Cuisiner au gaz peut vous rendre malade
Les spécialistes de la santé ont pris connaissance des effets de la pollution de l’air intérieur sur les poumons des enfants il y a des décennies. Désormais, il existe d’excellentes alternatives aux gazinières.
Les polluants libérés dans l’air lors de la combustion de gaz peuvent s’accumuler pour atteindre des concentrations néfastes pour la santé et entraîner des problèmes de santé respiratoire.
La cheffe Amanda Cohen a toujours voulu cuisiner au gaz. Elle a toutefois dû se rabattre sur des plaques à induction lorsqu’elle a ouvert son restaurant Dirt Candy dans un petit local non raccordé au gaz et situé à Manhattan.
Elle en était si satisfaite qu’elle n’a jamais regretté ce choix. Si bien que lorsque son restaurant a déménagé à une adresse plus grande alimentée en gaz, la cheffe est restée fidèle aux plaques à induction et aux fours électriques.
Amanda Cohen n’est pas la seule à avoir fait ce choix. Le chef Eric Ripert a installé une cuisinière à induction à son domicile, tout comme les cuisiniers stars des réseaux sociaux Alison Roman et Jon Kung. L’équipement est aussi un incontournable des cuisines professionnelles, du centre de formation londonien Cordon Bleu aux traiteurs de tous les États-Unis.
L’induction séduit par sa précision et sa facilité d’utilisation, mais aussi parce que les plaques, dont les champs magnétiques chauffent uniquement le fond des casseroles, permettent de limiter la température en cuisine. Une autre raison pousse également les professionnels et les particuliers à adopter cette technologie : la protection de leur santé et du climat.
Un corpus de recherche remontant aux années 1970 a mis en évidence les dangers respiratoires associés à la pollution de l’air intérieur générée par les gazinières. De plus, comme les tables de cuisson au gaz fonctionnent pour certaines au méthane, un puissant gaz à effet de serre, réduire son utilisation chez les particuliers et dans les espaces commerciaux pourrait avoir un impact modeste, mais tangible sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’U.S. Consumer Product Safety Commission (Services américains de sécurité des produits de consommation) examine actuellement les risques des émissions des gazinières chez les 38 % de ménages américains qui en sont équipés et cherche des solutions visant à minimiser la pollution de l’air intérieur résultant de leur utilisation.
« Cela présente un triple bénéfice » du point de vue du climat, de la santé et de la facilité d’utilisation, remarque Brady Seals. Ce chercheur a récemment réalisé une étude qui suggère que plus de 12 % des cas d'asthme chez les enfants pouvaient être associés au fait de respirer des polluants émis par les gazinières. Environ 1 Américain sur 12 souffre d’asthme, dont cinq millions d’enfants aux États-Unis, et sa prévalence augmente.
DE « PETITES CENTRALES ÉLECTRIQUES »
Drew Michanowicz, scientifique à PSE Healthy Energy, une organisation à but non lucratif axée sur la santé publique et basée en Californie, décrit les gazinières comme de « petites centrales électriques à gaz installées dans votre domicile ». Nous passons 90 % de notre temps à l’intérieur ; nous y sommes donc fortement exposés. Lorsque le gaz brûle, il libère de nombreux irritants pulmonaires, comme du dioxyde d’azote (NO2), de petites particules et bien d’autres éléments.
C’est dans les années 1970 que des chercheurs du monde entier ont découvert que le gaz inhalé pénétrait profondément dans les poumons et provoquait des inflammations. Ils ont commencé à prouver que l’exposition sur le long terme au NO2 se traduisait par une hausse de la probabilité chez les enfants de souffrir d’asthme et qu’à court terme, l’exposition à des concentrations élevées du gaz en aggravait les symptômes.
« Lorsque vous avez de l’asthme, vos voies respiratoires sont déjà très réactives et enflammées. Une exposition régulière au gaz exacerbe vos symptômes », explique Rima Habre, spécialiste de la qualité de l’air intérieur à l’université de Californie du Sud.
L’Agence américaine de protection de l’environnement (U.S. Environmental Protection Agency, ou EPA) a promulgué sa première règlementation en matière de concentrations de dioxyde d’azote en extérieur en 1971. Celle-ci limitait l’exposition au gaz à 53 parties par milliard en moyenne sur une année. En 2010, l’EPA a ajouté une nouvelle norme : l’exposition ne doit pas dépasser 100 parties par milliard à n’importe quel moment.
Le dioxyde d’azote n’est pas uniquement problématique en extérieur ; il peut aussi s’accumuler en intérieur. Pourtant, ses concentrations ne font alors l’objet d’aucune règlementation, que ce soit aux États-Unis ou en Europe.
« Si vous cuisinez pendant une heure avec une gazinière, et que toutes vos fenêtres sont fermées parce qu’il fait froid dehors, votre exposition au NO2 sur 24 heures pourrait augmenter d’environ 25 parties par milliard », explique Laura Paulin, physicienne et scientifique à l’école de médecine Geisel de Dartmouth. La chercheuse a toutefois constaté que dans certains foyers étudiés, les concentrations dépassaient les 500 ppm lorsque les familles cuisinaient.
Patricia Fabian, spécialiste en santé publique à l’université de Boston, estime que ce problème est souvent plus grave chez les groupes vulnérables, comme les locataires, les personnes vivant dans des logements sociaux ou dans des quartiers défavorisés et habités par les minorités, ou tout autre individu n’étant pas en capacité financière de changer sa cuisine.
