L'été sera chaud : de nouveaux pics de chaleur extrême à prévoir
Et si la vague de chaleur historique qui a frappé le Pacifique Nord-Ouest n'était qu'un aperçu des chaleurs extrêmes à venir ?
15 juin 2021 : Adrian Ochoa s’essuie le visage alors qu’il travaille sur un pont à Dallas, au Texas. Les températures enregistrées à Portland, dans l'Oregon (46 °C), ont dépassé les records atteints à Dallas.
La vague de chaleur qui a frappé le Pacifique Nord-Ouest fin juin a battu tous les records. Les scientifiques ne savent pas vraiment comment expliquer ces températures. Elles ont été bien plus extrêmes que les prévisions des météorologues dans cette région habituellement tempérée et humide.
À Seattle, au nord-ouest des États-Unis, les températures ont atteint 42 °C, soit 5 °C de plus que le record enregistré dans la ville de Tampa en Floride, pourtant à l’extrême sud-est des États-Unis. Les 46 °C atteints à Portland, au nord-ouest, ont battu les plus fortes chaleurs notées à Dallas, au sud, de près de 2 °C. À des centaines de kilomètres au nord de Portland, le village de Lytton en Colombie-Britannique a établi un nouveau record de température pour le Canada. Des chaleurs atteignant les 49 °C y ont été observées, comparables à celles de la vallée de la Mort. Peu après, le village a été balayé et en grande partie détruit par un incendie dévastateur.
Il est tout à fait possible que le Pacifique Nord-Ouest ait subi une combinaison malencontreuse des effets de la chaleur et du changement climatique. Mais ces derniers temps, les chercheurs ont commencé à envisager une autre explication. Le changement climatique a peut-être engendré de nouveaux processus, encore mal compris, qui favorisent la formation des vagues de chaleur, auparavant considérées comme peu probables.
Davantage d’études sont nécessaires afin de déterminer si cette hypothèse est correcte. Si tel est le cas, il conviendra de révéler ses mécanismes sous-jacents. Si ce type de rétroactions climatiques formées au-delà de l’atmosphère encouragent la formation d’évènements météorologiques comme ceux du Pacifique Nord-Ouest, les conséquences sur la vie humaine pourraient être considérables. La chaleur extrême est l’une des formes d’évènements climatiques extrêmes la plus mortelle.
En Colombie-Britannique, les autorités ont déclaré 500 « décès soudains et inattendus » lors de la vague de chaleur. Vendredi 16 juillet, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis ont rapporté qu’entre le 25 et le 30 juin, les hôpitaux du nord-ouest du pays avaient pris en charge près de 3 000 cas en lien avec les chaleurs extrêmes.
C’est la raison pour laquelle les scientifiques ayant formulé l’hypothèse susmentionnée s’empressent de trouver des réponses.
« Nous sommes tous très choqués » par la vague de chaleur du Pacifique Nord-Ouest, déclare Geert Jan van Oldenborgh, chercheur en météorologie et climats extrêmes à l’institut royal météorologique des Pays-Bas. Il est l’un des scientifiques ayant proposé ce postulat. « Nous pensions que nous comprenions relativement bien les vagues de chaleur. [Cet évènement] montre que nos connaissances sont lacunaires. »
UN PHÉNOMÈNE DE L’ORDRE DU MILLÉNAIRE
La première explication à la vague de chaleur brutale qui a balayé le nord-ouest du continent américain en juin est une condition météorologique connue sous le nom de dôme de chaleur. Au sein d’un dôme de chaleur, les rayons du Soleil réchauffent la surface, engendrant une montée d’air chaud. Cet air ascendant finit par heurter de hautes pressions qui le forcent à retomber vers le sol. À mesure que l’air redescend, il se comprime et devient encore plus chaud. Ce processus de montée puis de redescente se répète en boucle, entraînant une augmentation de la température de l’air contenu dans le dôme.
En été, au niveau des latitudes moyennes, les dômes de chaleur sont « le procédé classique d’obtention des vagues de chaleur », déclare M. van Oldenborgh. Bien que le dôme de chaleur formé au-dessus du Pacifique Nord-Ouest était particulièrement fort pour la région, il n’était pas en lui-même extrême.
En revanche, il en va autrement des températures à l’intérieur du dôme.
Lorsque Michael Wehner, chercheur spécialiste des conditions météorologiques extrêmes au laboratoire national Lawrence-Berkeley en Californie, a dû décrire sa réaction face aux nouveaux records de températures, il a indiqué « que le mot pour les qualifier, c’est “stupéfiants”. Je pense que personne n’imaginait qu’il pouvait faire aussi chaud là-bas ».
Il est reconnu que le changement climatique rend les vagues de chaleur plus ardentes et plus fréquentes. Néanmoins, afin de déterminer l’influence du réchauffement climatique sur la vague de chaleur qui s'est abattue sur le Pacifique Nord-Ouest, les spécialistes doivent mener une analyse statistique minutieuse.
