Amazonie : comment la culture illégale de la coca menace la biodiversité
Depuis la pandémie de COVID-19, les activités illégales dissimulées dans la forêt amazonienne ont drastiquement augmenté, leur présence menaçant aussi bien les chercheurs que la biodiversité qu’ils étudient.
Si la culture de la feuille de coca est légale dans certaines conditions, sa cultivation illégale et sa transformation en cocaïne posent de nombreux problèmes de sécurité dans la forêt amazonienne.
« Les narcotrafiquants et les biologistes ont le malheureux point commun de s’intéresser aux endroits où personne ne va », explique le Dr. Edgar Lehr. « Il arrive forcément un moment où la rencontre devient inévitable. »
C’est au cours d’une expédition dans la réserve d’Otishi, au Pérou, que l’équipe du Dr. Lehr a pu confirmer cette observation. La zone étudiée, située à plus de 3 000 mètres d’altitude dans une zone encore inexplorée présentait un important potentiel pour les biologistes et a notamment permis la découverte du lézard Proctoporus titans.
Mais ils n’étaient pas seuls et bientôt les scientifiques ont dû composer avec la présence de narcotrafiquants. Bien que les deux groupes ne se soient pas rencontrés, les chercheurs ont préféré repartir une semaine plus tôt pour éviter tout risque. Un problème malheureusement courant dans la forêt tropicale.
« Il y a de nombreux problèmes de sécurité [dans la forêt amazonienne] », souligne le Dr. Alessandro Catenazzi, maître de conférences de la Florida International University. « Ils sont aussi causés par des groupes terroristes […] et des mines illégales qui sont dans tous les pays d’Amazonie. »
Au cours de la pandémie de COVID-19, les activités illégales qui avaient cours dans les confins de la forêt amazonienne ont augmenté, faute de contrôles. Plus qu’une véritable opposition aux activités scientifiques, la présence de ces acteurs de l’ombre dans des zones particulièrement sensibles est un risque à la fois pour les scientifiques, pour les communautés autochtones et la biodiversité de la forêt amazonienne.
POUR UNE POIGNÉE DE FEUILLES DE COCA
Dans le cas du Dr. Lehr et de son équipe, il n’aura fallu que quelques heures pour que les chercheurs réalisent la présence de membres d’un cartel dans la même région, en découvrant un camp abandonné de transporteurs.
« Le camp était ancien, nous avons donc émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’une tentative d’exploration », raconte Dr. Edgar Lehr. « Cependant, lorsque nous avons utilisé les talkies-walkies pour rester en contact après nous être séparés, nous avons entendu leurs conversations. Nous avons alors compris qu’ils étaient très proches. »
Si la présence de narcotrafiquants ou de toute autre personne dans une zone aussi reculée est particulièrement surprenante, le phénomène se vérifie dans toute la forêt amazonienne. Le principal enjeu ? La culture de la coca, la plante à l’origine de la production de la cocaïne. Une fois récoltées, les feuilles sont ensuite transformées en pâte, généralement sur place, puis transportées ailleurs afin d’être raffinées.
Au Pérou, la culture de la feuille de coca a été rendue légal dans certaines circonstances particulièrement régulées. La consommation traditionnelle, généralement mâchée telle quelle comme stimulant, aussi bien par la population que par les touristes est quant à elle tolérée.
« Ce n’est pas parce qu’une étude se déroule à proximité d’une plantation de feuilles de coca que cette dernière est forcément reliée à quelque chose d’illégal, ce n’est pas noir ou blanc », explique le Dr. Catenazzi. « Beaucoup de cultivateurs vendent [ces feuilles] dans un cadre légal. »
Selon le chercheur, sa production est strictement légiférée, les producteurs, qui doivent être déclarés, se voyant autorisés à exploiter une surface précise. Les feuilles de coca cultivées ne peuvent ensuite être vendues qu’à la société ENACO liée à l’État péruvien. Toutefois, de nombreux producteurs continuent de vendre au marché noir, à des acheteurs prêts à les payer bien plus cher.
Des zones de cultures illégales perdurent, généralement dans des zones particulièrement reculées. Ces parcelles sont alors rasées et intégralement dédiées à la culture de la coca.
« Les trafiquants ne se soucient bien sûr pas de la biodiversité », regrette le Dr. Lehr. « En plus de la déforestation, de nombreux pesticides et engrais sont utilisés et les déchets du raffinement sont très souvent rejetés directement dans la forêt et les cours d’eau. »
« Malheureusement, les cultures sont là pour répondre à une demande. La coca se vendra toujours plus cher que le café ou le cacao, il est très improbable de les voir disparaitre », ajoute Alessandro Catenazzi.
