Antarctique : la fonte de cet immense glacier inquiète les scientifiques

Une équipe internationale se penche sur l’évolution du glacier de Thwaites, grand comme la Grande-Bretagne. Sa disparition pourrait entraîner une hausse de plusieurs mètres du niveau de la mer.

De Taïna Cluzeau
Vue de la langue glaciaire du glacier Thwaites.

Vue de la langue glaciaire du glacier Thwaites.

PHOTOGRAPHIE DE NASA

58 m, c’est le niveau d’élévation que la mer pourrait connaître si toute la glace du continent Antarctique fondait. À ce stade, non seulement les villes côtières, mais aussi celles de Lille, Bordeaux, Angers ou encore Avignon rejoindraient les fonds marins. (https://www.floodmap.net/). Mais si ce territoire désert et glacé de 14,2 millions de km2, plus grand que le continent européen, perd effectivement de la glace et si le changement climatique accélère ce phénomène, cette fonte reste néanmoins très inégale d’une région à l’autre de l’Antarctique. Par ailleurs, les mécanismes complexes mis en œuvre ne sont pas encore entièrement décryptés par les chercheurs. Raison pour laquelle de nombreuses études sont menées sur place. Parmi les programmes de recherche en cours, l’un, baptisé Collaboration internationale sur le Glacier de Thwaites (https://thwaitesglacier.org/), réunit plus de 60 scientifiques. Depuis 2018, ces derniers surveillent avec attention ce glacier géant de l’extrémité ouest de l’Antarctique, particulièrement instable. Objectif : mieux comprendre la dynamique de fonte de ce territoire grand comme la Grande-Bretagne, son évolution et, plus globalement, celle du continent blanc. 

Le drapeau britannique dans un campement des chercheurs sur le Glacier de Thwaites.

Le drapeau britannique dans un campement des chercheurs sur le Glacier de Thwaites.

PHOTOGRAPHIE DE The International Thwaites Glacier Collaboration

« L’Antarctique perd plus de 2 000 milliards de tonnes de glace chaque année, mais il faut savoir qu’il en produit aussi. C’est un phénomène tout à fait naturel », précise Hilmar Gudmundsson, glaciologue et professeur à l’Université de Northumbrie, qui participe à la Collaboration internationale sur le Glacier de Thwaites via le projet de modélisation PROPHET (Processes, drivers, Prediction : modeling the History and Evolution of Thwaites). Les couches de neige qui se déposent successivement sur le continent se transforment petit à petit en glace sous le poids des nouvelles chutes de neige. Cette glace n’est pas statique, elle se déplace depuis le centre du continent vers l’océan, à l’instar des rivières, mais à des vitesses beaucoup plus lentes, qui atteignent toutefois plusieurs kilomètres par an dans certaines régions proches de la mer.

Lorsque la glace se retrouve en contact direct avec l’eau, elle peut continuer à avancer et former des plates-formes flottantes que l’on appelle ice shelves. Leur base fond au contact de l’océan et des blocs de glace s’en détachent, formant des icebergs. « 50% de la perte de masse de l’Antarctique est due à la fonte et 50% à la décharge d’icebergs », précise Mathieu Morlighem, professeur à l’Université de Californie, spécialisé dans la modélisation des couches de glace et collaborateur du projet PROPHET.

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    Carte de l’Antarctique et détaille du Glacier Thwaites. Sources : Morlighem, M. 2019. MEaSUREs BedMachine Antarctica, Version 1. Boulder, Colorado USA. NASA National Snow and Ice Data Center Distributed Active Archive Center. Doi : https://doi.org/10.5067/C2GFER6PTOS4. PGC. Howat, I. M., Porter, C., Smith, B. E., Noh, M.-J., and Morin, P. : The Reference Elevation Model of Antarctica, The Cryosphere, 13, 665 -674, https://doi.org/10.5194/tc-13-665-2019, 2019. SCAR Antarctic Digital Database.

    PHOTOGRAPHIE DE British Antarctic Survey

    Il est donc important d’évaluer si la création de nouvelle glace compense les pertes. « Dans la région Est du continent, la plus étendue, il y a encore débat entre les chercheurs, déclare Hilmar Gudmundsson. Avec le réchauffement climatique, il est possible qu’il y ait davantage de neige qui tombe sur ce secteur. » En revanche, la masse glacée de la région Ouest, où se trouve le glacier de Thwaites , elle, diminue. Contrairement à la partie Est, la majorité de son sol rocheux, qui soutient la glace, se trouve sous le niveau de la mer. Des pans de glace mesurant jusqu’à 1 km de hauteur sont ainsi submergés. Une surface importante de glace se retrouve donc en contact direct avec l’eau et entame alors un processus de fonte. 