C’est exactement ce qu’ont entrepris M. Wehner, M. van Oldenborgh et une dizaine d’autres météorologues et chercheurs spécialisés dans les conditions météorologiques extrêmes. Grâce à un protocole publié et établi, les chercheurs ont associé des années de données provenant de stations météorologiques à Portland et à Vancouver avec une vingtaine de modèles climatiques. Leur but était d’étudier l’impact du changement climatique sur la fréquence et l’intensité de la vague de chaleur.
Leur analyse a été publiée en ligne plus tôt ce mois-ci. Elle révèle qu’une vague de chaleur de cette ampleur aurait été « pratiquement impossible » sans le changement climatique. Leur résultat n’est pas surprenant. « En ce qui concerne les vagues de chaleur, c’est la norme de nos jours », souligne M. van Oldenborgh.
Ce qui a été surprenant néanmoins, ce sont les températures de cette vague de chaleur par rapport à ce qui avait déjà été observé dans la région. Dans la zone d’étude, elles surpassaient les précédents records d’environ 5 °C. Même avec le réchauffement climatique, les auteurs ont déterminé qu’une vague de chaleur de cette intensité ne survenait qu’une fois en 1 000 ans.
« Nous avons dit que [la formation de cette vague de chaleur] était quasiment impossible sans le changement climatique », reprend M. Wehner. « Pourtant même avant [ces résultats], j’aurais pensé que c’était presque impossible même avec le changement climatique. »
UNE QUESTION DE MALCHANCE OU DE NOUVELLE NORME
Certes, cette vague de chaleur aurait pu être le résultat malencontreux d’une combinaison des effets de la chaleur et du changement climatique. Toutefois, M. van Oldenbergh et ses collègues étudient désormais la possibilité que ce réchauffement atmosphérique ait favorisé l’apparition de cet évènement. En cause, les processus « non linéaires » qui ne sont pas encore pris en compte par les modèles climatiques actuels.
La nature de ces processus reste un mystère pour le moment. Selon M. van Oldenbergh, l’une des possibilités est que la zone de sécheresse qui se forme au cours de l’été dans le sud-ouest des États-Unis s’étende au nord. Ce phénomène déplacerait les vagues de chaleur vers le nord. En outre, les régions où le sol est moins humide ne profitent pas du rafraîchissement apporté par l’évaporation lorsque le Soleil frappe la surface.
La majorité du Pacifique Nord-Ouest est très sèche à l’heure actuelle et cette situation amplifiera probablement à l’avenir les effets de cette vague de chaleur. Toutefois, les chaleurs les plus extrêmes ont été enregistrées en Colombie-Britannique, au Canada, région qui avait pourtant connu des épisodes de pluie abondante en juin. Le rôle que joue la sécheresse « n’est pas très clair », indique M. van Oldenbergh. « Il y a de nombreux détails qui ne concordent pas avec notre hypothèse. »
Le changement climatique pourrait également avoir un impact sur le courant d’altitude qui augmenterait la probabilité des vagues de chaleur estivales. Une récente modélisation a révélé qu’à mesure que le réchauffement climatique progresse, les vagues de chaleur deviennent plus persistantes dans l’hémisphère Nord. Ce changement proviendrait probablement d’un courant d’altitude moins rapide qui pourrait ralentir les systèmes météorologiques. Si les vagues de chaleur se déplacent plus lentement, elles assèchent de fait davantage les sols et la végétation, aggravant les épisodes de sécheresse.
Selon Kai Kornhuber, chercheur postdoctoral au Earth Institute de l’université Colombia et directeur de la récente étude de modélisation, les conséquences du courant d’altitude font encore débat dans la communauté scientifique. Il ajoute qu’il sera très difficile de lier les changements de la circulation atmosphérique aux évènements comme celui de la vague de chaleur du Pacifique Nord-Ouest.
« Sur le long terme, la circulation du courant d’altitude affaiblie provoquera des vagues de chaleur estivales plus persistantes », assure-t-il.
Différents auteurs de la récente étude continueront d’explorer les différentes hypothèses dans les semaines et mois à venir. Il s’agit notamment de déterminer si la vague de chaleur du Pacifique Nord-Ouest pourrait s’expliquer par « de la malchance ». « Nous pouvons le vérifier en nous penchant sur les [plus fortes] vagues de chaleur dans le monde et établir une distribution statistique », explique M. van Oldenbergh.
La gravité de cet évènement devrait nous alerter sur le type de climat que nous sommes en train de créer, prévient Jessica Tierney, paléoclimatologue à l’université d’Arizona. C’est une question sur laquelle il est impératif de se pencher, peu importe si la récente vague de chaleur était un signe ou non du déclenchement de nouveaux processus d’augmentation des températures dans l’atmosphère.
« Au vu de ce que nous savons sur le potentiel réchauffement du système terrestre, le fait que nous assistions à de tels évènements alors que la température n’a augmenté que d’un seul degré est alarmant », indique-t-elle. « Si [la situation] est déjà aussi grave, voulons-nous réellement prendre 3 ou 4 degrés par rapport à l’ère préindustrielle ? »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.