Aux États-Unis, les insectes décimés par des pesticides toujours plus toxiques
Abeilles, papillons et autres insectes sont aujourd'hui cruellement trahis par les plantes qui les ont nourris pendant si longtemps en raison des produits chimiques que l'agriculture américaine continue d'utiliser malgré leur effet létal connu.
Selon une nouvelle étude parue mardi 6 août dans la revue PLOS One, le paysage agricole américain est aujourd'hui 48 fois plus toxique qu'il ne l'était il y a 25 ans pour les abeilles et probablement d'autres insectes. Cette toxicité accrue est presque entièrement due à l'utilisation massive des fameux pesticides néonicotinoïdes.
Parallèlement à cette montée en flèche de la toxicité, les populations d'abeilles, de papillons, d'autres pollinisateurs et même d'oiseaux ont quant à elle enregistré un déclin, déclare Kendra Klein, coauteure de l'étude et directrice de recherche pour l'ONG américaine Friends of the Earth.
« Nous sommes face au deuxième Printemps silencieux. Les néonictoinoïdes sont le nouveau DDT, sauf qu'ils sont mille fois plus toxiques pour les abeilles que leur prédécesseur, » affirmait Klein lors d'une interview.
À l'aide d'un nouvel outil capable de mesurer la toxicité pour les abeilles, la période pendant laquelle cette toxicité persiste et la quantité annuelle de produit utilisé, Klein et des chercheurs de trois autres institutions ont montré que cette nouvelle génération de pesticides avait rendu l'agriculture nettement plus toxique pour les insectes, les abeilles se portant représentantes des autres insectes. C'est le même processus que suit l'United States Environmental Protection Agency (EPA) lorsqu'elle recueille les données concernant la toxicité d'un pesticide en vue son homologation, explique-t-elle.
L'étude a ainsi démontré que les néonicotinoïdes étaient responsables à hauteur de 92 % de l'augmentation de cette toxicité. Non seulement ces produits sont incroyablement toxiques pour les abeilles mais en plus, ils le restent pendant plus de 1 000 jours dans l'environnement, indique Klein.
« La bonne nouvelle, c'est que nous n'avons pas besoin des néonicotinoïdes, » ajoute-t-elle. « Les recherches menées ces 40 dernières années montrent qu'il est possible de cultiver nos aliments sans décimer les pollinisateurs grâce aux méthodes agroécologiques. »
« C'est une étude remarquable. Elle lève le voile sur l'accumulation de la toxicité des néonicotinoïdes dans l'environnement, ce qui peut expliquer le déclin des populations d'insectes, » observe Steve Holmer de l'association American Bird Conservancy.
Avec la baisse du nombre d'insectes, les populations d'oiseaux insectivores ont également chuté ces dernières décennies. Ce déclin a d'ailleurs touché la quasi-intégralité des espèces d'oiseaux, ajoute Holmer. « Tous les oiseaux mangent des insectes à un certain point dans leur vie. »
QUE SONT LES NÉONICOTINOÏDES ?
Les insecticides néonicotinoïdes sont utilisés sur plus de 140 cultures agricoles dans plus de 120 pays. Ils ciblent le système nerveux des insectes et provoquent une surstimulation de leurs cellules nerveuses, la paralysie et parfois la mort.
Ce sont des pesticides systémiques, ce qui signifie que les plantes les absorbent et intègrent les toxines à leurs tissus : tiges, feuilles, pollen, nectar et sève. Cela implique également que les néonicotinoïdes restent en permanence dans la plante, de l'ensemencement à la récolte, y compris dans les feuilles mortes. Aux États-Unis, ces pesticides sont la plupart du temps utilisés en enrobage, une technique qui concerne la quasi-totalité des cultures de maïs et de colza, une grande partie des graines de soja et de coton ainsi que de nombreuses plantes de jardins vendues en jardinerie.
Cependant, seuls 5 % des toxines terminent leur course dans la plante de maïs ou de soja ; le reste des toxines rejoint le sol et l'environnement. Les néonicotinoïdes sont également solubles dans l'eau, ce qui signifie que les produits utilisés sur une exploitation agricole ne se limiteront pas à cette seule exploitation : ils contaminent le ruisseaux, les étangs et les zones humides comme le démontrent certaines études.
C'est la première fois qu'une étude se propose de quantifier le niveau de toxicité des terres agricoles pour les insectes et elle montre bien que les niveaux de toxicité ont rapidement augmenté au moment où l'enrobage des graines aux néonicotinoïdes a réellement pris de l'ampleur, explique Klein. « C'est également à ce moment que les apiculteurs ont commencé à remarquer une diminution du nombre d'abeilles, » ajoute-t-elle.
