Les côtes brésiliennes sont déjà rongées par la montée des eaux
La ville côtière d'Atafona est devenue le symbole d'un double phénomène : elle est prise en étau entre l'avancée de l'océan et le recul du littoral, l'un alimenté par le changement climatique et l'autre par l'érosion côtière.
La lente marche de l'océan Atlantique entraîne des pertes existentielles à Atafona, une tragédie qui se répète à travers le monde avec l'accélération du changement climatique.
Marée haute, les vagues se rapprochent du front de mer et de l'habitation de José Rosa, dit Néneu. Il se lève, laissant derrière lui le déjeuner de poisson attrapé le matin même. Pieds et torse nus, la peau bronzée par 46 années sous le soleil, le pêcheur vérifie la stabilité d'un muret en pierres qui entoure sa maison et la protège des véhémences de l'océan Atlantique. Soupir de soulagement, il ne cédera pas aujourd'hui.
L'après-midi, un vent du nord-est souffle sur la mer et des vagues viennent lécher le mur de Nenéu. Ses cinq chiens aboient, effrayés, pendant que les trois chats se cachent sur le toit. Nenéu grimpe sur un mur partiellement détruit par une tempête un an plus tôt ; il pointe l'océan et les vestiges de la maison où lui et ses sept frères pêcheurs ont vu le jour. Cela fait trente ans que la mer l'a engloutie, raconte-t-il, ainsi que deux autres de ses résidences dans les années qui ont suivi.
Une rue d'Atafona ensevelie par le sable. Depuis les années 1960, 14 pâtés de maisons ont été engloutis par la mer.
Pêcheur et habitant d'Atafona, José Luiz Rosa a déjà vu trois de ses maisons emportées par les vagues ces dernières années.
Cette fois, il a décidé de se battre. Avec l'argent que lui rapportent la pêche et la fabrication de filets, Nenéu a acheté 3 000 dollars de pierres dans l'espoir de protéger sa maison, même s'il a conscience de la fugacité de sa solution. « La mer est dans son droit ; elle veut récupérer ce qui lui appartient, » déclare-t-il. « Elle avalera tout, mais je résisterai. »
Située à seulement 300 km au nord des célèbres plages de Rio, Copacabana et Ipanema, cette petite ville de 6 000 habitants semble pourtant avoir vécu l'apocalypse : quartiers en ruines, demeures à l'abandon et avenues dévorées par le sable. Atafona est prise en étau entre l'avancée de l'océan et le recul du littoral, l'un alimenté par le changement climatique et l'autre par l'érosion côtière, un phénomène qui effraie les résidents, intrigue les scientifiques et fascine les touristes en admiration devant une telle force destructrice. Le week-end, les visiteurs se pressent sur la plage par bus entiers pour se prendre en selfie au milieu des décombres couverts de graffitis faisant allusion à la fin du monde, citations bibliques tirées du Livre de la Révélation et autres messages annonçant le retour du messie.
Atafona vit une inexorable tragédie environnementale comme il s'en produit dans d'autres régions côtières de la planète. Au Texas, par exemple, la ville de Freeport connaît depuis plus de trente ans une érosion moyenne de treize mètres par an, considérée comme la plus sévère au monde. À l'horizon 2050, plus de 200 millions de personnes pourraient souffrir de la hausse du niveau des mers et des inondations fréquentes, et ce, même si l'humanité parvient à contrôler les émissions de gaz à effet de serre qui réchauffent la planète. Selon une étude de Climate Central publiée dans la revue Nature Communications en 2019, le nombre de personnes affectées pourrait atteindre les 480 millions d'ici 2100 en admettant que l'augmentation des émissions se poursuive avec un niveau élevé de fonte des glaciers.
RÉFUGIÉS ENVIRONNEMENTAUX
Sur les 11 000 kilomètres de côtes que compte le Brésil, Atafona est la ville la plus touchée par l'érosion côtière. Chaque année, l'océan progresse de 2,70 mètres en moyenne, avec des pics à plus de 8 mètres, comme entre 2008 et 2009. Depuis que l'érosion s'est accélérée il y a environ 60 ans, les vagues ont détruit plus de 500 bâtiments. Quatorze pâtés de maisons sont aujourd'hui complètement submergés.
