Exploitation minière en eaux profondes : comment protéger la biodiversité ?
La lutte pour la protection des cétacés s’intensifie face au projet d'exploitation minière en eaux profondes.
Les baleines à bosse profitent des eaux chaudes de l'océan Pacifique, proche des îles Tonga.
Les inquiétudes et la mobilisation ont augmenté face à la pression de l'industrie pour démarrer rapidement l’exploitation minière en eaux profondes, qui représente une menace directe pour la biodiversité marine. Actuellement, vingt-quatre pays, dont la France, appellent à un moratoire afin de prévenir le démarrage de cette activité.
Pour contrer cette menace, François Chartier, chargé de campagne océan au sein de l'ONG Greenpeace, insiste sur l'importance d'agir, la nécessité de sensibiliser le public, de soutenir les organisations de protection des océans et des cétacés. Il est crucial, assure-t-il, de faire pression sur les gouvernements et les entreprises afin de mettre fin à ce projet, pour préserver les océans et la biodiversité qu'ils abritent. Entretien.
Quelles sont les conséquences de l’extraction minière en eaux profondes ?
Les connaissances actuelles sur l'extraction minière en haute mer indiquent que les menaces pour les écosystèmes sont extrêmement importantes. En enlevant les nodules qui se trouvent sur les plaines abyssales, l’écosystème qui y est attaché, comprenant diverses espèces est détruit, ce qui affecte directement la biodiversité.
De plus, les nodules contiennent des métaux rares et toxiques, ce qui présente un risque de contamination. Le processus d’extraction libère des particules toxiques et génère un panache de sédiments, provoquant une pollution et affectant la biodiversité des grands fonds ainsi que toute la chaîne alimentaire, y compris les espèces pélagiques, telles que les thons, les grands poissons et les cétacés. Étant donné la croissance lente et la maturation tardive des espèces de cet écosystème, même un impact mineur peut avoir des répercussions à long terme. Des études récentes ont mis en évidence l’impact catastrophique sur les pieuvres des grands fonds.
Comment évaluez-vous l’ensemble des risques ?
L’évaluation globale des risques liés à l’exploitation des écosystèmes marins profonds est complexe et requiert plusieurs mesures. D’abord, il est nécessaire de se baser sur les tests effectués et les études approfondies pour modéliser les impacts potentiels de cette exploitation. Cependant, la connaissance de ces écosystèmes reste limitée en raison de leur profondeur extrême, ce qui rend l’étude difficile. Nous savons toutefois qu’il existe une biodiversité importante dans ces zones, où chaque exploration révèle de nouvelles espèces.
L’un des principaux risques pour l’environnement le plus proche est lié au panache, qui est généré lorsque les nodules sont extraits par un collecteur et transportés via un tuyau. Ce processus soulève des sédiments qui se propagent dans les environs.
Bien que le panache ne semble pas avoir un impact immédiat sur les zones avoisinantes du collecteur, il peut néanmoins affecter la biodiversité du fond marin qui se nourrit des éléments qui tombent de la surface de la mer. La croissance de cette biodiversité est très lente car il y a une quantité limitée de substances nutritives qui atteignent les profondeurs. En recouvrant cette vie marine, vous pouvez la priver des éléments nutritifs nécessaires et le mettre en danger.
Il est probable qu'il y ait un impact sur le climat également. Le sédiment joue un rôle dans le stockage du carbone, et redistribuer ce sédiment dans la colonne d'eau peut potentiellement affecter la capacité de l'océan à stocker du carbone. Cela ne signifie pas que le carbone libéré remontera à la surface et augmentera les niveaux de CO2 dans l'atmosphère, mais certaines hypothèses suggèrent que cela pourrait altérer le fonctionnement des cycles océaniques en tant que pompe à carbone.
Quelles sont les conséquences de l’extraction minière sur les fonds marins et les baleines ?
Les opérations de dragage et de forage perturbent les habitats marins en enlevant des couches de sédiments, ce qui peut causer des dommages irréparables pour les habitats marins. Les connaissances sur les cétacés permettent de prévoir des conséquences similaires à celles de l'industrie pétrolière offshore. La présence de lumières et de bruit dans ces zones sombres et silencieuses interfère avec le fonctionnement naturel de la biodiversit et ces nuisances affectent la capacité des baleines à se repérer, à comprendre et à analyser la géolocalisation, qui repose sur un système de sonar.
Les zones tropicales et équatoriales sont particulièrement importantes pour les baleines, car elles y migrent pour l'éducation, l'allaitement et la reproduction pendant l'hiver austral. C'est dans ces zones que le risque de perturbation des baleines est le plus élevé. Dans les zones d’alimentation des baleines, en particulier pour les migratrices telles que les baleines à bosse, elles ont tendance à se nourrir abondamment pendant la saison estivale australe, accumulant ainsi de la graisse et des réserves alimentaires. Par conséquent, pendant leur période de reproduction, elles sont moins actives sur le plan alimentaire. En revanche, des espèces comme les cachalots se nourrissent dans les profondeurs océaniques, descendant jusqu’à 3 000 m de profondeur.
