Les incendies en Grèce menacent aussi le patrimoine historique du pays

Depuis Athènes, notre correspondant nous livre un témoignage de première main sur les feux de forêt qui menacent les habitants et le patrimoine grecs.

De Peter Schwartzstein
Publication 11 août 2021, 11:47 CEST
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6 août 2021 : un pompier, accompagné d’un volontaire, tente d’éteindre un feu à Afidnes, à une trentaine de kilomètres d’Athènes. Les autorités grecques ont annoncé que certains de ces incendies étaient volontaires.

PHOTOGRAPHIE DE Marios Lolos, Xinhua/Getty Images

ATHÈNES, GRÈCE – Les premiers signes inquiétants sont apparus le jeudi 5 août, vers midi. Des bouffées de cette épaisse fumée ont assombri le ciel au sud et à l’est de la colline grecque sur laquelle j’avais loué ma maison de vacances. En quelques heures, un panache âcre s’est abattu sur une portion des montagnes du Péloponnèse. Ce paysage auparavant idyllique s’est radicalement transformé. Les pompiers ont commencé à faire des allers-retours sur le flanc de la montagne adjacente.

Vers 1 heure du matin, le village tout entier était vraisemblablement éveillé, surveillant anxieusement les cimes à la recherche de flammes. L’odeur était si forte que nous peinions à respirer. Nous avons rassemblé nos affaires dans la voiture et avons descendu la vallée. Nous avons voyagé, longtemps, de nuit vers Athènes.

Même dans la capitale grecque, il est impossible d’échapper à la crise qui consume une grande partie du pays. Les nombreux incendies successifs éclatant autour du massif du Parnès, qui délimite la ville au nord, ont englouti Athènes dans un épais nuage noir toxique très particulier.

Le ciel bleu s’est fait rare ici. L’électricité aussi. Le gouvernement a été contraint de couper le courant dans de nombreux quartiers après que les flammes ont consumé une grande partie des infrastructures électriques. Cette mesure est venue s’ajouter à toute cette sensation de fin du monde qui s’est installée dans la ville. Les feux de signalisation ne fonctionnent plus, les voitures filent à toute vitesse et les piétons remettent à contrecœur les masques qu’ils avaient été autorisés à délaisser récemment.

« Je n’ai pratiquement pas dormi de la semaine », me confie mon maraîcher habituel. Les poches sous ses yeux témoignent de sa fatigue. « Cette année, ce n’est que problème, après problème, après problème. »

Nous sommes en août, le mois où de nombreux Athéniens et autres citadins se réfugient dans leurs villages d’enfance pour un repos bien mérité. Après des mois de confinement strict, les Grecs ont plus que jamais besoin de faire une pause. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Un incendie majeur a déjà ravagé le tiers nord d’Eubée, la deuxième plus grande île grecque. D’autres, y compris celui qui m’a rapidement chassé de la péninsule du Péloponnèse, ont consumé certaines des plus belles étendues sauvages du pays.

Selon les informations des responsables de la protection civile de l’État, au total, vendredi 6 août, il y avait au moins cinquante-six fronts d’incendie actifs. Par conséquent, cette saison des feux est d’ores et déjà l’une des plus dévastatrices de l’histoire de la Grèce.

À l’instar des incendies qui ont ravagé le Nord-Ouest Pacifique en juin et juillet et du Dixie Fire, devenu le deuxième plus grand brasier de l’histoire de la Californie, les incendies en Grèce semblent avoir été provoqués, en partie au moins, par le changement climatique. La sécheresse extrême a perduré pendant des mois et le pays a dû faire face à la vague de chaleur la plus intense jamais enregistrée depuis les années 1980. Les températures ont dépassé les 40 °C pendant au moins dix jours dans la région d’Athènes. De toute évidence, la Grèce s’est transformée en poudrière. Quelques étincelles naturelles, un peu de négligence humaine et, peut-être, un brin de criminalité ont suffi à embraser le pays.

Des conditions similaires dans l’est de la région méditerranéenne ont déclenché ce qui semble devenir les pires incendies que la Turquie n’ait jamais vus. Ils ont déjà brûlé dans près de la moitié des quatre-vingt-une provinces du pays et se sont propagés en Italie et dans d’autres États européens.

 

LES FORÊTS NE SONT PAS LES SEULES À ÊTRE MENACÉES

Toutefois, ce qui différencie sûrement la situation de la Grèce, c’est l’étendue des conséquences que ces incendies ont et auront. Ils ne touchent pas uniquement les régions environnantes.

