Des hôtels pour accueillir les insectes
Depuis le début des années 2000, ces dispositifs destinés à accueillir abeilles, guêpes, papillons ou coccinelles, colonisent les jardins. Favorisent-ils vraiment la biodiversité ?
Une abeille dans un hôtel à insectes.
Ils sont aux petites bêtes ce que les nichoirs sont aux oiseaux. Ces dernières années, les hôtels à insectes ont fleuri dans les jardins des particuliers et des collectivités, générant en parallèle guides pratiques et sociétés spécialisées dans leur fabrication. Le principe ? Une série de casiers en bois disposés les uns sur les autres et coiffés d'un toit, contenant ici des tiges creuses, là de la paille de bois ou des bûches trouées, destinées à accueillir abeilles sauvages, papillons, coccinelles, chrysopes... Alors que les populations d'insectes connaissent un effondrement sans précédent, quels bénéfices peuvent-elles tirer de ces refuges ? Réponse avec l'entomologiste Vincent Albouy, ancien président de l'OPIE (Office pour les insectes et leur environnement) et co-auteur, avec André Fouquet, du livre Loger et abriter les insectes au jardin, (éditions Delachaux et Niestlé).
Hôtel à insectes pédagogique.
D'où vient la vogue actuelle des hôtels à insectes ?
Le concept a été inventé par un jardinier allemand qui a regroupé plusieurs nichoirs à insectes ensemble. Ces derniers existaient déjà depuis la fin des années 1980 en Allemagne et en France. Ils avaient été inspirés par les dispositifs mis au point par les scientifiques pour étudier les insectes. Son idée a eu un grand succès. Si les premiers hôtels à insectes étaient bricolés, ils ont ensuite généré tout un marché, avec l’arrivée de fabricants. En France, le phénomène a démarré au tout début des années 2000.
Comment expliquez-vous ce succès ?
Cela traduit un renversement complet de perspective. Jusqu'au tournant du XXIe siècle, les insectes du jardin étaient perçus comme des ravageurs avec, parallèlement, une liste de produits pour les liquider. La vogue de ces hôtels montre qu'on considère désormais les insectes comme faisant partie de la faune du jardin, qu'il ne s'agit pas seulement de détruire mais aussi de protéger. Cette évolution est liée à la prise de conscience du mauvais état de la nature et à l'idée que les jardins pourraient être des mini-réserves naturelles.
Elle correspond aussi à une fracture générationnelle. L’hôtel à insectes est un outil qui a été largement utilisé dans les écoles. Des gamins revenaient avec des versions qu'ils avaient fabriquées avec leur maîtresse et interdisaient à leur grand-père d'utiliser ses pesticides habituels.
Ces refuges ont un avantage pédagogique indéniable : ils offrent un pôle où l'on peut regarder vivre les insectes et permettent, même quand ils ne sont pas là, de voir les traces de leur nidification.
Hôtel à insectes encastré dans un mur. © André Fouquet
Quel est leur intérêt réel pour les populations d'insectes ?
Un nichoir ou abri n'est utile que lorsqu'il correspond à ce que j'appelle une crise du logement. Autrement dit si l'insecte pour lequel on le construit manque d'endroits où nicher. Seuls trois modèles ont un intérêt à cet égard : ceux aménagés avec des bottes de tiges creuses, comme le bambou, des bûches percées et des bottes de tige à moelle, comme la ronce, car ils vont pouvoir abriter des guêpes et des abeilles solitaires. Ces espèces nichent en particulier dans les trous du bois des arbres morts, or il n'y en a plus dans nos jardins, où l'on nettoie tout.
En revanche, les abris à papillons ou à chrysopes vendus dans le commerce n'attirent pas ces insectes, car ils disposent d'assez d'endroits où passer l'hiver : lierre, caves, cabanes de jardin. Il en va de même pour les abris à coccinelles, ces dernières leur préférant les mousses et les feuilles mortes.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent construire ce genre d'hôtel ?
On peut choisir n'importe quel bois ou matériau naturel. En revanche, il faut éviter le contreplaqué, qui contient des colles chimiques. L'hôtel doit être installé dans un endroit ensoleillé, à l'abri des vents, et il doit être entretenu régulièrement, tiges et bûches devant être changées tous les 3-4 ans car leurs trous se bouchent avec le temps. Il ne faut pas qu'il soit trop gros, sinon il va faciliter la tâche des parasites, comme les leucospis, les ichneumons, les zonitis ou les chrysides, en leur offrant des proies concentrées en un seul endroit. Surtout, un hôtel seul ne sert à rien, il faut un environnement approprié autour.
Une abeille maçonne rouge (Osmia bicornis) en vol vers un hôtel à insectes.
J'en ai vu sur des ronds-points, ou plantés sur des terrains qui avaient été désherbés autour sur 25 m2. Ils sont inutiles utilisés de la sorte. Abeilles et guêpes doivent disposer à proximité immédiate de fleurs à butiner pour les unes et de pucerons et autres proies pour les autres. Si on extermine ces derniers des jardins, on extermine les ressources des guêpes. L'hôtel à insectes doit être le dernier maillon de la chaîne. Il faut déjà bannir les pratiques qui détruisent la biodiversité.
Comment favoriser cette biodiversité dans son jardin ?
D'abord en arrêtant d'utiliser des insecticides, même biologiques, car ils tuent tous les insectes. Ensuite, il faut éviter de trop entretenir son jardin et y aménager au contraire des micro-milieux. On peut par exemple laisser l'herbe pousser et les pissenlits fleurir dans son gazon plutôt que tondre à ras. Le lierre offre aussi un très bon abri pour toutes sortes d'insectes en hiver. Il a deux grands avantages : il ne perd pas ses feuilles et celles-ci sont très lisses et coriaces, si bien que la pluie glisse sur elles comme sur les tuiles d'un toit. Or, si les insectes sont adaptés pour résister aux basses températures, le froid humide les fait mourir. Les tas de feuilles mortes et les mousses sont d'autres lieux d'hivernage très appréciés. Il est aussi utile de laisser quelques zones avec de la terre rase, prisées de certaines espèces d'abeilles solitaires qui nichent dans un terrier.