BNP Paribas mise en demeure pour négligence face à la crise climatique

Un collectif d'ONG s'unit pour mettre la banque française face à ses responsabilités : une mesure qui sonne comme un rappel à l'ordre nécessaire pour le monde de la finance.

De Lou Chabani
Publication 3 nov. 2022, 18:19 CET
La conférence de presse a rassemblé des acteurs des toutes les organisations concernées.

De gauche à droite ...

La conférence de presse a rassemblé des acteurs des toutes les organisations concernées.

De gauche à droite : François de Cambiaire (avocat, Cabinet Seattle), Justine Ripoll (chargée de campagne, Notre Affaire à Tous), Laurette Philippot (chargée de campagne, Les Amis de la Terre) et Alexandre Poidatz (responsable de plaidoyer, Oxfam France).

PHOTOGRAPHIE DE Christophe Da Silva, Oxfam France

Le 26 octobre au matin, lors d’une conférence de presse organisée par Oxfam France, les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous dont la thématique était restée floue, voire secrète jusqu'au dernier moment, la nouvelle est tombée : la mise en demeure, le jour même, de la plus grande banque de France. « Étant donné nos moyens et notre énergie, comparés à ceux d’une des plus grandes banques du monde, ce secret était une nécessité », a expliqué Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, en début de conférence.

Cette mise en demeure a été préparée pendant des mois par deux des responsables de l’Affaire du Siècle, qui avait conduit le gouvernement français devant les tribunaux le 17 décembre 2018. Soumis à un principe juridique pour inaction climatique, la faute de l’État a été officiellement reconnue par le tribunal administratif de Paris en 2021. L’État est ainsi condamné à réparer les dommages causés par son inaction avant le 21 décembre 2022. Fortes de ces deux victoires, les associations Oxfam France et Notre Affaire à Tous se sont alliées à l’ONG Les Amis de la Terre pour une nouvelle opération de grande ampleur.

« [C’est le premier] recours climatique au monde contre une entreprise du secteur de la finance sur la question de ses investissements dans les énergies fossiles », explique Frédérick Amiel, coordinateur général des Amis de la Terre. En ligne de mire, le non-respect des lois pour le climat adoptées à la suite de la signature des accords de Paris et, plus précisément, le non-respect du devoir de vigilance imposé aux sociétés françaises quant à l’impact écologique de leurs activités.

 

DES FORÊTS DE PUITS DE PÉTROLE

Le lien ne vient pas immédiatement à l’esprit, mais il est pourtant indéniable : le monde de la finance, et plus particulièrement ce qui est fait de l’argent qui est placé dans les banques, représente l'un des principaux acteurs de la dette carbone mondiale. « Pourquoi une banque pollue ? », interroge Alexandre Poidatz, responsable du plaidoyer d’Oxfam France. « Les banques ont pour but de soutenir l’activité économique financièrement. [Pour cela], elles peuvent utiliser les investissements, c’est-à-dire l’achat sur les marchés financiers d’actions et d’obligations, dans différentes entreprises. […] À chaque fois qu’une banque soutient une entreprise plus ou moins polluante, une part des émissions de cette dernière va être attribuée à la banque. C’est ainsi qu'est calculée l’empreinte carbone d’une banque. C’est un standard international reconnu, et on se retrouve dans une situation où BNP Paribas a une empreinte carbone supérieure à l’ensemble du territoire français […] notamment à cause de ses investissements dans le secteur des énergies fossiles et de leurs développements. »

Cette situation est particulièrement dérangeante pour le géant de la finance, notamment face aux appels à la sobriété faits à la population française par le gouvernement, à la veille de l’hiver 2022.

Établie à la suite des accords de Paris, la loi du 27 mars 2017 impose un devoir de vigilance à toutes les entreprises françaises. S’y ajoute également une obligation de prise de mesures et la publication d’un plan de transition répondant à plusieurs obligations spécifiées par la loi, et visant à aligner leurs activités sur le scénario des 1,5 °C. Ce plan, BNP Paribas ne l’a jamais publié dans son intégralité.

« Normalement ils auraient eu l’obligation juridique de mettre [toutes leurs mesures] dans un plan de vigilance, mais [BNP Paribas] a disséminé les informations dans différents documents. La première faute est donc formelle », dénonce François de Cambiaire, avocat associé sur l’affaire.

« [Après le rassemblement des différents éléments], il y a ensuite eu un travail d’analyse pour déterminer et structurer de manière synthétique les différents manquements qui leur sont reprochés, puis un travail juridique, pour savoir quelles sont les mesures pertinentes que l’on peut demander à une banque pour qu’elle s’aligne avec les accords de Paris. »

« La BNP s’est engagée premièrement à atteindre la neutralité carbone en 2050, deuxièmement à une trajectoire 1,5 °C, et […] troisièmement à retenir le scénario Net Zero de l’IEA (Agence Internationale des Énergies) pour se conforter à ses objectifs », énumère Laurette Philippot, chargée de campagnes pour l’association Les Amis de la Terre. « Mais justement, ce qui est attaqué aujourd’hui, ce sont les véritables activités de BNP Paribas. […] Depuis l’adoption des accords de Paris en 2015, la BNP s’est avérée être un fidèle soutien aux entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers. »

En effet, au vu des rapports d’activités du géant de la finance, c’est aussi sur ce point que le bât blesse. Selon le plan de l’IEA, il serait nécessaire d’abandonner tout nouveau plan d’exploitation de site pétrolier et gazier au-delà des projets déjà en cours : une mesure forte d’après les ONG, notamment de la part « d’une agence connue pour ses opinions conservatrices » et ses liens solides avec l’industrie pétrolière. Pourtant, malgré l’engagement de la BNP à retenir le fameux scénario Net Zero, les investissements de la banque au cours de ces dernières années révèlent des objectifs bien différents.

