"C’est ma manière de mener le combat" Lucie Basch, cofondatrice de Too Good to Go
Lucie Bash, cofondatrice de l’application anti-gaspillage alimentaire Too Good to Go, téléchargée plus de 50 millions de fois, lance un nouveau projet pour démocratiser le partage d’objets. Elle est ce mois-ci à l’honneur dans notre magazine.

Lucie Basch, cofondatrice de Too Good to Go, une application pour lutter contre le gaspillage alimentaire, se lance dans une nouvelle aventure : le partage d'objets avec Poppins.
À la tête de l’une des plus grandes applications au monde contre le gaspillage alimentaire, et fondatrice d’une toute nouvelle application de partage d’objets (« Poppins »), Lucie Basch n’a pourtant pas toujours eu l’écologie chevillée au corps.
Ingénieure diplômée de Centrale Lille, elle a même démarré sa vie professionnelle sur des rails tout à fait conventionnels, décrochant après ses études un emploi de responsable d’usine dans une grande entreprise agro-alimentaire. Mais il n’a pas fallu longtemps pour que le train de Lucie déraille. Le cocktail explosif entre ce qui se produisait sous ses yeux et son éducation, celle d’une enfant sommée de finir son assiette pour ne pas gâcher. « Il fallait que la chaîne tourne le plus vite et le moins cher possible, même si cela impliquait de jeter de la nourriture. Tant que les coûts marginaux des produits diminuaient, l’entreprise célébrait cela comme un succès ». Elle regardait, effarée, ces tonnes d’aliments partir à la poubelle sous les applaudissements de ses supérieurs.
Des pratiques loin d’être minoritaires : selon une récente étude du WWF, plus d’un tiers de la nourriture produite dans le monde est gâchée. « J’investis toujours beaucoup de temps et d’énergie dans ce que je fais. Là, je ne pouvais pas cautionner » poursuit Lucie Basch. Alors elle démissionne et crée une start-up à seulement vingt-quatre ans. Lors d’un voyage en Scandinavie, elle rencontre les co-fondateurs de sa future application. Puis elle réunit des fournisseurs, une équipe technique et se met à démarcher les commerçants. En 2016 naît Too Good to Go. Le principe : connecter les consommateurs avec des restaurants, des commerces de bouche et des supermarchés qui écoulent leurs invendus à la fin de la journée, le tout à prix cassé. C’est un immense succès. L’application compte désormais près de 100 millions d’utilisateurs, selon Too Good to Go. Lucie Basch n’a plus quitté son costume de CEO, et multiplie les projets.

Tas de déchets alimentaires, dont une grande variété de fruits et légumes encore propres à la consommation. En 2021, rien qu'en France, nous ne produisions pas moins de 8,8 millions de tonnes de déchets alimentaires, soit près de 129 kg par personne.
Dernier en date : Poppins. Une application au nom en forme de clin d’œil au grand sac toujours plein d’objets de Mary Poppins. Lancé en avril 2025, ce « bon coin » 2.0 entend « démocratiser le partage ». L’utilisateur géolocalisé peut trouver à proximité de chez lui la perceuse, le four à pizza ou le livre qui lui manque, pour l’emprunter ou le louer.
D’autres sites se sont déjà essayés au partage d’objets, « mais nous proposerons toutes les options disponibles : des voisins, des loueurs professionnels, des bibliothèques d’objet… Et puis, on ne lance pas la même application en 2015 qu’en 2025 » souligne Lucie Basch. Les photos seront pimpées grâce à l’intelligence artificielle, histoire de donner envie d’emprunter plutôt que d’acheter.
Rendre la transition écologique cool et branchée est une des batailles de Lucie Basch. « On veut sortir du côté assez niche des applications et des sites de partage d’objets. Les ressourceries, les recycleries et les bibliothèques sont des endroits géniaux, mais bien trop peu visités » souligne la trentenaire. « Il n’y a que 250 000 personnes inscrites aux Bibliothèques de Paris » illustre-t-elle, en ajoutant : « chaque personne possède en moyenne 10 000 objets, dont 80 % que nous utilisons seulement une fois par mois. Nous nous retrouvons dans des immeubles en ville avec chacun notre perceuse dans notre appartement. Je toque fréquemment à la porte de mes voisins pour leur emprunter des objets. L’idée de l’application Poppins est venue de là. C’est une manière de rendre visible une sorte de grand placard commun dans le quartier » explique la CEO.
Elle n’en est plus à son coup d’essai. Après Too Good To Go, elle a aussi créé la Climate House, un espace de 2 000 m² à Paris où des dirigeants de grandes entreprises viennent se former - entre autres - à l’écologie. Là, des chercheurs comme Olivier Hamant « qui insiste sur l’importance de la robustesse plutôt que de la performance », et le biologiste Gilles Boeuf viennent donner des conférences pour sensibiliser des géants du capitalisme au sort de notre planète.

