La déforestation ralentit en Amazonie brésilienne
La déforestation de la forêt amazonienne au Brésil a diminué de moitié en 2023 par rapport à 2022, selon les chiffres du ministère de l’environnement brésilien. Au détriment d’autres écosystèmes ?
Incendie dans une zone récemment déforestée à Gleba Abelhas, une forêt fédérale non protégée à Canutama, dans l'État d'Amazonas. Greenpeace Brésil a survolé des zones de déforestation et d'incendies en Amazonie entre le 2 et le 4 août 2023, en particulier dans les États d'Amazonas, de Rondônia et d'Acre, afin d'enregistrer et de montrer la destruction en cours dans la forêt.
Au Brésil, la forêt amazonienne se porte mieux. Ou du moins, un peu moins mal que d'ordinaire : la déforestation a diminué de 50 % en 2023, comparé à 2022, selon les données du ministère de l’environnement brésilien. En 2022, près de 10 000 km² de forêt ont été détruits, contre 5 000 km² en 2023. C’est le niveau de déforestation le plus bas depuis 2018.
« Voilà les premiers effets de l’arrivée au pouvoir de Lula début 2023, qui tranche avec le mandat de Bolsonaro, très offensif contre les défenseurs de la forêt, et très favorable aux géants de l’agro-industrie, première cause de déforestation au Brésil » souligne Eric Moranval, chargé des campagnes forêts pour Greenpeace. « Aujourd’hui, le sentiment d’impunité des agro-industriels est moins fort qu’à l’époque de Bolsonaro, où la déforestation était carrément encouragée, et l’Amazonie présentée comme une terre à conquérir ».
Car si l’on retient facilement les images spectaculaires des incendies qui ont ravagé la forêt amazonienne ces dernières années, on les associe peut-être moins à l’agro-industrie. Or « quasiment tous les départs de feu sont volontaires, et environ 90 % d’entre eux sont liés à l’élevage. Dans un premier temps, des industriels du bois repèrent des essences précieuses puis construisent des routes illégales pour aller les prélever. Ensuite, les agro-industriels utilisent ces infrastructures pour incendier de grands pans de forêt et y installer du bétail » assure Eric Moranval.
Le Cerrado et le Pantanal sont également gravement menacés par l'agriculture industrielle.
Un temps désormais révolu ? Deux signaux semblent le confirmer. D’abord, la nomination ambitieuse au ministère de l’environnement de Marina Silva, une figure emblématique de l’écologie au Brésil, née au coeur de la forêt amazonienne. Ensuite, le nouvel élan donné aux services de protection des forêts, détricotés par Bolsonaro. « L’Agence environnementale brésilienne, dotée de pouvoir de police (IBAMA), et l’Institut national de recherche spatiale (INPE), qui surveille la déforestation, ont désormais de nouveaux moyens » explique Eric Moranval.
La réduction du déboisement en 2023 aurait permis d’éviter l’émission de 250 millions de tonnes de CO2, selon le ministère de l’environnement brésilien. Le chemin reste toutefois encore long jusqu’à atteindre l’objectif « zéro déforestation » en Amazonie d’ici 2030 promis par Lula. Et les écologistes s’inquiètent d’un report de la déforestation sur d’autres écosystèmes.
Le Cerrado, surtout, est au coeur de leurs préoccupations. Car avec l’Amazonie mieux protégée, l'agro-industrie risque de jeter son dévolu sur cette immense savane au sud du Brésil, grande comme la moitié de l’Union Européenne. Moins populaire, moins surveillée que sa voisine amazonienne, elle offre de grands espaces pour cultiver du soja, un peu plus à l’abri des regards. La déforestation a d’ailleurs récemment augmenté dans le Cerrado : d’environ 5 500 km² en 2022, elle est passée à près de 7 800 km² en 2023, selon une agence gouvernementale brésilienne. Or cet écosystème, rarement mentionné dans les discours, est essentiel : il abrite 5 % de la biodiversité mondiale. Jaguars, tatous et singes hurleurs voient leur habitat se réduire comme peau de chagrin. Cette grande savane a déjà perdu plus de la moitié de sa végétation naturelle à cause des activités humaines et agricoles. Les cultures de soja, ont, pour beaucoup, remplacé la faune et la flore locales.
Culture de soja dans la ferme de Cachoeira do Estrondo, dans la zone du Cerrado. La ferme a été créée en 1975, et s'étend aujourd'hui sur 305 000 hectares, soit trois fois la taille de la ville de New York. On y cultive du soja, du coton et du maïs. La ferme est composée de 22 entreprises qui opèrent dans le secteur agricole. Un exemple clair de déforestation du secteur agricole.
Pour l’ONG Greenpeace, la protection durable de ces deux espaces naturels passe par un changement de modèle agricole. Car selon les chiffres de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) 90% de la déforestation mondiale est imputable à l’activité agricole.
Avec une responsabilité, notamment, du secteur de la viande : 87 % du soja importé en France et en Europe, majoritairement issu de la déforestation en Amérique du Sud, est destiné à l’alimentation animale, selon une étude parue en 2019. « Au Brésil, déforester n’a rien de naturel ni de vital » assure Eric Moranval. « Ce sont des choix. D'ailleurs, la déforestation en Amazonie change d’ampleur en fonction des présidents. C’est bien la preuve qu’avec de la volonté, y mettre fin est possible ».