Comment sauver les insectes pollinisateurs depuis votre balcon ou votre jardin ?
Ouvert à tous, le programme de sciences participatives Spipoll permet de recueillir des données précieuses sur les insectes pollinisateurs dans l'Hexagone.
Mouche Hélophile
Et si on profitait de ces temps post-confinement, marqués par des déplacements restreints et de longues heures à musarder dans son jardin ou sur son balcon, pour aider la recherche ? Alors que les insectes déclinent à un rythme alarmant dans le monde, vous pouvez contribuer à l'étude de l'évolution des populations françaises en vous inscrivant en quelques clics au programme Spipoll (spipoll.org) ou Suivi photographique des insectes pollinisateurs.
Mis en place par le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) et l'Office pour les insectes et leur environnement (Opie), le projet est ouvert à tous. Il ne requiert aucune connaissance des insectes, mais un simple appareil photo – ou un smartphone, grâce à l’application éponyme - et au moins une plante en fleur à observer, fut-ce en pot sur un balcon. Le protocole ? On choisit une plante et on photographie chaque espèce d'insectes qui vient butiner pendant exactement 20 minutes.
L'opération peut être répétée autant de fois qu'on le souhaite dans l'année. On envoie ensuite ses clichés sur le site dédié, en identifiant les petites bêtes grâce aux « clés de détermination » fournies. « Il est impossible de reconnaître toutes les espèces de butineurs. Il y en a probablement plus de 10 000 en France et un certain nombre d'entre elles ne sont discernables qu'à la loupe des spécialistes ou après dissection des pièces génitales, explique Mathieu de Flores, entomologiste de l'Opie et animateur du Spipoll, qui participe à la validation des identifications. Mais nous avons créé 630 tiroirs pour que les participants classent leurs clichés. Certains d'entre eux ne recouvrent qu'une espèce, tel celui des abeilles mellifères, très reconnaissables en photo, d'autres taxons peuvent en rassembler des dizaines et même des centaines, comme certains groupes de mouches. »
Un « Spipollien » en train de prendre des photos
En 10 ans d'existence, le Spipoll a rassemblé un peu plus de 2000 participants, avec un pic de 300 nouveaux venus durant le confinement, et permis de collecter 450 000 photos d'insectes. « Cela équivaut à environ 1 360 000 minutes d'observation sur le terrain. C'est comme si un observateur était resté 7 heures par jour derrière une fleur éternelle pendant 8 ans.
Les chercheurs sont incapables de produire ce genre de volume de données, d'où l'intérêt des sciences participatives », souligne Mathieu de Flores. « Elles représentent une mine d'information pour la recherche, en particulier dans le contexte actuel de la crise de la biodiversité, renchérit Colin Fontaine, chercheur au CNRS, écologue, et directeur scientifique de Vigie Nature, la plateforme de sciences participatives du MNHN (vigienature.fr). Nous avons besoin de séries temporelles longues pour savoir où on en est, identifier les causes de la crise, la caractériser et voir si on arrive à infléchir les tendances. »
Les sciences participatives ont une histoire bien antérieure à l'accélération actuelle de l'extinction des espèces. Elles sont apparues aux États-Unis, en 1900, avec le Christmas Bird Count. Au 19ème siècle, les chasseurs américains avaient pour tradition de tuer le plus grand nombre possible d'oiseaux le jour de Noël.
Pour y mettre un terme, l'ornithologue Frank Chapman proposa de compter les volatiles plutôt que de les tuer, initiant un recensement toujours en cours. Mais cette contribution citoyenne à la recherche connaît un essor depuis les années 2000, porté par internet, qui a permis de démocratiser la pratique en facilitant le partage des données et l'interaction des spécialistes avec les participants (le portail open-sciences-participatives.org recense les programmes en sciences naturelles dans l'Hexagone).
Corollaire de cette évolution, la démarche n'est plus principalement l'apanage de naturalistes éclairés, mais de plus en plus le fait du grand public, à l'image du Spipoll.
Papillon Aurore
Les données récoltées depuis 2010 par le programme ont déjà permis certains constats. Elles ont notamment mis en évidence la relative résilience des abeilles en ville, comparativement à d'autres groupes de pollinisateurs comme les papillons, les mouches et les coléoptères. « Une interprétation possible est que les abeilles, que ce soient les larves ou les adultes, ont besoin de ressources (pollen pour les unes et nectar pour les autres) qui sont toutes présentes sur les fleurs, avance Colin Fontaine.
D'autres pollinisateurs, en revanche, ont des cycles de vie plus compliqués et besoin d'autres ressources plus difficiles à trouver en ville. Les larves de diptères peuvent être carnivores ou aquatiques, celles des papillons, herbivores. » Autres enseignements, l'homogénéisation des populations d'insectes du fait de l'urbanisation, et l'expansion d'une espèce d'abeille invasive venue d'Asie, Megachiles sculpturalis.
Pollinisateurs sur Scabieuse
Les vertus des sciences naturelles participatives ne s'arrêtent pas aux données récoltées. Elles tendent aussi à faire évoluer les comportements de ceux qui les pratiquent. « On s'intéresse et on n'aime que ce qu'on connaît. Quand on commence à regarder les insectes, on change de perspective », résume Colin Fontaine.
Même son de cloche chez Mathieu de Flores. « Les spipolliens les plus actifs deviennent des militants. Certains se rapprochent des services municipaux des espaces verts pour leur demander de ne pas ratiboiser des plantes utiles aux insectes », raconte-t-il. Cette sensibilisation accrue à la biodiversité a été confirmée par une étude récente. Elle montre que les participants à l'Opération papillons, un programme collaboratif de comptage des insectes piloté par le MNHN, utilisent moins de produits phytosanitaires dans leur jardin au fil des ans et de leur contribution au recensement. Un nouveau genre d'effet papillon.