Schéma montrant les impacts potentiels de l'exploitation minière en eaux profondes sur les écosystèmes marins. Le schéma n'est pas à l'échelle.
Ce n’est pas tant des mesures restrictives ou des réglementations que vous demandez mais bien l'interdiction de l'exploitation minière ?
Absolument ! Si, il y a cent cinquante ans, nous avions pu prévoir les risques de dérèglement climatique associés à l'industrie pétrolière, nous ne serions pas confrontés aux problèmes d'aujourd'hui. Nous avons donc l'opportunité d'éviter une destruction majeure des océans en interdisant totalement l'extraction minière. Sur ce point, nous sommes d'accord avec le président Macron et de nombreux scientifiques partagent cet avis. Cependant, pour convaincre de ne pas démarrer cette activité, il est nécessaire de donner plus de temps à la science pour approfondir ses connaissances sur les risques et les menaces, ainsi que pour compléter les informations qui nous font défaut. Il y a un risque que la Norvège donne son autorisation, ce qui serait vraiment préoccupant car cela créerait un précédent inquiétant et ajouterait une menace supplémentaire à l'écosystème de la zone arctique, qui est bien plus vulnérable que les zones tropicales.
De quels moyens disposez-vous pour stopper ce projet ?
Pour stopper ce projet, nous nous appuyons sur l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), basée à Kingston en Jamaïque et mandatée par les Nations unies. Cette autorité travaille à l'élaboration d'un code minier qui encadrerait l'exploitation des fonds marins, en incluant des règles environnementales, de partage des bénéfices, de royalties et de contrôle. La discussion autour de ce code s'est accélérée en raison de ce projet d'extraction minière.
Notre objectif est d'établir un moratoire, similaire à celui en place depuis 1986 pour la chasse à la baleine, qui serait voté par l'AIFM. Ce moratoire stipulerait qu'il ne peut y avoir d'exploitation minière tant que la science ne peut pas garantir qu'elle n'aura pas de conséquences graves sur l'écosystème marin. Nous savons que la science démontre qu'une telle garantie n'est pas possible. Avec ce cadre juridique, nous pouvons empêcher la dynamique autour du code minier pour démarrer l'exploitation minière dès l'année prochaine, comme certains acteurs économiques le souhaitent. La menace est imminente.
Ce moratoire est à la fois le seul moyen juridiquement et techniquement efficace pour stopper le projet. Nous bénéficions du soutien de 24 pays et avons déjà entamé des discussions avec certains États, dont la France, le Chili, le Costa Rica et le Brésil. En tant qu'ONG, nous travaillons étroitement avec ces pays. Nous souhaitons que le moratoire puisse être discuté lors de l'assemblée générale de l’AIFM à Kingston en juillet prochain, avec pour objectif son adoption effective en juillet 2025.
Dans le cas où certains pays autoriseraient l'extraction minière sur leurs territoires, Greenpeace et d'autres organisations gouvernementales disposent-elles de leviers pour obtenir une régulation et une réglementation strictes ?
Le premier levier essentiel est de se battre et de se mobiliser pour empêcher le démarrage de l'exploitation minière. C'est notre priorité, comme mentionné précédemment. Cette lutte peut être plus facile en Norvège, mais plus complexe dans des endroits comme les îles Cook, où ils travaillent sur un code minier visant à développer l'activité dans leurs eaux. Le deuxième levier concerne l'aspect économique. Il est important de noter que l'extraction des nodules n'a de valeur que si ces derniers peuvent être vendus. Il est nécessaire de les transformer et d'avoir les infrastructures pour créer de la valeur ajoutée. De nombreuses entreprises automobiles se sont engagées à ne pas utiliser de minerais provenant des grands fonds marins, si leur exploitation n'est pas réglementée. C'est donc le levier du marché : pas de demande, pas d'extraction.
Revenons à la vulnérabilité des cétacés dans leur milieu. Il faut prendre en compte non seulement les risques liés à l'exploitation minière, mais aussi les autres menaces auxquelles ils font face…
C’est une question importante. L'exploitation minière peut potentiellement ajouter une pression supplémentaire sur des espèces déjà vulnérables en raison d'autres activités humaines. Il est important de noter que certaines populations de cétacés, comme les baleines à bosse, peuvent se rétablir progressivement lorsque la pression sur elles est réduite, ce qui montre qu’en déployant des efforts appropriés la conservation peut fonctionner. Malheureusement, en plus de l’exploitation minière et des activités pétrolières qui perturbent leur environnement, les activités militaires utilisant des sonars et pratiquant des tests sismiques peuvent, elles aussi, avoir des effets catastrophiques. Les lésions constatées après des échouages massifs et réguliers de cétacés sur les côtes californiennes et de Madagascar le prouvent. Autre enjeu majeur : les collisions mortelles avec des navires, en particulier en Méditerranée.
