Après l'Europe, la canicule frappe le Groenland avec de graves conséquences

Le gigantesque inlandsis du grand nord subit actuellement son deuxième épisode majeur de fonte cette année, un réel signal d'alarme pour la planète.

De Alejandra Borunda
Publication 5 août 2019, 14:37 CEST
L'eau de fonte estivale forme un lac en surface de l'inlandsis du Groenland.
L'eau de fonte estivale forme un lac en surface de l'inlandsis du Groenland.
PHOTOGRAPHIE DE JAMES BALOG/ Nat Geo Image Collection

Trônant au sommet de notre planète, la calotte glaciaire du Groenland est aujourd'hui en mauvais état.

La vague de chaleur qui s'est abattue sur l'Europe à la fin du mois de juillet a migré vers le nord et se tient aujourd'hui au-dessus du Groenland. Face à l'augmentation de la température ambiante sur la glace, l'inlandsis réagit de la seule façon qu'il connaît : en fondant. Mardi dernier, plus de la moitié de la surface de la calotte glaciaire du Groenland était réduite à l'état de neige fondue.

C'est la deuxième fois cette saison qu'une vague de chaleur majeure frappe cette calotte glaciaire et provoque la fonte d'une vaste étendue de glace. Ces vagues de chaleur ont eu un impact particulièrement fort car elles sont arrivées après un hiver et un printemps plutôt doux et secs qui ont donné naissance à une glace très sensible à la fonte. Le résultat de ces conditions extrêmes est une saison de fonte estivale si intense qu'elle est sur le point d'égaliser, voire même de battre, les records de perte d'eau établis par le passé.

Déjà, l'étendue de la fonte dépasse de loin la superficie habituellement observée à cette époque de l'année, fait remarquer Ruth Mottram, scientifique spécialiste de l'environnement polaire au Danish Meteorological Institute.

« Ces records, il ne vaut mieux pas les battre, » ajoute-t-elle.

 

BIENTÔT, CE SERA LA NORME

À ce stade, 2019 se positionne en challenger face à l'année de tous les records en termes de fonte : 2012.

Cette année là, à son apogée en juillet 2012, les scientifiques estimaient que la fonte avait touché d'une façon ou d'une autre 97 % de la calotte glaciaire du Groenland, allant même jusqu'à attendrir l'intérieur gelé de la calotte d'une épaisseur dépassant les 1,5 km, un phénomène extrêmement rare.

L'écoulement de la glace fondue en dehors de l'inlandsis a entraîné une montée si violente du niveau des cours d'eau que certaines villes côtières ont vu leur pont s'effondrer. La surface était devenue si malléable que les scientifiques s'y enfonçaient dès qu'ils sortaient de leur station de travail.

À la fin du mois de juillet 2012, la calotte glaciaire avait perdu environ 250 milliards de tonnes d'eau à cause de la fonte, de quoi faire monter le niveau des océans du monde entier d'environ huit dixièmes de millimètres.

Un chiffre dangereusement proche des 248 milliards de tonnes déjà perdues cette année d'après les observations réalisées par Marco Tedesco, spécialiste des régions polaires au Lamont-Doherty Earth Observatory de l'université Columbia.

« Nous sommes dans le sillage de 2012, sur le pont de battre le record de cette année-là, » ajoute-t-il.

Pour la seule journée du 30 juillet, ce sont plus de sept milliards de tonnes d'eau de fonte qui ont été déversées par la calotte glaciaire. Un volume environ 1,75 fois supérieur aux pertes journalières d'une année moyenne, suffisant pour remplir environ trois milliards de piscines olympiques.

Des explorateurs survolent le Groenland

Cela peut ne pas paraître beaucoup mais c'est la somme dont il faut tenir compte, et elle augmente très vite. Au cours du siècle dernier, le niveau des océans a augmenté d'environ 16 à 21 cm, dont 40 % à partir de 1993. La contribution des eaux de fonte à cette hausse augmente d'année en année et le rythme de fonte a potentiellement été multiplié par sept depuis 1979.

D'ici 2100, l'accélération de la perte de glace et de la fonte en surface de l'inlandsis du Groenland pourrait déverser entre 5 et 33 cm d'eau supplémentaire dans les océans. Si l'intégralité de cet inlandsis venait à disparaître, bien qu'aucune projection scientifique n'évoque cette possibilité pour un futur proche, le niveau global des océans augmenterait d'environ 7 m.

Prise séparément, cette saison n'aura pas un impact particulièrement significatif sur le niveau mondial des océans. En revanche, si d'autres saisons du même type viennent s'ajouter dans les années à venir, alors les effets seront considérables.

