La lutte contre le changement climatique peut-elle encore connaître une fin heureuse ?
Alors que les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter, comment limiter la hausse des températures ? Pour Jean Jouzel, ancien vice-président du GIEC et membre de l'Académie des Sciences, tout n'est pas encore perdu.
Alors qu’en 2015, les gouvernements du monde entier s’engageaient, via les accords de Paris, à limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C voire, à 1,5°C d’ici la fin du siècle, l’année 2019 s’est conclue sur une augmentation effective d’1,1°C.
Pour autant, selon le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC, le groupement des experts de l'ONU sur le climat, et membre de l’Académie des Sciences, tout n’est pas encore perdu.
Comment peut-on gagner le combat contre le changement climatique ?
D’abord, il faut définir ce que signifie « gagner ». Il y a 40 ans, il s’agissait de stopper le réchauffement de la planète dû à l’émission dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, notamment le CO2. Or, on a continué à émettre ces gaz et les conséquences se font déjà sentir. Les années de 2015 à 2019 sont ainsi les cinq plus chaudes jamais enregistrées. Aujourd’hui, « gagner » consiste donc, plus spécifiquement, à limiter le réchauffement à un niveau tel que l’Homme soit capable de s’adapter à l’essentiel des changements.
C’est-à-dire, comme le stipulent les accords de Paris, limiter la hausse de température à 2°C, et si possible à 1,5°C, par rapport aux conditions préindustrielles. Même avec ces valeurs, certains changements entraîneront des difficultés d’adaptation. Avec 1,5°C d’augmentation, par exemple, la mer devrait s’élever de près de 50 cm d’ici la fin du siècle et recouvrir des terres qu’on ne pourra pas récupérer.
Avec 2°C de hausse, tous les coraux tropicaux, qui non seulement jouent un rôle majeur dans les écosystèmes marins, mais protègent aussi les côtes de l’érosion, seront affectés, alors qu’à 1,5°C, un quart devraient rester en bonne santé. Il y a donc de très bonnes raisons de continuer à lutter.
Le climatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC, est membre de l’Académie des Sciences.
Que faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ?
Depuis les années 1990, celles-ci ont augmenté de plus de 60 %, alors qu’il faudrait qu’elles diminuent. On sait très bien ce qu’il faut faire. En 2019, le monde a émis environ 54 milliards de tonnes de gaz à effet de serre équivalent CO2 (ndrl : pour simplifier les modèles, on comptabilise tous les types de gaz à effet de serre en équivalent CO2. Par exemple, 1 tonne de méthane influe autant sur le réchauffement climatique que 28 tonnes de CO2). Sur ces 54 milliards de tonnes, 37 correspondent à l’utilisation des combustibles fossiles, comme le charbon et le pétrole, et à la fabrication du ciment ; 6 à 7 milliards sont dues à la déforestation. C’est donc sur ces secteurs qu’il faut agir. Si on ne fait rien, en 2030, les émissions pourraient atteindre 65 à 70 milliards de tonnes, ce qui conduirait à une augmentation des températures de 4 à 5°C d’ici la fin du siècle.
De même, si on stabilise la situation à 55 milliards de tonnes de gaz produits chaque année jusqu’en 2030, l’augmentation s’élèvera à 3°C. C’est déjà trop pour pouvoir s’adapter. Pour se limiter à 1,5°C, il faudrait diminuer nos émissions de 7 % chaque année jusqu’à 2030. En France, cela correspondrait à réduire le trafic routier de 25 %. Le problème, c’est qu’il faut s’y mettre tout de suite. Or, le fait qu’il existe un décalage dans le temps entre les causes du changement climatique et ses conséquences rend cette problématique difficilement appropriable pour la majorité des gens. Ce n’est pas comme lors d’une crise sanitaire, où on peut mesurer le nombre de victimes en temps réel. Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 actuelle pose un autre problème : après la crise, il faudra éviter d’accroître l’utilisation des énergies fossiles pour relancer l’économie, comme cela a été le cas après la crise financière de 2008.
Comment transformer la crise sanitaire due au COVID-19 en opportunité pour l’environnement ?
Mon espoir de climatologue, c’est qu’à l’issue de cette crise, la relance se fasse en privilégiant une économie verte. Cela suppose de revoir toute l’organisation de notre économie actuelle. On a besoin d’une vraie rupture dans nos modes de vie pour atteindre les objectifs des accords de Paris et ce pourrait être le moment d’initier ce changement radical. D’abord, il faudrait que le gouvernement investisse massivement dans la création d’emplois favorisant un mode de vie durable. Il y a aussi la question des transports : il est nécessaire de prendre des mesures pour stopper l’augmentation du trafic aérien, réduire toujours plus le trafic routier grâce à l’augmentation de l’offre des transports en commun et passer tous les véhicules à l’électrique.
Le secteur du bâtiment doit aussi se transformer afin que les méthodes de construction requièrent moins d’énergie fossile et que les bâtiments consomment moins d’énergie, notamment grâce à leur isolation. Il y a également un gros travail à faire dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation. Ce n’est pas possible, par exemple, de continuer à élever des porcs en Bretagne, puis de les découper en Allemagne, parce que c’est moins cher, et de récupérer la viande pour la vendre en France. Enfin, il faudrait trouver des solutions pour diminuer la consommation énergétique du secteur numérique. Les serveurs informatiques contenant nos données utilisent actuellement beaucoup trop d’énergie fossile.
Y-a-t-il une solution pour que tout le monde entre en lutte contre le réchauffement climatique ?
Le problème c’est que même parmi nos dirigeants, certains, malgré l’urgence de la situation, ignorent tout de ces sujets. Une partie n’y comprend rien et en parle très mal. Un des leviers importants reste donc l’éducation. Il faut établir une culture commune afin que chacun connaisse les concepts de biodiversité, de pollution, d’énergie renouvelable, de transition écologique, etc. L’idée est que tout le monde puisse en parler d’une façon raisonnée et en comprendre les enjeux. Le point positif, c’est qu’il y a eu de grands changements entre les programmes scolaires du lycée de 2019 et ceux prévus pour la rentrée 2020.
Cela, notamment, grâce à l’action des jeunes qui se sont mobilisés et ont obtenu de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, d’y introduire plus de notions relatives au changement climatique. Il a aussi accepté de discuter des programmes des collèges et des écoles primaires. La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, vient d’entamer avec un groupe d’experts que je préside, une réflexion pour sensibiliser, éduquer et former tous les étudiants, d’une façon plus ou moins approfondie en fonction des cursus, sur ces thématiques, avec l’objectif de mettre en œuvre ces nouveaux programmes dès 2021.