Le paysage en ruines d'Atafona témoigne de la crise qui oppose l'Homme à la nature. Ses dunes dissimulent environ 400 édifices, parmi lesquels des habitations, des hôtels, une station essence et une église.
L'océan n'a fait qu'une bouchée du phare historique de la plage ; adieu les bars, discothèques et marchés, les quatre étages de l'hôtel, la station essence pour bateaux et l'école, les somptueuses villas d'été, les deux églises et une île sur laquelle vivaient 300 pêcheurs et leurs familles. La Ilha da Convivência, l'île de la coexistence comme elle se faisait appeler, se situait à 200 mètres du rivage. Nenéu y est né en 1974 alors que la montée des eaux poussait déjà les insulaires à fuir leur île pour le continent. Désormais, tout ce qui reste de l'île est une bande de sable couronnée de ruines. Au total, les scientifiques estiment que l'érosion aurait créé 2 000 réfugiés environnementaux depuis les années 1960.
Bon nombre d'entre eux ne se remettent jamais du traumatisme causé par la perte de leur foyer. À 48 ans, Erica Ribeiro Nunes a passé sa vie à fuir la mer, nous dit-elle. Récemment encore, cette femme, sœur et fille de pêcheur devait se résoudre à laisser derrière elle son habitation, cette fois à cause d'une onde de tempête. Autrefois, Nunes et sa famille pouvaient capturer des crabes pour les vendre, mais la hausse du niveau de la mer a détruit 90 % de l'habitat des crabes dans les mangroves d'Atafona. Elle place une partie de l'aide mensuelle de 25 € versée par le gouvernement dans sa Bible et prie pour que Dieu la multiplie. Hantée par les cauchemars, Nunes ne trouve que rarement le sommeil.
« Personne ne sait ce que ça fait de tout perdre avant de le vivre. Puis de tout perdre encore. Aucun président, aucun maire ne veille sur nous. Personne ne s'inquiète pour Atafona, » lâche-t-elle dans un soupir, le regard triste.
L'ÉNIGME D'ATAFONA
Depuis les années 1970, les chercheurs tentent d'expliquer l'élévation du niveau de la mer et l'érosion extrême qui sévissent à Atafona. Certains locaux ont leurs propres théories, fondées sur des croyances qui affirment que la plage renferme un pouvoir de guérison dans son sable de monazite.
« Atafona se distingue par ce mélange de mysticisme, de religion et de science, notamment chez les résidents plus âgés. À leurs yeux, l'océan est un être vivant et l'érosion côtière et la punition infligée à l'Homme pour ses erreurs, comme le fait d'avoir construit la vieille église de dos à l'océan, » explique l'ingénieur en génie civil Gilberto Pessanha Ribeiro, coordinateur de l'observatoire des dynamiques côtières à l'université fédérale de São Paulo, qui étudie Atafona depuis 18 ans.
Une maison d'Atafona détruite par la mer.
Sônia apparaît ci-dessus sur une photo témoignant de la situation qu'elle a pris soin de conserver. Elle échange régulièrement avec les journalistes, scientifiques et étudiants au sujet de l'érosion de la ville et relate l'histoire de ses voisins qui ont perdu leur maison.
« Il n'existe pas d'explication simple, » dit-elle. « Le changement climatique entre en jeu, mais aussi les événements régionaux : l'influence du vent, le régime des vagues, les effets de marée astronomique et le transport des sédiments par les courants côtiers. »
Les scientifiques pensent que la convergence de tous ces facteurs en un seul lieu, phénomène unique sur la côte brésilienne, explique en partie la situation à Atafona. Cela dit, le principal responsable est un changement apporté par l'Homme à la géologie fluviale.
Atafona se trouve à l'embouchure du Rio Paraíba do Sul, important fleuve du sud-est du Brésil, où se situent également deux des villes les plus peuplées et industrialisées du pays, São Paulo et Rio de Janeiro. Le bassin versant fournit de l'eau à plus de 15 millions de personnes réparties sur 184 municipalités.
Depuis sa source dans l'État de São Paulo, le Paraiba s'écoule sur 1 150 km jusqu'à l'océan Atlantique et charriait autrefois suffisamment de sédiments sableux vers le delta pour stabiliser la côte et former une barrière naturelle protégeant Atafona de la mer.