L'étude précise tout de même que ces résultats ne sont que l'interprétation d'une corrélation, puisque les chercheurs n'ont ni quantifié ni estimé le niveau d'exposition des abeilles ou des autres insectes. À ce titre, il est possible que les doses réelles de pesticides reçues par les abeilles aient été sur ou sous-évaluées.
Par ailleurs, l'étude ne s'est pas intéressée aux nombreux effets non-létaux connus des néonicotinoïdes sur les abeilles, notamment les problèmes affectant la reproduction, le système immunitaire ou le sens de l'orientation.
« C'est pour cette raison que nous considérons comme raisonnables les estimations de notre étude, » affirme Klein.
L'APOCALYPSE DES INSECTES ?
Selon certains scientifiques, les insectes seraient déjà aujourd'hui victimes d'une apocalypse. Une analyse mondiale menée en 2014 sur 452 espèces a montré que le nombre d'insectes aurait diminué de 45 % en 40 ans. Aux États-Unis, le nombre de papillons Monarques a chuté de 80 à 90 % ces 20 dernières années. Une étude publiée le mois dernier signale que 81 espèces de papillons en Ohio ont enregistré un déclin de 33 % sur la même période. Les mesures systématiques du nombre de papillons sont le meilleur indicateur de l'état de santé des 5,5 millions d'espèces d'insectes qui peuplent le monde, assurent les auteurs de l'étude menée dans l'Ohio.
Les abeilles, papillons et autres insectes pollinisent un tiers des cultures alimentaires, leur rôle y est donc essentiel. Qui plus est, la diminution du nombre d'insectes peut avoir des répercussions écologiques catastrophiques. L'entomologue de renom de l'université de Harvard, E.O. Wilson, a déclaré que sans les insectes, le reste de la vie notamment l'humanité « disparaîtrait en grande partie des terres. Et ce, en quelques mois. »
En avril 2019, une étude majeure tirait la sonnette d'alarme en affirmant que 40 % des espèces d'insectes étaient menacées d'extinction en raison principalement des pesticides et plus particulièrement des néonicotinoïdes étant donné qu'ils constituent l'insecticide le plus utilisé sur la planète, mais également des suites du changement climatique et de la destruction des habitats.
Les auteurs de l'étude reconnaissent que « leur analyse est rudimentaire et ne permet pas de tirer des conclusions quant aux risques, » précise David Fischer, scientifique et directeur du service Pollinator Safety (sécurité des pollinisateurs, ndlr) chez Bayer Crop Science.
Les agences de régulation comme l'EPA ont conclu que le traitement des graines par enrobage de néonicotinoïdes présentait un risque faible, indique Fischer par e-mail.
Bayer-Monsanto fabrique l’imidaclopride et la clothianidine, deux des trois néonicotinoïdes qui contribuent le plus à la toxicité globale, selon l'étude parue dans PLOS One. Syngenta-ChemChina fabrique le troisième, le thiaméthoxame.
« Les néonicotinoïdes sont moins toxiques pour les organismes non ciblés que les précédents insecticides et présentent un risque faible pour les abeilles lorsqu'ils sont utilisés conformément à la notice, » peut-on lire dans un communiqué de Syngenta.
En 2018, l'Union européenne interdisait l'utilisation agricole des néonicotinoïdes en raison de leurs effets néfastes sur les pollinisateurs. En 2019, le Canada a imposé des restrictions à l'utilisation des néonicotinoïdes les plus répandus.
Selon une étude parue en 2018, la présence d'insectes dans les exploitations agricoles utilisant ces produits était dix fois supérieure à celle des exploitations tournées vers les méthodes d'agriculture régénératrice tout en enregistrant des profits deux fois plus faibles. À l'instar de l'agriculture agroécologique, les méthodes régénératrices ont recours au couvert végétal, au semis direct et à d'autres techniques destinées à enrichir la biodiversité des terres et à rendre les sols plus fertiles. Les exploitations régénératrices de maïs-soja analysées par l'étude n'avaient même pas à se soucier des insectes, rapporte Jonathan Lundgren, coauteur de l'étude, agroécologiste et directeur de la fondation ECDYSIS.
Les agriculteurs dépendant des produits chimiques mettent la clef sous la porte, témoigne Lundgren, également producteur céréalier dans le Dakota du Sud. « C'est pénible d'être témoin de cette situation, surtout lorsqu'on dispose de solutions scientifiques testées et approuvées. La bonne décision professionnelle à prendre, c'est de travailler en harmonie avec la nature, » conclut-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.