Les algues sont-elles l’aliment de demain ?
Tandis que la population mondiale s’approche lentement des dix milliards d’habitants, le changement climatique menace la sécurité alimentaire. Dans ce contexte, les algues, nutritives et polyvalentes, s’imposent comme un recours de choix.
Un échantillon d’algue verte (Caulerpa crassifolia) recueilli sur Lizard Island, au large de l’État australien du Queensland. Il existe des milliers d’espèces d’algues différentes dans le monde. Les scientifiques espèrent trouver parmi elles quelques espèces qui permettront de nourrir une population mondiale toujours plus importante.
« Ça a le goût de bacon. C’est croustillant et ensuite il y a cette gigantesque explosion de saveurs », prévient Beth Zotter, P-DG d’Umaro Foods. Cette start-up de San Francisco produit du bacon à partir d’une source inattendue : les algues.
Beth Zotter est une des nombreuses entrepreneures qui ont décidé d’exploiter le potentiel des algues, catégorie qui regroupe des milliers d’espèces marines prenant aussi bien la forme d’amas flottants de plancton verdâtre que de longs rubans de varech.
Ce secteur en plein essor doit poursuivre sa croissance, disent les scientifiques qui pensent que les algues ont la capacité de nourrir une population mondiale toujours plus nombreuse. Il y a quelques jours, nous avons franchi la barre des huit milliards d’habitants sur Terre ; en 2050, selon les Nations unies, nous serons dix milliards.
Selon une étude, pour nourrir autant de personnes, la production alimentaire mondiale devra croître de 50 %, une augmentation qui requerrait 567 millions d’hectares de terres arables. Cultiver autant de terres irait à l’encontre des efforts faits pour lutter contre le changement climatique et pour protéger les espèces. Cela impliquerait la destruction d’écosystèmes comme les forêts qui piègent la pollution carbone et nourrissent la biodiversité. Toutefois, la culture des algues, sous leurs diverses formes, pourrait permettre de subvenir à ces nouveaux besoins nutritionnels.
« Cette plante n’a pas besoin d’eau douce. Elle n’a pas besoin de terre. Elle n’a pas besoin d’engrais », affirme Charles Yarish, professeur émérite de l’Université du Connecticut. « Elle a besoin d’eau de mer et de lumière. »
Les entreprises ne sont pas fait attendre et tirent déjà profit du potentiel des algues. Dans le secteur américain de l’aquaculture, il s’agit déjà du domaine le plus porteur. D’ici 2027, le marché mondial pourrait peser 95 milliards d’euros, contre 40 milliards d’euros en 2020. Voici ce qu’il faut savoir sur les algues et sur les façons déroutantes dont elles pourraient se présenter dans nos assiettes.
QU’EST-CE QU’UNE ALGUE ?
Il existerait jusqu’à un million d’espèces d’algues différentes. Deux catégories suffisent toutefois à les classer.
Les macroalgues constituent la première. On y range les énormes colonnes de varech, qui forment des forêts sous-marines, et les sargasses, connues pour s’enrouler autour des chevilles des nageurs. Les microalgues, des organismes microscopiques comme le phytoplancton qui sont au fondement de la chaîne alimentaire marine, constituent la seconde.
C’est la constitution biologique des algues, c’est-à-dire leur façon de pousser et les nutriments qu’elles contiennent, qui les rendent si attractives aux yeux des entrepreneurs, des chercheurs et des cultivateurs.
À l’instar des plantes qui poussent sur la terre ferme, elles se développent grâce à la photosynthèse : elles convertissent l’énergie solaire et le dioxyde de carbone présent dans la mer et dans l’atmosphère en matière végétale. Mais à l’inverse des plantes poussant dans la terre, les algues n’ont pas besoin de produire de structure de soutien.
« La raison pour laquelle les algues poussent à ce point plus vite [que les plantes terrestres], c’est qu’elles sont suspendues dans l’eau. Elles ne nécessitent pas de matière structurelle pour se maintenir droites », explique Charles Greene, océanologue de l’Université de Washington.
Certaines espèces de varech peuvent grandir de 60 à 90 centimètres par jour.
Cette croissance effrénée est tout ce qu’il y a de plus pratique pour absorber le dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre omniprésent dans le monde. Lorsque la pollution au dioxyde de carbone est trop élevée, la planète se réchauffe et les océans s’acidifient au point de devenir inhabitables pour les créatures marines telles que les crustacés et le corail ; on parle d’acidification de l’océan. Dans le nord-ouest de l’océan Pacifique, des chercheurs essaient actuellement de faire pousser du varech pour tempérer l’acidité de l’eau.
POURQUOI INTÉGRER LES ALGUES À NOTRE ALIMENTATION
Selon Charles Greene, le vrai bénéfice climatique des algues provient de leur capacité à nourrir le monde tout en prenant moins de place que les cultures terrestres. Les partisans des algues font observer que les États-Unis possèdent à eux seuls 11,1 millions de kilomètres carrés d’eaux territoriales pouvant servir à la culture d’algues, ce qui permettrait d’épargner les écosystèmes terrestres.