Les Fondateurs de Poppins, de gauche à droite Jonas Mallisse, Lucie Basch, Loïck Le Digabel, Franco Prontera.
« C’est ma manière de mener le combat. Certains disent qu’il faut tout détruire pour tout reconstruire derrière. Mais pour moi la réponse se trouve entre petits pas et radicalité. Je trouve des solutions pour aller vers le moins pire, puis pour faire différemment. Dans un modèle capitaliste, le plus efficace pour avancer selon moi, c'est une entreprise avec un modèle économique » rapporte la fondatrice de Too Good to Go - Too Good to Go France rapporte un chiffre d'affaires de 30 millions d’euros en 2023. Un chiffre « directement corrélé à la lutte contre le gaspillage alimentaire, puisque nous prenons un euro par repas sauvé » souligne-t-elle.
Ce succès a permis un destin international. L’application est désormais présente dans 19 pays. Lucie Basch s’est d’ailleurs rendue en personne aux États-Unis, en 2020, pour y lancer Too Good to Go et poursuivre sa grande croisade anti-gaspi. « À la douane, on m’a demandé si je venais pour des vacances ou du business. J’ai répondu "business" sans tout à fait y croire ». Cela a pourtant fonctionné. L’application existe désormais dans plus d’une vingtaine de villes américaines.
Cette frénésie n’a pas fait que des heureux. Certaines associations accusent ce genre d’applications d’enlever le pain de la bouche des plus démunis - les grandes surfaces préférant vendre leurs produits proches de la date de péremption plutôt que de les donner. « Je trouve ça dommage de parler de concurrence. Nous ne sommes pas sur les mêmes problématiques. Too Good to Go permet par exemple aux étudiants qui ne fréquentent pas forcément les banques alimentaires de se nourrir à peu de frais. Et nous avons noué de nombreux partenariats avec des associations, comme les Restos du Cœur » se défend Lucie Basch.
Ces critiques ne vinrent pas seules. En 2021, le compte Instagram Balance Ta Start Up a relayé des témoignages de salariés de Too Good to Go déplorant leurs conditions de travail difficiles. « Au départ, j’ai trouvé cela très difficile à gérer. J’ai monté cette entreprise à vingt-quatre ans. Nous sommes passés de 0 à plus de 1 000 salariés en quelques années. Je n’ai jamais prétendu être parfaite. Mais je me suis dit que c’était une opportunité pour progresser. Aujourd’hui, nous nous sommes formés et l’entreprise s’est stabilisée. Nous en sommes ressortis plus forts » assure Lucie Basch derrière son écran d’ordinateur.
Car l’entrepreneuse retrace tout son parcours en visio. Elle s’est installée depuis peu à mi-temps en Bretagne, avec l’envie de retrouver l’horizon et les grands espaces, le besoin de souffler après quasiment une décennie à courir partout. Entre deux tâches à faire pour lancer Poppins, elle passe du temps à la plage, à regarder les oiseaux. « Je pensais que c’était un truc de vieux mais en fait j’adore ça. Même le sang dans mes veines circule plus lentement quand je suis là-bas. Ça me rappelle que la tech et le digital, ça vaut le coup si c’est au service du vivant ».