Si les cartels utilisent majoritairement les structures déjà établies pour leurs trafics, les zones reculées es poussent à déboiser certaines zones pour les utiliser à leur avantage.
Ici, la piste d'atérissage proche de la réserve d'Otishi.
UNE INFLUENCE GRANDISSANTE
Les pays d’Amérique latine, affaiblis par l’épidémie de COVID-19, ont vu les opérations de lutte contre la drogue reculer. La crise et les manquements des gouvernements ont ouvert de nouvelles opportunités aux cartels. En plus du trafic de matériel médical, les organisations criminelles ont renforcé leur emprise sur les populations locales grâce à plusieurs procédés allant des opérations caritatives dans les favelas à la torture et à l’exécution des populations indigènes.
L’équipement utilisé par les cartels s’est aussi perfectionné avec le temps, l’utilisation de drones de surveillance ayant déjà été recensée, notamment par l’équipe du Dr. Lehr. Des structures importantes telles que des laboratoires et des aéroports illégaux peuvent également être observées par satellite au milieu de la forêt.
« Quand nous sommes revenus, nous avons eu la confirmation que la zone où nous étions étaient une voie d’acheminement des cargaisons jusqu’à l’aéroport », explique le Dr. Lehr. « Lorsque nous avons fait une reconnaissance de la zone avant notre expédition, il n’était pas encore visible, mais lorsque que les images ont été mises à jour, il était parfaitement observable. »
« Il n’y a rien de surprenant à trouver des zones d’atterrissage illégales dans des endroits aussi reculés. Ils ont toujours existé. Dans les années 1990, [les avions des cartels] pouvaient aller jusqu’à atterrir sur les routes », explique Alessandro Catenazzi. « La plupart du temps les trafiquants tirent parti de structures légales déjà existantes […] mais dans des endroits aussi isolés, c’est leur seul moyen de transporter la marchandise. »
Un homme distribue des feuilles de coca pendant la cérémonie. Les feuilles de coca jouent un rôle important pour les communautés quechua, notamment lors de la cérémonie de renouvellement du pont.
UN PROBLÈME AUX MULTIPLES FACETTES
Contrairement à de nombreuses drogues possédant aujourd’hui des équivalents chimiques, tels que les opiacés de synthèse, la cocaïne repose toujours intégralement sur la culture de la coca.
Souvent directement associée à la cocaïne, la coca est avant tout liée à la culture des Andes. Bien plus ancienne que les cartels apparus au cours des années 1970 ou même que la drogue dont elle est à l’origine, son interdiction a même été qualifiée de « génocide culturel » par le sociologue bolivien José Mirtenbaum dans son œuvre.
« C’est une activité historique et traditionnelle. La recette originale du Coca-Cola utilisait les feuilles et elle était utilisée dans plusieurs médicaments », précise le Dr. Catenazzi. « La production de la cocaïne a un historique plus compliqué et ancien que certaines drogues dont la vente est plus récente et, en quelque sorte, une anticipation de la demande par les cartels. »
Si certains groupes criminels d’Amérique latine trouvent leurs racines dans les mouvements socialistes des années 1980, le trafic de drogue est depuis plusieurs années devenu un marché répondant à une demande en constante évolution.
Ainsi, si les cartels ne visent pas directement les équipes de chercheurs, leur présence doit être constamment prise en compte dans la planification des études afin d’éviter tout incident.
« [Les cartels] ne cherchent pas à attirer l’attention. Tant que la présence des scientifiques est connue et que leurs activités ne les dérangent pas, les cartels ne se font généralement pas remarquer » explique le Dr. Catenazzi. « Les zones les plus dangereuses sont la plupart du temps plus ou moins connues et les scientifiques évitent tout simplement d’y aller. »
Cette nécessité d’évitement engendre de nombreuses limitations, plusieurs territoires d’Amazonie étant trop dangereux pour être approchés par les chercheurs. Les activités des trafiquants peuvent également être une menace de par leur nature propre, la déforestation et les différents produits chimiques utilisés pouvant entraîner des dégâts dramatiques pour la biodiversité.
Dans le cas de la vallée d’Otishi, de nombreuses espèces se retrouvent ainsi menacées avant même d’avoir pu être étudiées.
« [La vallée d’Otishi] est si reculée que croiser des gens là-bas revenait à rencontrer quelqu’un sur la Lune », conclut le Dr. Lehr. « Mais maintenant que nous savons que les trafiquants y sont, elle ne sera plus accessible pendant plusieurs années. »