En outre, des études ont montré l’important potentiel diététique des algues. Elles regorgent de protéines, de fibres, sont riches en micronutriments tels que le fer, et pleines de vitamines. Si les chercheurs commencent tout juste à étudier les potentiels bénéfices des microalgues pour la santé, ils ont d’ores et déjà découvert des espèces riches en protéines et en acides aminés. À la fois durables et nourrissantes, les algues sont « révolutionnaires », pour reprendre une expression prononcée récemment lors d’une conférence des Nations unies sur les océans.
Dans une analyse publiée le mois dernier, Charles Greene et ses collègues avancent que les fermes d’algues pourraient produire l’ensemble des protéines dont le monde a besoin en 2050.
« Nous ne pensons pas que tout le monde aura nécessairement accès aux protéines d’algues, mais nous sommes lucides quant au fait qu’il nous faille chercher des alternatives, indique-t-il. Au cours de la prochaine décennie, les microalgues vont prendre de plus en plus d’importance dans l’approvisionnement alimentaire des humains. »
UN SECTEUR EN PLEINE ÉVOLUTION
Les algues sont présentes dans les gastronomies du monde entier depuis des millénaires. Les noris, ces algues qui enveloppent les makis, ont été popularisées par le Japon il y a 400 ans à l’époque où le pays commençait à en cultiver. À Hawaï, le limu fait partie du régime alimentaire traditionnel. En Écosse et en Irlande, le goémon blanc entre dans la composition de desserts et de certaines bières. Mais c’est aujourd’hui la Chine qui cultive le plus d’algues dans le monde, principalement destinées à être mangées.
D’après Charles Greene, aux États-Unis, c’est dans les années 1970 qu’on a commencé à s’intéresser aux algues. Les pénuries d’essence poussaient alors les scientifiques à chercher d’autres sources de combustible. De même que le maïs, les algues peuvent être transformées en éthanol et servir de substitut à l’essence. À surface de culture équivalente, les algues produisent 10 à 100 fois plus de carburant que le maïs.
« Nous avons compris comment faire pour que ces algues poussent plutôt bien. Mais il est assez coûteux de les cultiver, et le pétrole l’est assez peu », affirme Charles Greene. Cela explique selon lui pourquoi les algues ne se sont jamais imposées comme source de carburant.
Les microalgues cultivées pour la consommation humaine parviennent toutefois à se faire une place sur le marché des substituts de viande. Des entreprises comme Impossible Burger et Beyond Meat se servent de plantes pour reproduire le goût, l’aspect et la texture de la viande.
« J’étais enthousiasmé par des choses comme Impossible Foods », raconte Charles Greene. « Ces substituts à base de plantes sont produits avec des choses comme le soja et les pois, mais je le dis, les algues sont bien plus nourrissantes. Ces choses-là sont du carton par comparaison avec les algues. »
Le marché des substituts de viande ne cesse de croître (une projection prédit qu’il pèsera 12 milliards d’euros en 2029) et les algues sont sur le point de devenir un ingrédient banal dans la fabrication du bacon et des hamburgers.
Pour améliorer les substituts de viande, les algues font office d’ingrédient incontournable. Les pigments des algues rouges permettent de reproduire la couleur du bœuf. Leur umami donne un goût naturel aux substituts de fruits de mer. En outre, les nutriments comme les acides gras oméga-3 qu’elles contiennent rendent la nourriture plus saine.
UN ALIMENT D’AVENIR ?
Selon Liz Specht, vice-présidente du service science et technologie du Good Food Institute, association à but non lucratif promouvant les substituts de viande, si le recours aux algues pour nourrir un monde vorace a du sens sur le papier, il faudra encore surmonter quelques difficultés avant de pouvoir cultiver des microalgues à grande échelle.
Selon elle, lorsque l’on cultive des algues dans un bassin peu coûteux comme un étang artificiel, à un moment donné, les algues poussent si vite et deviennent si denses que la lumière ne parvient plus à se frayer un chemin et leur croissance s’arrête.
« On peut surmonter ces difficultés à l’aide de bioréacteurs plus sophistiqués équipés de LED ou bien en faisant transiter les algues dans des tubes qui offrent une plus grande surface de culture », explique-t-elle. Mais alors, la production devient particulièrement coûteuse.
Si de nouvelles méthodes de culture des microalgues voient constamment le jour, aucune n’est assez efficace pour être transposée à grande échelle, fait-elle observer.
Leurs cousines génétiques, les macroalgues, se font rapidement une place. Contrairement aux microalgues qui ont besoin d’un accès plus direct à la lumière du Soleil, les macroalgues peuvent pousser verticalement, jusqu’à 2,50 mètres sous la surface. Dans le Maine, plus grand producteur d’algues des États-Unis, leur production devrait doubler d’ici 2025.
C’est d’ailleurs dans cet État que Beth Zotter se fournit en algues pour produire son bacon à base de plantes et d’autres substituts de viande qui n’ont pas encore été dévoilés.
« Il y a là une aubaine colossale qu’on a complètement négligée, s’étonne-t-elle. Les algues devraient être la source de protéines du futur dans le monde entier. »