Angleterre : comment sauver les rivières crayeuses ?

Les dégâts causés par l’Homme ont commencé il y a des milliers d’années, et sont allés crescendo. Urbanisation et agriculture ont allègrement pollué ces rivières émergeant d’une roche blanche et poreuse. Leurs défenseurs œuvrent à leur redonner vie.

De Adam Nicolson
Photographies de Charlie Hamilton James
Publication 9 mai 2024, 11:41 CEST
Simon Cain, un des pionniers de la restauration des rivières, pêche dans le Bourne, dans le Hampshire. Le ...

Simon Cain, un des pionniers de la restauration des rivières, pêche dans le Bourne, dans le Hampshire. Le lit du ruisseau était très profond du fait des curages, et envasé. Il lui a rendu ses graviers et revitalisé son écologie.

PHOTOGRAPHIE DE Charlie Hamilton James

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Aventurez-vous dans un chalk stream, une « rivière crayeuse », d’un mètre de profondeur, à l’ombre des saules et des aulnes, et vous serez saisi par la vigueur et la fraîcheur de l’eau sur vos jambes.

À vos pieds, le gravier scintille au soleil. Autour de vous, le flot s’écoule en un courant soutenu et régulier, jamais trop pressant. Parce qu’elles sont alimentées par des sources et que peu de vase s’y dépose, les eaux des rivières crayeuses sont limpides comme celles d’un aquarium. Les truites qui y vivent semblent comme suspendues dans les airs. 

Ces cours d’eau tiennent leur qualité de la roche sur laquelle ils s’écoulent : alcalins, riches en minéraux, contenant du carbonate de calcium dissous et quasiment dépourvus de sédiments, ils parcourent de nombreux kilomètres sur un lit immaculé de gravier de silex avant d’atteindre la mer. Provenant de sources issues de profonds aquifères de craie, ils sillonnent des vallées aux rives bordées de menthe aquatique et de touffes de myosotis des marais, souvent envahis d’un épais manteau végétal foisonnant de vie. N’étant pas sujets aux inondations des cours d’eau qui courent sur des roches plus dures, ils coulent avec constance au cœur des douces ondulations des régions crayeuses du sud et de l’est de l’Angleterre.

La craie est une forme pure de calcaire, composée de minuscules exosquelettes d’organismes marins. On en trouve des dépôts partout dans le monde, mais, en Angleterre, les répercussions géologiques de l’élévation des Alpes, il y a 40 millions d’années, se sont traduites par la remontée d’une épaisse couche de craie à la surface. Poreuse et fissurée, elle est composée à 40 % d’espaces entre les grains de roche. Quand la pluie tombe sur un sol crayeux, elle met parfois plusieurs mois à s’infiltrer dans les collines. C’est la raison pour laquelle les rivières crayeuses parviennent à une sorte d’équilibre. Elles ne provoquent pas d’inondations lorsque des orages surviennent et elles continuent de s’écouler en cas de sécheresse. L’eau acquiert la température de la roche –de 10 à 12 °C, toute l’année. Tout cela est gage de stabilité pour les plantes et les animaux qui peuplent ces rivières.

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    Si vous plongiez avec masque et tuba dans ce genre de cours d’eau, vous vous retrouveriez dans « un autre monde, si passionnant qu’il vous absorbe totalement », explique Nicola Crockford, plongeuse de rivière invétérée et membre de la Société royale pour la protection des oiseaux (RSPB). Voyez la pleine floraison des renoncules aquatiques, dont les fleurs blanches se déploient d’abord sous l’eau, et ces massifs de callitriches des étangs au vert brillant, à l’abri desquels évoluent truites et ombres. Sur le lit de graviers, des larves de phryganes ressemblent à de minuscules bâtonnets. De jeunes truites de moins d’un an, le ventre strié de rayures fauve, font du sur-place à contre-courant, frémissantes. Plus loin, de plus gros poissons restent tapis dans l’obscurité verte du ruisseau. 

    Ceux qui fréquentent ces cours d’eau en parlent avec un amour non dissimulé. Zam Baring, qui gère avec son frère et ses sœurs le domaine « The Grange », à Itchen Stoke, dans le Hampshire –un des principaux vignobles d’Angleterre connu pour ses vins pétillants– aime à dire que ses vignes « ont la tête dans les tréfonds crayeux du Hampshire et les orteils dans la source pétillante de l’Itchen ». Patauger dans l’affluent qui s’écoule en bas du domaine, affirme-t-il, c’est « gagner un paradis flottant ». Ce passionné de pêche, vice-président du Wessex Rivers Trust, une organisation de protection et restauration des cours d’eau du Wessex, l’affirme: « On trouve des merveilles de toutes sortes dans quelques millimètres d’eau. »

    L’Anton, dans le Hampshire, est assez saine pour abriter truites et ombres. En revanche, une eau trouble signale un problème, tels des effluents pollués venant des routes et des fermes.

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    Ces rivières ne sont pas l’apanage d’une lointaine nature sauvage. Selon l’auteur et journaliste Charles Rangeley-Wilson, lui aussi grand amateur de pêche, les rivières crayeuses, « c’est la beauté sur le pas de votre porte. […] Mais, parce qu’elles sont sur le pas de votre porte, elles sont aussi très menacées. » 

    Les dégâts causés par l’Homme ont commencé il y a des milliers d’années, et sont allés crescendo à partir du milieu du 20e siècle. Urbanisation et agriculture ont allègrement pollué ces rivières. Les propriétaires de terres ont tantôt endigué, tantôt élargi leur cours, ralenti leur débit, éliminé leurs méandres naturels et enlevé les arbres morts qui, s’ils compliquent l’existence des pêcheurs, bénéficient pourtant aux poissons ainsi qu’à d’autres formes de vie aquatique. 

    Freiner le débit d’une rivière crayeuse n’est pas sans conséquences : d’épaisses couches de vase s’installent sur son lit et en recouvrent les graviers, autant d’espaces normalement propres et aérés dont la truite et le saumon ont besoin pour pondre leurs œufs. Les plantes bénéfiques –pouponnières des invertébrés– ne poussent que dans des eaux claires et vives. Sans elles, les indispensables populations d’insectes –les nombreuses espèces d’éphémères, de plécoptères et de trichoptères– s’effondrent. Et, sans insectes, pas de poissons : ni truites saumonées, ni ombres… Enfin, sans poissons, pas de loutres – et nulle trace de la vie palpitante qui caractérise ces cours d’eau.

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