Vestiges de la préhistoire, les marais salés du Nebraska sont en danger
Ces terres marécageuses à l'eau aussi salée que celle de l'océan s'étalait sur plus de 8 000 hectares. Aujourd'hui, les écologistes luttent pour sauver ce qu'il en reste.
Derrière cette clôture s'étendent les marais salés de Marsh Wren, non loin de Lincoln, dans le Nebraska. La barrière sépare les marais récemment restaurés d'un projet immobilier. L'expansion urbaine est la plus grande menace qui pèse sur ce qu'il reste aujourd'hui des marais.
Il y a une centaine de millions d'années, les paisibles prairies de l'actuel Nebraska étaient recouvertes d'une mer immense, peuplée de reptiles marins semblables à des requins. Lorsque cette mer s'est finalement retirée, elle a laissé dans son sillage des formations rocheuses dont la teneur en sel rend aujourd'hui aussi salées que l'océan les eaux souterraines qui émergent des marais de Lincoln.
À plus de mille kilomètres de la première côte, ces marais sont l'un des seuls endroits aux États-Unis où l'eau est naturellement salée. En plus de la protection contre les inondations qui fait la réputation des zones humides, ces marais offrent un refuge aux espèces spécialement adaptées aux environnements salés.
Toutefois, après un siècle de construction de routes, de logements, de boutiques et de bureaux pour accommoder les 280 000 habitants de Lincoln et ses alentours, les marais ont perdu près de 80 % de leur étendue. Autrefois, ils s'étendaient sur plus de 8 000 hectares selon les estimations ; aujourd'hui, il n'en reste que 1 600 hectares éparpillés à travers la région.
Sur les plus de 400 000 hectares de zones humides que compte le Nebraska, les marais salés de Lincoln sont les plus menacés. S'ils disparaissent, ils emporteront avec eux le souvenir des mers peu profondes de la voie maritime du Crétacé qui recouvraient jadis ces prairies.
Vues d'en haut, les zones humides salées de Marsh Wren sont bordées par un nouveau projet immobilier. Après un siècle de développement humain, il ne reste que 20 % des marais salés rares de Lincoln, dans le Nebraska. Marsh Wren s'étend sur 60 hectares et a été restauré en 2017 dans le cadre d'une initiative municipale visant à sauver les marais salés restants.
Néanmoins, d'après les écologistes, ces marais pendant un temps négligés gagnent peu à peu en reconnaissance pour les bienfaits environnementaux qu'ils procurent.
UN ÉCOSYSTÈME AU SERVICE DE TOUS
Les marais salés sont chose commune dans les états côtiers mais il n'y a qu'au Kansas et dans le Nebraska qu'ils sont aussi éloignés des océans contemporains. Les marais salés qui entourent la ville de Lincoln font partie du bassin versant de Salt Creek qui couvre plus de 5 000 km² autour de Salt Creek, un affluent de la rivière Platte. Ce paysage unique a donné naissance à des espèces qu'il n'est donné de voir nulle part ailleurs sur cette planète, comme la cicindèle de Salt Creek (Cicindela nevadica lincolniana).
« Les femelles ne pondent leurs œufs qu'en présence d'un certain niveau de salinité dans le sol, » explique Stephen Spomer, entomologiste au sein de l'université du Nebraska à Lincoln.
À mesure que disparaissent les marais, les cicindèles connaissent le même sort et des plantes natives de la région également, comme les salicornes. Spomer estime qu'il ne resterait que 250 cicindèles de Salt Creek.
De plus, les zones humides du Nebraska, marais salés y compris, sont un important point de repos pour plus de 200 espèces d'oiseaux lors de leur migration vers le nord au printemps, parfois depuis l'Amérique du Sud. Lorsqu'ils perdent cet habitat temporaire, les oiseaux doivent trouver de nouvelles routes, souvent plus longues, un ajustement qui menacerait leur survie d'après les scientifiques.
D'une beauté discrète, ces zones humides salées n'ont que très peu attiré l'attention sur leur lente disparition.
« Un peu comme tout le monde, il me semble que personne ne m'en avait parlé, » témoigne Madeline Cass, une photographe qui a grandi dans la région mais n'a commencé à explorer les marais qu'à ses 20 ans.
« Historiquement, les zones humides sont perçues comme une nuisance, » déclare Tom Malmstrom, coordinateur des ressources naturelles du Saline Wetlands Conservation Project lancé en 2003 par le service des parcs et des loisirs de la ville dans le but de restaurer et conserver ce qu'il restait des marais salés.