Dans les années 1950, 70 % du débit fluvial est dévié vers le sud pour alimenter en eau la zone métropolitaine de Rio. Les barrages et autres projets de déviation mis en œuvre par l'industrie et l'agriculture ont également contribué à réduire la puissance de son écoulement vers l'océan à une fraction de ce qu'elle était. L'apport limité en sable et en sédiments n'est plus capable d'empêcher l'Atlantique de grignoter les plages d'Atafona.
Bancs de sable et colmatage sur le Rio Paraíba do Sul, près de la ville de Campos dos Goytacazes. L'accumulation de sédiments provoquée par les barrages affaiblit le débit du fleuve à l'approche du delta, ce qui le rend incapable de protéger Atafona des vagues de l'océan.
« Rio consomme 44 mètres cubes d'eau par seconde, mais ils en prélèvent quatre fois plus, 160 mètres cubes par seconde. Voilà ce qui tue le fleuve depuis les années 1960, » déclare João Siqueira, secrétaire général du Lower Paraíba do Sul Committee. « Ils ont garanti l'eau aux résidents de Copacabana et Ipanema, mais évidemment en faisant cela, du point de vue écologique et environnemental, c'est un désastre. Le résultat, c'est ce qu'on voit à Atafona. »
Auparavant, l'embouchure du fleuve au niveau d'Atafona avait une profondeur de 4,50 m au bas mot, selon les pêcheurs. Aujourd'hui, elle ne dépasse pas les 50 cm, les bateaux de pêche doivent donc emprunter un canal étroit pour accéder à l'océan.
LE TEMPS DES PRIÈRES
Le temps semble s'écouler plus rapidement à Atafona, puisque chaque matin la plage offre un paysage légèrement différent. Les dunes progressent vers les habitations, des ruines émergent du sable et d'autres disparaissent. Chaque jour, les pêcheurs prient pour que le gouverneur se décide à draguer l'embouchure du fleuve pour réouvrir le canal de navigation et à construire un brise-lames pour protéger la côte de la force des vagues. Depuis quatre ans, un projet stagne en phase préparatoire, impossible à matérialiser faute de moyens financiers.
D'après le géographe Eduardo Bulhões, professeur à l'université fédérale Fluminense qui étudie la situation depuis plus de 10 ans, une autre solution pourrait venir du lit du fleuve. Il propose une technique employée aux États-Unis et aux Pays-Bas : renflouer la plage en prélevant son propre sable, qui s'accumule au fond du Rio Paraíba do Sul, pour le déverser sur le rivage. « C'est une stratégie moderne, mais elle nécessite un entretien régulier, » précise Bulhões.
Gervasio est pêcheur et constructeur de bateaux à Atafona. À cause de l'accumulation du limon dans le delta, les bateaux comme le sien ne peuvent plus atteindre l'océan, car l'embouchure est obstruée et manque de profondeur.
Érica Nunes a déjà cédé plusieurs de ses habitations à l'océan Atlantique. Elle reste à Atafona malgré l'avancée de la mer parce qu'elle n'a pas d'autre endroit où aller.
Quelle que soit la solution, Nenéu a sa propre vision du problème.
« L'Homme a provoqué la révolte de l'océan. C'est de notre faute, » affirme-t-il à sa sortie de l'eau, deux énormes poissons dans les mains. Il éprouve un profond respect pour l'océan qui lui offre nourriture, travail et existence. « Il me vole ma maison, je lui prends son poisson. Je ne sais pas lire ou écrire, mais ça je le comprends. J'ai juste peur que les vagues continuent d'avancer, » confie-t-il.
En fin d'après-midi, Nenéu boit une tasse de café en caressant un chat blessé qui ne le quitte jamais. Sa vie a changé ces dernières années. Autrefois, il partait en mer pour un mois entier, il se droguait et buvait beaucoup pendant la pêche. Il a choisi de démarrer une nouvelle vie après avoir rencontré un pasteur évangélique.
Les deux hommes sont devenus inséparables, le pasteur est souvent à court de nourriture et mange le poisson pêché par Nenéu. Tous les jours, ils prient dans la maison du pêcheur. Cette nuit-là, pendant leur prière, le pasteur s'est tourné vers l'océan Atlantique en levant les bras : « Seigneur, nous sommes des pécheurs repentants. Nous implorons votre miséricorde. Au nom de Jésus notre sauveur, ne laissez pas l'océan prendre cette maison. »
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Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.