La mangrove, un précieux puits de carbone

En plus d’offrir abri et ressources aux populations, la mangrove est l’un des écosystèmes qui stocke le plus de carbone. La protection de ces forêts de bord de mer est essentielle.

De Florent Lacaille-Albiges
Des mangroves dans l'estuaire de Salinas, à Porto Rico.
Des mangroves dans l'estuaire de Salinas, à Porto Rico.
PHOTOGRAPHIE DE Boricuaeddie - Creative Commons BY-SA 3.0

La mangrove est menacée : c’était l’axe de la moitié des interventions, lors de la cinquième conférence mondiale réunissant les spécialistes de cette forêt de bord de mer, début juillet, à Singapour. Or celle-ci est essentielle pour les populations locales, comme pour la planète. Les habitants de la mangrove, comme dans les Sundarbans à la frontière entre l’Inde et le Bangladesh (lire notre article), profitent surtout de ses réserves de poissons, mollusques et crustacés, ainsi que de son rôle de défense naturelle contre les cyclones. Mais au niveau mondial, la mangrove est également un élément crucial pour le stockage du carbone.

Cet écosystème, composé de palétuviers aux longues racines, se développe sur les terres riches en sel qui bordent la mer. Il est présent sur les trois quarts des littoraux tropicaux ou équatoriaux. Il couvrait 164 265 km² lors du plus récent comptage, en 2014. Cette superficie représente environ 1 % de la forêt tropicale.

« Il existe trois raisons qui font de la mangrove un puits de carbone exceptionnel, explique Romain Walcker, ingénieur à EcoLab (laboratoire écologie fonctionnelle et environnement du CNRS et de l’université Paul Sabatier de Toulouse). Tout d’abord, le palétuvier est un bois dense, à croissance rapide. Quand on mesure la matière sèche par hectare (notre unité pour évaluer la quantité de bois présent), on obtient des chiffres plus importants que pour les autres types de forêts. » Alors que les forêts tropicales voisines, également constituées de bois denses, plafonnent généralement à 300 t de matière sèche par hectare, le chercheur a mesuré en Guyane des mangroves atteignant plus du double.

Mais la majeure partie du carbone stocké dans cet écosystème ne se trouve pas en surface, mais sous terre. « Cette croissance rapide s’accompagne d’une importante production de litière, c’est-à-dire de feuilles, de branches et de troncs morts, poursuit l’écologue. Une part de cette litière est évacuée par les marées, mais le reste est enfoui sur place par la sédimentation ou par les crabes, qui sont l’espèce ingénieur de cet écosystème. »

Dans une mangrove ancienne, c’est ce bois mort, à la décomposition très lente causée par un sol humide et pauvre en oxygène, qui forme ces réserves impressionnantes de carbone. Certaines mangroves d’Indonésie, par exemple, stockent plus de 1000 t de carbone par hectare dans leur sol, selon une étude publiée en 2011 dans Nature. « Ce chiffre a d’abord paru invraisemblable, précise Romain Walcker, mais il a depuis été confirmé. Pour la Guyane on ne retrouve pas de quantités aussi extraordinaires, mais le carbone présent dans le sol s’avère néanmoins deux fois plus élevé que celui stocké en surface dans la matière sèche. »

Enfin, les mangroves se trouvent à l’embouchure de nombreux fleuves : « En plus du carbone du bois mort, elles en captent donc aussi dans les zones adjacentes, notamment dans les eaux douces chargées de matières organiques. Elles agissent comme des éponges à matière organique. »

Ces atouts ont encouragé la mise en place de projets de replantation de mangroves, comme ceux menés par Blue Carbon Initiative en Indonésie et en Australie. « On sait très peu de choses sur l’efficacité de ces initiatives, tempère Romain Walcker. Une chose est sûre : la constitution de réserves telles qu’observées en Indonésie prendra beaucoup de temps. À court terme, le plus important serait déjà de préserver les mangroves existantes pour éviter le relâchement du carbone stocké dans l’atmosphère. »

Les mangroves subissent de nombreux périls. Notamment la déforestation en faveur de la riziculture ou de l’élevage de crevettes. Les changements climatiques ont aussi un effet négatif. La montée des eaux contraint les mangroves à reculer dans les terres. Une migration difficile, car beaucoup de littoraux sont déjà occupés par les activités humaines. Et l’augmentation prévue de la force des cyclones pourrait aggraver l’état des palétuviers déjà affaiblis par ces multiples pressions anthropiques.

La superficie des mangroves diminue d’environ 1 % par an. Depuis 2000, elles ont perdu plus de 10 000 km², soit la taille d’un pays comme le Liban. Pour éviter que le carbone stocké ne retourne dans l’atmosphère, il y a urgence à préserver ce précieux écosystème.

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