Que retenir de l’appel d’Arusha alertant sur les effets néfastes des pesticides en Afrique ?
Du 28 au 31 mai dernier s’est tenue la conférence « Pesticides et Politique(s) en Afrique » qui a débouché sur l’appel d’Arusha ; un appel à la protection de l’environnement et de la santé contre les pesticides dangereux en Afrique.
L’appel, lancé à l’initiative de chercheurs et de responsables politiques africains présents à la conférence, est adressé à la Commission de l'Union africaine, la Conférence des chefs d'État de l'Union africaine, les Conférences des ministres de l'Agriculture et de la Santé de l'Union africaine, les organisations internationales telles que les Nations unies, la Banque mondiale, ou encore le FMI et les fabricants de pesticides. Ses revendications, résumées en 10 points, ont pour objectif d’assurer plus de contrôle et de tendre vers une agriculture biologique.
DES PROTECTIONS DONT L’EFFICACITÉ RESTE À PROUVER
C’est l’essor des maladies non-transmissibles liées à l’exposition aux pesticides en Afrique, comme le diabète, les cancers ou les maladies neurologiques, qui pousse les signataires de cet appel à alerter à plus de protections. Allant plus loin, l’appel dénonce également la contamination des sols, de l’eau, de l’air et des produits alimentaires et les conséquences sur des organismes non cibles.
Si les agriculteurs, paysans et autorités africaines ont conscience d’une certaine toxicité des pesticides, ils en ignorent le degré. Moritz Hunsmann, chercheur au CNRS à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS) prend exemple sur les contaminations au Dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), un insecticide très populaire aux États-Unis grâce à sa faible toxicité aigüe et son coût de production très faible, longtemps utilisé en lutte anti-vectorielle contre le paludisme en Afrique. Il a été interdit en 1972 aux États-Unis à cause de sa persistance environnementale et en raison de sa grande toxicité à long terme.
« Des scientifiques ont effectué des prises de sang pour quantifier les contaminations au DDT d'environ 20 000 femmes enceintes à la fin des années 1950 et au début des années 1960 en Californie. Cinquante-trois ans plus tard, sur les 9 000 filles nées de ces femmes, on se rend compte que l'exposition maternelle au DDT multiplie par quatre environ les risques de cancer du sein chez cesfilles » affirme-t-il. « Les effets des contaminations sont transgénérationnels et donc difficiles à mettre en évidence. »
La contamination aux pesticides est aussi liée aux protections dont l’efficacité reste à prouver. « Les agriculteurs africains essaient de s’en protéger avec les moyens du bord. » Ces protections consistent souvent en de simples tee-shirts et pantalons. « Pour que le tissu protège ne serait-ce qu'un peu, il faudrait le laver après chaque utilisation. Comment le laver, dans quel endroit ? Que faire alors de l’eau contaminée ? Il y a un risque de tout contaminer autour ». Avec le temps, le tissu devient lui-même une source d’exposition aux pesticides ; les traces de pesticides restent. Enfiler le même vêtement est synonyme d’exposition.
Pour le chercheur, ce problème est d’ailleurs extrapolable à l’Europe ; les tests montrent que dans des conditions réelles d'utilisation, les équipements les plus avancés ne protègent pas suffisamment.
L’acte d’exposition le plus important nous explique Moritz Hunsmann n’est pas la pulvérisation de ces pesticides. « C’est le fait de retourner dans les champs après pulvérisation, par exemple pour désherber ou tailler. Dans ces situations généralement, on n’a pas d’équipement ».
« DES ALTERNATIVES EXISTENT MAIS ONT DU MAL À SE DÉMOCRATISER »
Des actions sont entreprises par les gouvernements africains pour essayer de changer les choses. Certains pesticides sont par exemple prohibés, mais la question est de savoir si ces interdictions sont bien respectées à travers le pays. « Il ne suffit pas d’interdire. Encore faut-il avoir la capacité et la volonté politique de contrôler le respect de ces règles » avance le chercheur. Bon nombre de produits non-homologués proviennent du marché informel et sont vendus illégalement en provenance d’Asie ou d’Europe. « Dans la plupart des pays africains, les capacités techniques, financières et humaines des institutions de régulation, de surveillance et de contrôle des pesticides sont totalement insuffisantes. »
En même temps, les pays africains cherchent à industrialiser leur agriculture et « les pesticides font partie du package de l'agriculture moderne vers laquelle tendent aujourd'hui ces pays. Les dommages collatéraux sanitaires et environnementaux causés par les pesticides sont donc, au moins implicitement, considérés comme le prix à payer pour cette modernisation. Quand on y regarde de plus près, ce prix paraît exorbitant. »
Des alternatives existent mais pour cela, il faudrait changer les habitudes de production et tendre vers une agriculture biologique qui, selon certaines études, serait capable de nourrir la planète entière, ce qui suppose à bien des égards de réapprendre le métier d’agriculteur. « Des alternatives existent mais ont du mal à se démocratiser ». En Tanzanie par exemple, des associations forment des agriculteurs au maraîchage biologique, avec un certain succès.
En conclusion, les dix recommandations de l'appel d'Arusha montrent bien que si l'interdiction immédiate de certains pesticides s'impose d'un point de vue de la santé publique, il s'agit aussi de rendre publiques les informations sur la toxicité des pesticides pour la santé et l’environnement ; de mettre en place des systèmes opérationnels de surveillance et de suivi des contaminations et intoxications aux pesticides et, bien sûr, à promouvoir activement les alternatives aux pesticides de synthèse par la formation et l'aide aux paysans comme par la recherche scientifique.