Un militant tient une banderole sur laquelle on peut lire "Stop Deep Sea Mining" (Halte à l'exploitation minière en eaux profondes). Le navire de Greenpeace se trouve dans la zone Clarion Clipperton, dans le Pacifique, pour témoigner de l'industrie minière en eaux profondes. Cette action s'inscrit dans le cadre de la campagne "Protect the Oceans" (Protégeons les océans).
Pensez-vous être entendus et bénéficiez-vous de soutiens ?
Le sujet d’exploitation minière est relativement récent, il a émergé il y a environ deux ans. Nous avons rapidement lancé une pétition et nous constatons que cela fonctionne, que le sujet interpelle et mobilise. D'autres bureaux de Greenpeace se sont joints à nous, et nous avons rapidement atteint le soutien d'un million de personnes. Il y a une véritable mobilisation autour de cette cause. Lorsque nous médiatisons cet enjeu, il y a une prise de conscience. Les gens comprennent l'importance et l’aberration de cette perspective pour les océans.
Nous avons des alliances avec d'autres organisations telles que Sea Shepherd et d'autres. La coalition des ONG fonctionne très bien sur ce sujet, que ce soit au niveau international à Kingston ou au niveau local avec des organisations comme le WWF. En France, nous constatons également une bonne collaboration avec un cercle plus large de soutien comprenant des organisations telles que Sea Shepherd, Blue Marine Foundation, et la Fondation de la Mer, parmi d'autres. Le sujet de l'exploitation minière en haute mer fait consensus au sein de la communauté des ONG, qu'elles soient très militantes ou plus consensuelles, sans aucun désaccord notable.
Les campagnes citoyennes semblent bien fonctionner…
Il y a deux ans, lorsque le plan de relance 2030 du gouvernement incluait un volet sur les grands fonds avec pour objectif d'exploiter ces zones pour relancer l'économie française, notre mobilisation et notre travail de sensibilisation ont porté leurs fruits. Un an plus tard, Emmanuel Macron a pris la décision la plus ambitieuse en annonçant une interdiction totale de l'exploitation minière en haute mer. Cette décision n'est pas survenue par hasard. Elle est le résultat du travail de campagnes publiques, de notre collaboration avec les ministères et l'ambassadeur des océans. Les campagnes publiques ont été efficaces et notre travail a été récompensé.
Manifestation contre l'exploitation minière des fonds marins à Brest, France.
Quelles sont les prochaines échéances ?
La prochaine échéance importante politiquement est la prochaine discussion avec l'Autorité Internationale des Fonds Marins à Kingston en juillet prochain. Nous espérons que d'ici là, nous aurons réussi à mobiliser davantage de pays pour entamer une première discussion, car les négociations ne se font jamais d’un seul trait. Notre objectif est d'obtenir un vote en faveur du moratoire en juillet 2025, ce qui est très ambitieux, mais réaliste. Un autre événement important d'ici là est la conférence des Nations unies organisée à Nice par la France et le Costa Rica, où nous pouvons espérer une forte mobilisation de la société civile et du monde politique en faveur du moratoire.
Beaucoup d’espoir donc pour les fonds marins et les baleines ?
Absolument ! Même si la bataille n'est pas encore gagnée. Il reste des pays importants à convaincre, comme la Chine. Cependant, en mars 2023, nous avons enfin obtenu la signature de l'accord sur la protection de la haute mer par les Nations Unies, ce qui était loin d'être acquis. Il existe donc une dynamique positive au niveau international pour le moment, mais il est important de rester mobilisés pour maintenir cet optimisme.
Un autre enjeu important pour nous est d'intégrer la parole, les savoirs et les traditions des peuples autochtones du Pacifique. Leur héritage culturel intangible est d'une importance capitale, notamment dans leur relation traditionnelle avec l'océan et le grand large. Nous avons invité des représentants des nations autochtones du Pacifique, comme de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou des îles Cook, à participer à nos réunions en tant qu'observateurs à l'AIFM. Cela nous permet de porter leur voix. Je fais le lien avec les cétacés, car dans la culture maritime traditionnelle des peuples polynésiens et mélanésiens, le rôle des grands cétacés est extrêmement important. Ainsi, dans notre combat pour la protection des fonds marins, en intégrant ces aspects, la boucle est bouclée.
Une carte animée montrant le chevauchement entre la distribution des baleines et des dauphins et la zone de Clarion-Clipperton.