Les marais sont inondés selon une fréquence saisonnière et lorsqu'ils sont secs, les sédiments sont souples et instables, ce qui rend difficiles les projets de construction.
Cependant, s'ils sont laissés intacts et non aménagés, un marais offre d'importants bénéfices écologiques à ceux qui l'entourent. Ils améliorent la qualité de l'eau, l'eau qui en sort étant plus propre que celle qui y pénètre. Lorsque des eaux polluées s'introduisent dans un marais, les plantes natives des zones humides absorbent les polluants qui finissent par être piégés dans les sédiments boueux au fond du marais. Les microorganismes vivant dans les zones humides peuvent aider à transformer les substances chimiques, comme les nitrates, en gaz relâché dans l'atmosphère sous forme de nitrogène et les plantes des marais stockent des substances comme le phosphore dans leurs racines.
À Lincoln, l'eau potable provient des puits forés le long de la rivière Platte, parfois contaminée par les eaux polluées de surface.
Des algues vertes recouvrent une parcelle privée des marais salés de Marsh Wren. En plus de fournir un habitat aux oiseaux, insectes et autres animaux, les zones humides constituent une ressource importante pour l'Homme. Elles permettent de limiter les inondations et de purifier l'eau en absorbant les polluants dans leurs racines.
DES DÉCENNIES DE FRAGMENTATION
Lors des crues, les zones humides constituent un bassin qui absorbe l'excédent d'eau, ce qui contribue à réduire les risques d'inondation, un phénomène amené à s'intensifier avec les pluies de plus en plus extrêmes induites par le réchauffement climatique. L'année dernière, une grande partie du Midwest des États-Unis a été touché par des inondations dévastatrices et Lincoln a été largement épargnée.
Alors que les zones humides offrent un moyen naturel de contrôler les inondations, ce sont justement ces inondations qui ont poussé les promoteurs à morceler une grande partie de cette zone naturelle. La ville de Lincoln repose à 30 % sur des plaines inondables et depuis le début du 20e siècle, la ville a subi plus de 100 inondations. Pour lutter contre les dégâts infligés par la montée des eaux, Salt Creek a été reconfiguré en canaux plus étroits et moins sinueux.
Là où la zone humide n'a été ni canalisée ni redressée, elle a simplement été recouverte. Une autoroute majeure la traverse et les photos de Cass montrent le point de rencontre entre les jardins des résidents et les marais.
Vue aérienne d'un pipeline qui achemine l'eau à travers Marsh Wren. Ce qu'il reste des marais est divisé en plusieurs fragments à travers le Nebraska. En 2017, un programme de restauration de Marsh Wren a été lancé.
Le comté de Lancaster, qui comprend la ville de Lincoln, a construit un peu plus de 18 000 nouveaux logements entre 2000 et 2014, la plupart à l'intérieur même de la ville. Mais à mesure que Lincoln poursuit son expansion, notamment par la construction d'un important data center, créateur d'emplois et de nouveaux résidents, la ville a adopté un plan d'urbanisme avec un objectif en tête : « aucune perte sèche » de marais salés.
UNE RESTAURATION SALVATRICE
Les défenseurs des zones humides salées font tout leur possible pour sauver au maximum les marais restants. Depuis 2003, 680 hectares de terres privées ont été rachetés à des fins de conservation et Malmstrom fait état de huit initiatives différentes visant à protéger ou restaurer les marais. La restauration d'un marais remblayé implique de retirer l'excédent de terre et d'aplatir les berges abruptes. Dans certains cas, l'eau souterraine salée doit être pompée manuellement à la surface afin de rétablir l'hydrologie naturelle du marais.
Un champ de sorgho à proximité des marais salés de Marsh Wren.
Le financement de ces projets est limité et pourrait encore diminuer ; la ville travaille à l'élaboration d'un nouveau budget qui prendrait en compte les coûts économiques de la pandémie de COVID-19. Cependant, après s'être impliqué pendant 18 ans dans l'aménagement urbain de la ville, Malmstrom affirme qu'il constate aujourd'hui plus que jamais un intérêt accru pour la conservation.
« Il est probable que nous ne faisions pas du bon travail 30 ou 40 ans en arrière, » dit-il à propos de la conservation des marais, mais à présent, « je pense que la ville et le comté ont pris conscience des bénéfices apportés par les ressources environnementales, ce qui est tout à fait louable. »
« Il y a toujours un problème d'argent. Il n'y en a pas beaucoup en circulation, » déclare Spomer. « Les efforts fournis ont été plutôt bons, compte tenu de la période. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.