« Entre 2016 et 2021, elle a été la première banque en Europe et la cinquième au niveau mondial à financer le développement des énergies fossiles », explique Mme Philippot. « Ce rôle que joue la BNP est particulièrement important auprès des majors du secteur : elle est le premier financeur mondial du groupe des huit [entreprises] majeures européennes et nord-américaines du pétrole et du gaz. […] Notamment comme TotalEnergies, dont elle est le deuxième financeur. »

Quant au financement de nouveaux projets pétroliers, une fois encore, la BNP est une très mauvaise élève. « Ces 8 [entreprises majeures], dont la BNP est le premier financeur […], sont responsables à elles seules de plus de 200 nouveaux projets d’ici 2025. […] S’ils sont permis par les banques, ils enverraient dans l’atmosphère l’équivalent de 77 nouvelles centrales à charbon sur l’intégralité de leur durée de vie. »

Parmi ces projets, plusieurs se déroulent dans des zones sensibles, telles que l’Antarctique ou l’Ouganda, au sein d’une réserve naturelle protégée.

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    La mise en demeure, préparée dans le plus grand secret, a été annoncée à la presse au matin du 26 octobre, en même temps que son dépôt à BNP Paribas. Selon les ONG, cette mesure a été prise afin d'éviter toute réduction des accusations par la banque, aussi bien face à la justice qu'au public.

    PHOTOGRAPHIE DE Christophe Da Silva, Oxfam France

     

    L'ÉPINE DANS LE PIED DU GÉANT

    Face aux manquements du géant de la finance européenne, il est aisé de se sentir impuissant. En effet, malgré la hausse de la conscience écologique française, l’idée qu’une seule entreprise puisse produire autant, voire plus de gaz à effet de serre que le territoire entier a de quoi impressionner.

    La lettre de mise en demeure, épaisse d’une quinzaine de pages, a été préparée dans le plus grand secret pour éviter toute action marketing de la part de la banque. « C’est un dossier extrêmement sérieux », explique Cécile Duflot avec ferveur. « Ce que nous voulons, c’est gagner […] afin d’obliger la BNP et tous les autres à changer, et à le faire vite. »

    La date choisie pour lancer l’opération n’a rien d’anodin, puisqu’il s’agit de la veille du Climate Finance Day, qui a lieu chaque année depuis sept ans, à Paris. Lors de ce congrès international, ce sont plusieurs dizaines d’intervenants qui se succèdent pour présenter les différentes mesures écologiques prises par les poids lourds de la finance mondiale. 

    Cependant, comme dans tout combat juridique de cette ampleur, se pose la question de la faisabilité du projet : une question longuement étudiée par le trio d’ONG. « [La mise en demeure] est une obligation légale avant d’aller devant le tribunal pour déposer nos arguments juridiques et scientifiques », explique Justine Ripoll, responsable de campagne pour l’association Notre Affaire à Tous.

    Dans la lettre reçue par BNP Paribas figure en tête de file l’arrêt immédiat et total du financement de tout nouveau projet relatif aux énergies fossiles, accompagné par l’adoption d’un plan de sortie du secteur pétro-gazier, la publication des risques écologiques de tous leurs investissements, la quantification concrète de l’impact de leurs activités déjà en marche, et la mise en place de dispositifs de suivi, d’évaluation et d’alerte sur l’efficacité de leurs mesures.

    Ce plan est ambitieux, mais totalement réalisable, selon les experts des trois associations. « D’autres banques l’ont fait, comme la Banque Postale », souligne la chargée de campagne. « Nous avons déjà vu que cela est possible avec la condamnation de Shell aux Pays-Bas, et nous attendons des juges français une décision de la sorte », déclare l’avocat François de Cambiaire.

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    Plus qu'une sanction, la mise en demeure est un appel à l'action auprès de la plus grande banque de France. 

    PHOTOGRAPHIE DE Christophe Da Silva, Oxfam France

     

    DEUX SCÉNARIOS POUR UNE SEULE ISSUE

    « En se basant sur les contentieux qui sont déjà devant les tribunaux, les multinationales essaient de se soustraire à la justice […] en soulevant des questions de procédures afin d’instaurer des délais supplémentaires. Toutes ces demandes sont aussi des dénis de justice », expose Justine Ripoll. « Cela n’empêchera pas qu’à la fin, même si cela doit prendre du temps, il y aura une décision et le juge devra trancher. »

    Requise par la loi de plier à ses responsabilités écologiques, la BNP a donc tout intérêt à mettre en place les mesures nécessaires, sous peine de faire face à des sanctions de plus en plus strictes.

    « Si une banque ne respecte pas ses obligations au devoir de vigilance […] alors nous pourrons saisir le juge […] qui aura la possibilité de judiciairement contraindre la BNP à les [respecter] », explique l’avocat associé.

    En l’absence de mesures satisfaisantes, la BNP s’expose donc à des risques juridiques similaires à ceux qui ont coûté plusieurs milliards de dollars à l’industrie du tabac au début des années 2000. Cet avertissement est valable pour toutes les multinationales françaises, soumises au devoir de vigilance.

    « Nous ne nous suffirons pas de paroles et de grandes déclarations pour une raison très simple : elles n’ont aucun effet sur le climat », achève la Directrice générale d’Oxfam France. « [BNP Paribas] a une responsabilité énorme dans la faillite de notre modèle actuel, mais elle pourrait aussi avoir une responsabilité énorme dans les changements de pratiques et de choix stratégiques. »

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