Érosion des côtes : le littoral français déjà grignoté
Jusqu'à 50 000 foyers français seront menacés par l'érosion du littoral d'ici la fin du siècle.
L'océan vu de la plage. La ligne de délimitation entre la terre et la mer recule un peu plus chaque année.
« La dernière fois que l'océan a gagné du terrain sur les dunes, c'était le 15 mars » se désole Hervé Cazenave. L'adjoint délégué au littoral à Lacanau voit la ligne de délimitation entre la terre et la mer reculer un peu plus chaque année. 70 km au nord de cette ville prisée des surfeurs, l'immeuble du Signal, à Soulac-sur-Mer, est déjà un symbole, malgré lui, de l'érosion des côtes françaises et de la montée du niveau de la mer. Construit à la fin des années 1960, le bâtiment se trouvait à 200 m de l'océan. Aujourd'hui, seule une dizaine de mètres le sépare de l’assaut des vagues. Ses résidents ont été évacués en 2014. «
Résidence Signal à Soulac-sur-Mer en Gironde. Lors de sa construction, à la fin des années 1960, cet immeuble se trouvait à 200 mètres de l’océan. Il se trouve aujourd'hui à une dizaine de mètres du rivage.
Le bâtiment est maintenant si proche de l'eau qu'il devient difficile d'accès. Même sa destruction pose problème » s'alarme Catherine Meur-Férec, professeure de géographie à l'université de Brest. Les 78 logements, au bord d’une dune qui a pris des airs de falaise, ont été désamiantés en 2019 pour éviter, en cas d'effondrement, de contaminer la plage.
« Le souci, à l'origine, c'est que l'on a construit du fixe - des résidences - sur du mobile – les dunes de sable. Comme l'érosion est un phénomène naturel, cela allait poser problème à un moment ou un autre » explique la professeure. « Aujourd'hui, la montée du niveau de la mer et l'intensification probable des tempêtes, dues au dérèglement climatique, aggravent et accélèrent le processus. » Chaque année, l'océan gagne en moyenne de 1,7 à 2,5 m sur la côte sableuse aquitaine. En France, de 5000 à 50 000 personnes seront menacées par l'érosion du littoral d'ici la fin du siècle.
Face à l'océan qui menace d'engloutir maisons et commerces, les communes en bord de mer se sont comme barricadées. Elles ont construit des ouvrages de protection : enrochements (entassement de roches), digues, ou épis. Un expédient qui, en France, date du XVIIe siècle, où ces infrastructures protégeaient des ports, des bases militaires ou encore des exploitations agricoles, avant de préserver des résidences à partir du XIXe siècle.
Cette stratégie s'est intensifiée avec l'essor des stations balnéaires dans la deuxième moitié du XXe siècle et reste encore aujourd'hui de mise. « A partir de 2021, nous commencerons la construction d'un ouvrage censé tenir jusqu'en 2050 pour empêcher l'érosion à Lacanau, indique Hervé Cazenave. On en a déjà un, mais d'ici 2030, il sera obsolète : en cas de tempête, la houle pourrait réussir à le briser. » Avec le risque que l’océan gagne tout d’un coup 20 à 30 m sur la ville, en « réalignant » le trait de côte.
Plage de Lacanau. Afin de protéger maisons et commerces, la commune a construit des ouvrages de protection : digue et entassement de roches.
Ces stratégies de défense contre la mer sont pourtant loin de faire l'unanimité. « Les ouvrages de protection empêchent l'échange naturel de sédiments entre la plage et les dunes. Ils aggravent l’érosion. La plage se creuse et, à marée haute voire à mi-marée, elle disparaît. Ce qui est problématique pour des stations balnéaires » explique Catherine Meur-Férec. « Cela ne peut qu'être une stratégie de court terme, pour gagner du temps, en attendant une solution satisfaisante » renchérit Stéphane Costa, professeur de géographie à l'université de Caen. Catherine Meur-Férec plaide pour que « la puissance publique rachète les biens en bord de mer. Elle pourrait les louer, alimenter un fonds dédié aux risques côtiers d’érosion et de submersion, puis les évacuer au moment opportun. »
En février 2020, Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé la relocalisation des 5 000 à 50 000 logements à risque face à l'érosion. Mais les biens en bord de mer sont hors de prix. La facture oscillerait entre 800 millions et 8 milliards d'euros. « Depuis que l’on étudie la question, le financement de la relocalisation a toujours été problématique » reconnaît Stéphane Buchou, député LREM, auteur d’un rapport sur l’aménagement du littoral. Difficile aussi de déterminer à qui incombe cette responsabilité : le maire, l’Etat, les propriétaires...? « Sans outil réglementaire, nous n’avons pas de cadre pour coordonner la réponse à l’érosion du littoral.
Or, réagir dans l’urgence coûte plus cher et n’est pas plus efficace » explique Camille André, chargé de mission en gestion des risques littoraux pour le Groupement d’Intérêt Public (GIP) Littoral. A ces difficultés s’ajoute celle à convaincre les habitants d’évacuer leur propriété avant le tout dernier moment. « Même si le repli stratégique devient de moins en moins tabou au fil des ans, l’opposition des habitants à la relocalisation reste un frein important » commente Camille André.
En attendant, « il faut limiter les nouvelles constructions» souligne Catherine Meur-Férec. Une gageure, alors qu'un terrain déclaré inconstructible signifie une perte financière pour les propriétaires et les élus. D'autant que le bord de mer continue d’attirer. D’ici à 2040, la population des départements littoraux français aura augmenté de 19% (contre 13 % pour les autres départements) par rapport à 2007, d’après les projections de l’Insee. La côte française est ainsi prise entre deux feux. Menacée d’un côté par les vagues qui viennent de la mer, et qui grignotent inexorablement du terrain. De l’autre, par celles de l’intérieur des terres, qui charrient des urbains en mal d’embruns. Un double péril bien complexe à endiguer.