    Pourquoi le glacier de Thwaites intéresse tant les scientifiques ? Car c’est celui qui montre les changements les plus rapides et les plus inquiétants. D’abord la vitesse de déplacement de la glace y atteint des records : jusqu’à 3 km/an. Il perd ainsi une masse d’environ 40 milliards de tonnes de glace, non remplacée, chaque année. Ensuite la température de l’eau sous sa plate-forme flottante est élevée par rapport au reste du continent. A 550 m de profondeur, elle dépasse régulièrement 1ºC - alors qu’ailleurs elle est généralement négative -, ce qui accélère la fonte. Or, avec le réchauffement climatique, l’eau risque de devenir encore plus chaude dans les années à venir. 

    L’application interactive Thwaites-Explorer, développée par la Collaboration internationale sur le Glacier de Thwaites (the International Thwaites ...

    L’application interactive Thwaites-Explorer, développée par la Collaboration internationale sur le Glacier de Thwaites (the International Thwaites Glacier Collaboration),  https://www.thwaites-explorer.org/.

    PHOTOGRAPHIE DE The International Thwaites Glacier Collaboration

    Enfin, les chercheurs ont observé l’endroit où, sous l’eau, la glace se décroche du sol rocheux pour se mettre à flotter. On l’appelle la ligne d’ancrage. Nul besoin de sous-marin, il suffit d’observer des images satellites identifiant la glace flottante via ses mouvements verticaux dus aux marées. « Nous avons constaté que cette ligne d’ancrage recule d’un kilomètre chaque année, notamment sous l’action de cette eau plus chaude qui s’infiltre entre le sol rocheux et la base du glacier », décrit Mathieu Morlighem. Problème : selon les chercheurs, le phénomène risque de s’emballer et de devenir irréversible, car le socle rocheux de Thwaites s’enfonce de plus en plus profondément à mesure qu’on avance vers l’intérieur du continent.

    Si la part de glace flottante devenait trop importante, la fonte de la totalité du glacier serait alors inéluctable. Pire, vu sa taille spectaculaire, une réaction en chaîne délétère, provoquant la fonte des glaciers voisins, pourrait être envisagée. Toute la région Ouest du continent s’en trouverait déstabilisée. « Si tel était le cas, le niveau de la mer pourrait s’élever de 4 à 5 m », s’inquiète Hilmar Gudmundsson. Actuellement, celui-ci augmente déjà de 3,5 mm chaque année à cause de la fonte des glaciers continentaux et polaires, mais aussi de la dilatation de l’eau due à l’augmentation de sa température, et cette hausse s’accentue avec le temps.

    Le Glacier de Thwaites, en Antarctique, est grand comme la Grande Bretagne. Sa disparition pourrait entraîner ...

    Le Glacier de Thwaites, en Antarctique, est grand comme la Grande Bretagne. Sa disparition pourrait entraîner une hausse de plusieurs mètres du niveau de la mer.

    PHOTOGRAPHIE DE The International Thwaites Glacier Collaboration

    Reste à déterminer les conditions exactes qui pourraient déclencher cette situation de non-retour et à estimer le temps restant avant de l’atteindre. Quelques décennies ? Plusieurs siècles ? Des modélisations en cours de réalisation, dans le cadre du projet PROPHET, tentent de répondre à ces questions.

    Se nourrissant de toutes les données récoltées par les autres équipes de la Collaboration internationale, elles consistent à simuler, grâce à des ordinateurs très puissants, différents scénarios prenant en compte le comportement de la glace (vitesse, épaisseur, température) et celui de l’océan (vitesse des courants, température et salinité). « Cependant, au fur et à mesure que la ligne d’ancrage recule et que la cavité sous le glacier s’agrandit, ce nouvel environnement va lui-même avoir un impact sur le comportement de l’océan qu’il nous faut encore découvrir », pointe Mathieu Morlighem.

    La prochaine étape du projet consistera donc à rendre les simulations capables d’intégrer ces rétroactions entre les deux milieux. 

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