« Nous sommes réellement inquiets au sujet des gazinières pour les personnes dans ces situations », explique-t-elle. « Ouvrir une fenêtre donne de bons résultats si vous ne vivez pas à côté d’une autoroute polluante. Nous devons tenir compte du contexte plus large ».
LES ENFANTS PARTICULIÈREMENT EXPOSÉS
Une analyse menée en 1992 puis à nouveau en 2013 a ainsi fait le lien entre des dizaines d’études sur les gazinières, la pollution de l’air intérieur et les problèmes respiratoires. Celle réalisée en 2013 a démontré que les enfants vivant dans des foyers équipés de gazinière présentaient un risque 32 % plus élevé de souffrir d’asthme ou de développer une maladie à l’avenir.
« En tant que spécialistes, nous avons le sentiment de savoir cela depuis des années », confie Ulrike Gehring, spécialiste en santé publique et autrice de l’analyse de 2013. « À certains égards, c’est comme fumer ; nous savions que cela présentait un risque et nous avons fait attention. Mais personne ne s’était intéressé aux gazinières jusqu’à présent ».
Des chercheurs en santé ont récemment mesuré avec une plus grande précision l’exposition au NO2 à l’aide de détecteurs personnels ou de détecteurs à domicile assurant un suivi en continu. Une étude réalisée à Baltimore a découvert des concentrations atteignant plusieurs centaines de parties par milliard, souvent associées au fait de cuisiner. Ces périodes de forte exposition étaient en corrélation avec une utilisation cinq fois plus importante de l’inhalateur plus tard durant la journée ou la nuit. Ces études, et une autre menée à New York, permettent d’isoler l’impact des gazinières parmi le cocktail d’autres polluants que nous respirons au quotidien, qu’ils soient dégagés par des bougies, la fumée d’un feu de bois ou la pollution due à la circulation.
Dans une étude parue en 2014, Laura Paulin et ses collègues ont remplacé la vieille gazinière de certains domiciles par une plaque électrique, installé un filtre à air sur l’appareil ou encore une hotte aspirante au-dessus de la gazinière. Ils ont constaté que la solution la plus efficace pour réduire les concentrations de NO2 était de remplacer la gazinière : cela permettait de réduire les concentrations du gaz de moitié environ.
Pour Meyer Kattan, pédiatre et spécialiste de la qualité de l’air à l’université de Columbia, la question n’est pas de dégager des statistiques précises sur le niveau de dangerosité que les gazinières présentent pour les poumons des enfants et des adultes.
Nous savons qu’elles présentent un danger, dit-il. « Combien d’études supplémentaires démontrant que les recommandations sont insuffisantes nous faut-il encore ? »
UNE MENACE POUR LE CLIMAT
Les gazinières représentent un faible pourcentage de la consommation en gaz naturel de la plupart des foyers. Mais si vous additionnez celle de 40 millions de ménages à travers les États-Unis, cela représente des émissions annuelles de gaz à effet de serre comparables à celles de 500 000 voitures.
« Nous sommes en bout d’oléoduc », constate Drew Michanowicz. « Il est enterré, caché, conçu pour ne pas être vu, pour être oublié. C’est une incroyable forme de dépendance au système des énergies fossiles ».
De nombreuses analyses démontrent en effet que sortir des énergies fossiles et électrifier nos maisons et bâtiments est essentiel pour atteindre la décarbonation à l’échelle mondiale.
FAUT-IL REMPLACER VOTRE GAZINIÈRE ?
Si vous n’êtes pas asthmatique ou que vous ne souffrez pas d’une autre maladie respiratoire, vous n’avez sans doute rien à craindre des polluants dégagés par votre gazinière, en particulier si vous l’utilisez correctement, souligne Rima Habre.
Les bons réflexes à adopter sont d’ouvrir la fenêtre lorsque vous cuisinez, d’utiliser les brûleurs les plus éloignés de soi et d’allumer la hotte aspirante dès que vous allumez un brûleur, et d’éviter de cuisiner trop longtemps sur la table de cuisson ou avec un four au gaz.
Des gestes que nous sommes néanmoins trop peu nombreux à mettre en pratique. Des tests menés au sein de foyers californiens ont ainsi démontré que même les hottes conformes n’éliminaient qu’environ la moitié de la pollution au NO2 causée par les gazinières. En outre, nous n’allumons pas systématiquement, pour la plupart, notre hotte dès que nous cuisinons.
Pour ceux qui veulent changer leur gazinière, la liste des alternatives ne cesse de s’allonger. Et aux États-Unis par exemple, l’Inflation Reduction Act (loi américaine pour lutter contre l’inflation) prévoit des mesures incitatives pour aider à financer les tables de cuisson qui ne fonctionnent pas au gaz.
Rachelle Boucher, spécialiste des plaques de cuisson à induction et ancienne cuisinière personnelle, a un tour dans son sac : le test de « l’eau des pâtes ». Elle emmène les acheteurs potentiels dans un magasin d’exposition de plaques à induction et met une casserole d’eau à bouillir.
Elle bout « si vite qu’ils en restent comme deux ronds de flan », raconte-t-elle.
Le chef Jon Kung adore l’induction, même pour cuisiner au wok à très haute température, un style de cuisson que certains pensaient impossible sans gaz. C’est lorsqu’il travaillait en Chine qu’il a vu des tables à induction partout, une technologie qui offrait « plus de sécurité, plus de confort et qui était plus fiable et plus propre », décrit-il.
Il est récemment passé au tout électrique dans la cuisine de sa maison. « J’adore », confie-t-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.