avait déclaré qu'il fermerait à la fin de cette année la centrale électrique à charbon d'Amsterdam dont la fermeture était initialement prévue pour 2024. Dans le même temps, le gouvernement a interjeté appel devant la Cour suprême des Pays-Bas.

Le cas néerlandais est devenu un modèle pour les requêtes similaires déposées en Belgique, en Irlande et au Canada. Il a également inspiré d'autres affaires climatiques dans des pays aussi éloignés que l'Ouganda, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la Norvège. Le procès colombien a également eu un impact similaire comme en témoigne Boyd : « Lorsque les jeunes ont gagné leur procès, je peux vous dire qu'il y avait des avocats dans cent autres pays qui se disaient : comment faire pour reproduire cette décision ? On ne s'est jamais retrouvés face ce genre de système mondialement connecté. »

Seule exception à la règle, l'affaire Juliana v. United States aux États-Unis où les juges sont généralement indifférents aux affaires internationales. Baptisée ainsi en référence à la principale plaignante Kelsey Juliana aujourd'hui âgée de 23 ans et étudiante à l'université d'Oregon, cette action avait été engagée contre l'administration Obama en 2015, époque à laquelle les juges néerlandais rendaient leur verdict. Toujours en cours, cette affaire est étroitement surveillée en raison de la jurisprudence qu'elle pourrait établir si elle aboutissait.

 

UN SUCCÈS NON GARANTI

Alors que certains perçoivent les affaires climatiques comme l'action de la dernière chance pour ralentir le réchauffement climatique, d'autres ont une toute autre position, ils affirment que s'en remettre aux juges pour instaurer des politiques et créer des lois est malavisé et n'aura que peu d'impact mis à part le déluge d'actions en justices prédit par les avocats.

Michael Burger dirige et préside le Sabin Center for Climate Change Law de la Columbia Law School à New York. Selon lui, la vague de succès des poursuites judiciaires ne devrait surprendre personne étant donné la lente progression de l'action gouvernementale. À l'heure actuelle, le Sabin Center suit de près 1 039 affaires en cours aux États-Unis et 283 dans d'autres pays. Pour la plupart d'entre elles et contrairement aux actions des plus jeunes, ces affaires concernent le renforcement de lois ou de réglementations existantes.

« Les citoyens se tournent vers les tribunaux uniquement parce que les gouvernements ne tiennent pas leurs engagements et lorsque vous n'avez plus personne vers qui vous tourner, vous allez au tribunal, » explique-t-il.

Il existe d'autres revers à ce type d'actions. Les actions en justice progressent elles-aussi à un rythme lent. En Belgique par exemple, il aura fallu attendre trois ans pour déterminer si la suite du procès devait être tenue en néerlandais ou en français ; le tribunal a finalement opté pour le français.

En France, la pétition l'Affaire du siècle a convaincu plus de deux millions de signataires, un record absolu dans l'Hexagone. À ce jour, le gouvernement français n'a pas donné suite.

Les décisions de justice peuvent par ailleurs se révéler inapplicables ou inefficaces. Ainsi, la décision prise l'année dernière en Colombie est certes considérée comme la plus progressive et la plus importante de la région, mais le plan ordonné par le tribunal visant à freiner la déforestation a pour l'instant généré plus de publicité que d'action de la part du gouvernement, témoigne Cesar Rodrigues-Garavito, avocat de la partie plaignante et fondateur de Dejusticia, un groupe colombien de défense des droits de l'Homme. Il a appelé ses clients à la mobilisation afin de pousser le gouvernement à avancer.

La plupart des pays disposant d'une protection constitutionnelle des droits environnementaux sont des pays en développement dont les constitutions sont relativement récentes, précise Boyd. Bon nombre d'entre eux commencent seulement à s'extirper de l'héritage du colonialisme ou des dictatures militaires et ont encore du mal à satisfaire les besoins en services basiques des citoyens. Autant de facteurs qui diminuent les chances qu'une décision ordonnée par un tribunal soit effectivement appliquée.

Même en Norvège où la constitution datant de 1814 est la seconde plus ancienne après les États-Unis, les droits protégés ne sortent pas toujours vainqueurs. La constitution de la Norvège énonce explicitement le droit à un environnement sain et précise qu'il doit « être préservé pour les générations futures. »

Malgré cela, un tribunal norvégien a rejeté la requête déposée par Greenpeace Nordic et Nature and Youth visant à empêcher l'attribution par le gouvernement de permis d'exploration pétrolière et gazéifère dans la mer de Barents. Les plaignants avaient avancé que les permis constitueraient une violation aux engagements de la Norvège dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat mais également dans celui de la constitution norvégienne. Bien que la cour ait reconnu l'exigibilité du droit à un environnement sain était, elle a conclu que les permis n'enfreignaient pas ce droit.

« Parfois, les juges prennent de mauvaises décisions. Ils ont déclaré que les permis ne violaient pas le droit norvégien à un environnement sain puisque le pétrole extrait serait exporté, » explique Boyd. « Cette affaire a une chance en appel, qui aura lieu cet automne. »

 

NOUVELLE BASE JURIDIQUE

La question constitutionnelle est au centre de l'affaire Juliana v. United States. Les avocats du gouvernement pour les administrations Obama et Trump ont affirmé dès le départ qu'aucun droit constitutionnel de la sorte n'existait et l'administration Trump a essayé à plusieurs reprises de faire annuler l'affaire.

Les États-Unis sont l'un des 38 membres de l'ONU ne disposant pas de protection constitutionnelle explicitement énoncée du droit à un environnement sain. Selon les jeunes, les tribunaux ne devraient pas avoir besoin d'une telle explicitation pour se prononcer en leur faveur. Ils soutiennent que la promotion au niveau gouvernemental des combustibles fossiles et l'indifférence face aux risques que représentent les émissions de gaz à effet de serre contribuent à créer un « système climatique dangereusement instable » qui menace leurs droits à la vie, à la liberté et à la propriété garantis par la constitution. La juge de tribunal de district Anne Aiken a accepté leur revendication et ordonné que l'affaire soit jugée.

La reconnaissance des droits environnementaux dans ce contexte élèverait l'affaire au rang des arrêts historiques aux côtés de Brown v. Board of Education, la décision de 1954 qui déclarait anticonstitutionnelle la ségrégation dans les écoles publiques, ou encore Roe v. Wade, la décision de 1973 par lequel la justice considère que le droit d'une femme à l'avortement relève du droit constitutionnel.

Plus tôt en juin, le procureur général adjoint Jeffrey Clark, qualifiait l'affaire de « coup de poignard porté à la séparation des pouvoirs » devant un panel de trois juges de la Ninth Circuit Court of Appeals.

« C'est une affaire conçue pour contourner bon nombre de lois, » ajoutait-il.

Pendant l'heure qu'a duré cette audience animée, le comité de trois juges a fait part de son scepticisme à la fois envers Clark et Julia Olson, l'avocate principale des jeunes plaignants.

« Écoutez, vous nous demandez ici d'avancer sur un terrain nouveau, » a indiqué le juge Andrew Hurwitz à Olson. « Je suis sensible aux problèmes que vous avez évoqués. Mais vous ne devriez pas considérer cette affaire comme ordinaire… Vous nous demandez de procéder d'une toute nouvelle façon. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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