 

UN CERCLE VICIEUX

Une partie de la calotte glaciaire du Groenland fond chaque été alors que la Terre oriente sa face nord vers le soleil. Aux extrémités de l'inlandsis, cela se traduit par des cours d'eau débordants et par des bassins d'eau de fonte bleu turquoise ici et là en surface.

Habituellement, la fonte se limite à ces extrémités et la perte est contrebalancée, du moins en partie, par les chutes de neige. La neige fraîche permet également à la calotte glaciaire de rester brillante et réfléchissante et donc de renvoyer les rayons du soleil. À l'inverse, explique Mottram, les flocons de la neige plus ancienne ont des arrêtes moins aiguisées, elle perd donc de sa structure poudreuse qui l'aide à réfléchir la lumière et passe à un état congelé plus solide, moins réfléchissant et qui absorbe davantage la chaleur du soleil.

Pendant l'hiver, les chutes de neige ont été très faibles sur la partie occidentale de l'inlandsis, ce qui implique que de vastes étendues de glace étaient déjà plus sombres que la normale lorsque la chaleur de l'été a commencé à s'installer.

Par conséquent, lorsque la première vague de chaleur a frappé la région en juin, près de 45 % de la calotte glaciaire a atteint un point de fusion, bien plus que les 10 % généralement observés à cette période de l'année. Les températures ambiantes étaient supérieures de 10 à 15 °C à la normale. Lors de cette première vague de chaleur qui aura duré 9 jours, l'inlandsis a perdu environ 80 milliards de tonnes d'eau par la fonte. Dès la fin de la hausse des températures, les scientifiques suggéraient que cette saison pouvait battre des records.

Et puisque la glace partiellement fondue est plus sombre que la neige fraîche, cette première vague venait d'accroître encore plus la vulnérabilité de la calotte glaciaire aux potentielles vagues de chaleur à venir.

« C'est une sorte de pré-conditionnement pour les épisodes de fonte suivants, » explique Mottram.

Lorsque la vague de chaleur la plus récente a entamé sa migration vers le nord, les scientifiques se sont préparés à observer un nouvel épisode de fonte massif à travers l'île. Jusqu'à présent, les événements se sont déroulés comme ils l'avaient prédit.

 

UN DESTIN SCELLÉ ?

Les scientifiques savent déjà pertinemment que le changement climatique affecte la durée et l'intensité des saisons de fonte au Groenland. En 2012 par exemple, la fonte aux extrémités de l'inlandsis avait débuté avec un mois d'avance par rapport aux relevés réalisés trente ans plus tôt.

La grande question est à présent de savoir si ce type de fonte estivale extrême deviendra bientôt la norme.

Certains scientifiques en sont convaincus, c'est le cas de Xavier Fettweis, modélisateur de calotte glaciaire à l'université de Liège.

Le volume et l'intensité des épisodes de fonte survenant aujourd'hui, dit-il, correspondent à ce que les modèles annoncent pour presque chaque été jusqu'en 2050. Les étés caniculaires comme celui-ci, ou celui de 2012, cesseront d'être des cas à part. Nous sommes déjà sur cette voie, assure-t-il.

« Ce n'est pas juste un été chaud entouré d'étés plus frais, » poursuit-il. « Ce type d'anomalie s'est répété cette année et de façon similaire en 2016, 2012, 2011, 2009, 2008 et ainsi de suite. »

Les raisons exactes de l'accélération de la fonte à travers l'inlandsis sont toujours à l'étude. Certains scientifiques pensent qu'elle pourrait s'expliquer en partie par le courant jet, cette bande sinueuse de courants d'air qui serpente à travers la planète et maintient en place les régimes climatiques à chacune de ses extrémités.

Dans l'hémisphère nord, la forme du courant jet est au moins en partie contrôlée par la différence de température entre l'équateur et l'Arctique. En Arctique, le réchauffement climatique s'est montré plus intense que sur le reste de la planète, la région a ainsi vu sa température augmenter de 1,8 °C ces 20 dernières années, et certains scientifiques pensent que les conséquences d'un tel réchauffement sont un un courant jet plus ondulé et moins dynamique.

Cela signifie que les régimes climatiques, comme la canicule qui a frappé l'Europe il y a deux semaines ou les pluies dévastatrices qui ont inondé le Midwest des États-Unis au printemps, restent bloqués plus longtemps au même endroit, explique Jennifer Francis, spécialiste en sciences atmosphériques à l'université Rutgers, dans le New Jersey aux États-Unis.

Ce phénomène accroît donc le risque de fonte lorsque les épisodes de forte chaleur stationnent au-dessus du Groenland.

« Nous avons constaté une accumulation de ces phénomènes au fil du temps, » rapporte Francis. « Ils sont clairement liés à l'excédent de gaz à effet de serre dans l'atmosphère : un symptôme évident du changement climatique. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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