Ce pays, relativement petit, particulièrement montagneux, doté de nombreuses barrières naturelles, est facilement paralysé. Les feux à Athènes ont entraîné la fermeture de la principale autoroute nord-sud vers Thessalonique. Un incendie, près d’Olympie, le site où se déroulaient les anciens Jeux olympiques, a coupé la route principale qui traverse le Péloponnèse. Sur l’île d’Eubée, où les gardes côtiers ont sauvé plus de six-cents personnes, le paysage est si accidenté et les infrastructures sont tellement endommagées que la mer est parfois devenue l’un des seuls moyens de fuir.

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5 août : les pompiers s’attaquent à un feu de forêt au nord d’Athènes.

PHOTOGRAPHIE DE Angelos Tzortzinis, picture alliance/Getty Images
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6 août : des passagers embarquent sur un ferry afin d’évacuer la ville. Un feu de forêt approche le village côtier de Limni, sur l’île d’Eubée.

PHOTOGRAPHIE DE NurPhoto, Getty Images

Des alertes d’urgence sont envoyées en permanence pour garder les habitants sur leurs gardes. « Les incendies de ces prochains jours représentent un danger extrême. Ne pratiquez aucune activité qui pourrait déclencher un incendie. L’accès aux forêts et aux zones forestières est interdit. Évitez les déplacements non essentiels. » Tel était l’un des messages que j’ai reçus. Ces dernières semaines, des dizaines de milliers de personnes ont reçu l’ordre d’évacuer.

Jusqu’ici, deux personnes ont perdu la vie. Par rapport à 2018, lorsque les incendies de l’Attique, la région où se situe Athènes ont tué plus de cent personnes, la situation pourrait s’avérer plus clémente pour les Hommes. Cependant, il ne faut pas sous-estimer l’impact plus général. Les conséquences sanitaires seront graves. Des centaines de Grecs sont déjà hospitalisés à cause de l’inhalation de la fumée. Les rendez-vous pour les vaccinations ont été annulés pour des milliers d’autres. L’État a été obligé de fermer certains centres de vaccination en raison du risque d’incendie, alors que le variant Delta entraîne une augmentation du nombre de cas.

Les dizaines d’années de dépeuplement constant ont réduit des milliers de villages à l’état de communautés fantômes, jonchées de maisons délabrées et de résidents majoritairement âgés. La situation actuelle est bien l’une des dernières choses dont la Grèce rurale a besoin. La perte de parcelles de terre agricole, aussi petites soient-elles, peut s’avérer dévastatrice pour les quelques personnes qui continuent de travailler la terre.

La Grèce est également un pays défini par son histoire et dépendant de celle-ci à la fois. Le tourisme est vital à son économie. Ces incendies menacent certains des sites les plus importants pour le patrimoine du pays. Dans un entretien qu’il m’a accordé l’année dernière, le chef d’une nouvelle commission gouvernementale chargée d’étudier les impacts du changement climatique sur les antiquités a défini les feux de forêt comme étant la plus grande menace pour les sites tels que celui d’Olympie. Il semble par ailleurs avoir survécu de justesse la semaine dernière, après avoir frôlé la catastrophe plusieurs fois ces dernières années.

« Les incendies et les inondations s’intensifient une fois que les arbres sont perdus. Ils deviennent encore plus problématiques », souligne Constantinos Cartalis, professeur à l’université nationale et capodistrienne d’Athènes. « C’est ce qui devrait tous nous inquiéter. »

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    5 août : la fumée enveloppe Athènes et son quartier d’Acropolis. Les feux font rage à une trentaine de kilomètres de là, autour du massif du Parnès.

    PHOTOGRAPHIE DE Louisa Gouliamaki, AFP/Getty Images

    L’été dernier, les pompiers ont réussi à contrôler un feu de forêt alors qu’il allait atteindre les ruines de Mycènes, le centre d’une civilisation de la Grèce antique.

    Lorsque nous avons fui l’incendie vendredi au petit matin, nous sommes passés devant le lac Stymphale, devant Némée, deux lieux ayant accueilli deux des douze travaux d’Héraclès, ainsi que devant plus d’une dizaine de sites archéologiques, le tout en une demi-heure. C’est là toute la richesse de la Grèce. Quelle que soit la région en proie au feu, elle est forcément reliée à un patrimoine d’importance mondiale.

    Vendredi soir, un vent frais en provenance de l’ouest a rafraîchi l’air ambiant. Il a apporté un peu de répit, en particulier à ceux dépourvus d’électricité. Pour les pompiers, il n’était pas annonciateur de bonnes nouvelles. Posté au sommet de la Lycabette, la colline escarpée et boisée au centre d’Athènes, j’ai pu apercevoir la brise, qui se renforçait, attiser un nouveau feu dans un quartier du nord. Elle a transporté la fumée du Péloponnèse vers la mer, plus au sud, au-delà d’Acropolis. Le ciel s’est teinté d’orange.

    Plus bas, la ville habituellement animée paraissait étrangement silencieuse. Si telle est la nouvelle normalité, il faudra beaucoup d’efforts pour s’y adapter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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