Pesticides : par quoi peut-on les remplacer ?
Des solutions naturelles sont en cours d’expérimentation pour remplacer les pesticides, de plus en plus critiqués. Utiliser des insectes, micro-organismes ou substances naturelles pourrait-il suffire à éloigner les organismes indésirables ?
Champs de culture agricole dans le parc national des South Downs, Angleterre.
La France est le troisième pays européen autorisant le plus grand nombre de pesticides issus de l’industrie de la chimie, selon une étude de Générations Futures. La question de leur réduction est souvent discutée, mettant en avant leur dangerosité pour les consommateurs, les populations dans l'environnement immédiat et la biodiversité.
Selon le dernier rapport d’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), datant de 2021, il existe une forte présomption de causalité entre l’exposition aux pesticides et certaines maladies, telles que le myélome multiple, le lymphome malin non hodgkinien, le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson, les troubles cognitifs et la BPCO/bronchite chronique.
Le 16 novembre 2023, la Commission européenne a décidé, faute d’accord entre les États membres, de renouveler l’autorisation du glyphosate jusqu’en 2033. Pourtant, cet herbicide a été classifié en mars 2015 comme « probablement cancérigène pour les humains », par le Centre International de Recherches sur le Cancer (CIRC).
En France, le gouvernement a lancé le plan Ecophyto en 2008, complété en 2017 par Ecophyto II+, qui avaient pour objectif de réduire l’usage des produits pharmaceutiques de 50 % en 2025, et de sortir du glyphosate d'ici à 2022 pour l’ensemble des usages. Mais ces deux plans n’ont pas atteint leurs objectifs et la dynamique de baisse escomptée ne s’est pas confirmée. Le plan a été suspendu par le Premier Ministre Gabriel Attal début février 2024, en réponse aux manifestations des agriculteurs en France.
LES PESTICIDES
Le terme « pesticides » vient de l’anglais pest qui signifie « nuisible ». Il désigne les substances actives, c’est-à-dire les molécules chimiques, utilisées dans la prévention, le contrôle ou l’élimination d’organismes jugés indésirables. Ceux-ci peuvent être des plantes, des animaux, des champions ou des bactéries. Il y a différents types de pesticides : les herbicides luttent contre les mauvaises herbes, les fongicides contre les champignons et les insecticides contre les insectes.
Historiquement, l’utilisation des pesticides couplée à la modernisation des machines agricoles a permis une augmentation spectaculaire de la production de denrées alimentaires. Entre 1960 et 2004, le volume de la production agricole totale a doublé. Cela a permis de nourrir de plus en plus de personnes et de prévenir les épisodes de grande famine, deux objectifs exacerbés par les privations connues durant les deux Guerres mondiales.
Mais aujourd’hui, ils ne sont plus indispensables pour nourrir la planète, comme le montre un rapport présenté le 8 mars 2017 au conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur le sujet. Celui-ci accuse les grandes multinationales de nier les risques sanitaires et environnementaux liés à l’usage des produits phytosanitaires. Il révèle aussi que « peu de personnes sont épargnées par l'exposition aux pesticides », et que ceux-ci ont des « impacts catastrophiques sur l'environnement, la santé humaine et la société dans son ensemble ».
LE BIOCONTRÔLE
Il existe aujourd’hui des alternatives à ces produits phytosanitaires traditionnels, dits de « synthèse » car issues de l’industrie chimique. Parmi celles-ci, le biocontrôle consiste à utiliser des organismes vivants ou substances naturelles pour prévenir ou réduire les dommages causés par des organismes considérés comme nuisibles. Il existe quatre formes de biocontrôle, qui varient en fonction de l’utilisation différenciée de l’agent de lutte. On peut ainsi utiliser des macro-organismes (insectes, nématodes), des micro-organismes (virus, bactéries ou champignons), des médiateurs chimiques (phéromones) et des substances naturelles d’origine minérale, végétales ou animales.
Aujourd’hui, le biocontrôle fonctionne principalement en maraîchage sous serre et en arboriculture, ainsi que dans certaines exploitations au label « BIO ». Dans le cas du maraîchage sous serre, il s'agit de biocontrôle par macro-organismes. On utilise des insectes « auxiliaires des cultures », c’est-à-dire qui aident à lutter contre les nuisibles. Parmi eux, les parasitoïdes, à savoir les insectes qui pondent dans les œufs ou larves de leurs victimes, tels que l’Encarsia formosa sur l'Aleurode des serres (Trialeurodes vaporariorum).
Groupe d'Aleurode des serres (Trialeurodes vaporariorum), sur la face inférieure d'une feuille de tomate.
Pour l'arboriculture, on utilise le biocontrôle par médiateurs chimiques, aussi appelé « confusion sexuelle ». Cela consiste à émettre des phéromones femelles pour désorienter les mâles. Ainsi, les mâles et femelles n’arrivent pas à se rencontrer, et ne pondent pas sur la culture. Cette méthode est notamment pratiquée sur la Tordeuse orientale du pêcher (Grapholita molesta), un papillon ravageur.
L’avantage du biocontrôle, est qu’il permet d’éviter les problèmes sanitaires engendrés par les produits phytosanitaires plus classiques. Surtout que certains produits ne sont plus aussi efficaces qu'avant. « Ils ont été beaucoup utilisés, et il n’y a pas un taux de renouvellement pléthorique. Ce qui fait qu’aujourd’hui, les bioagresseurs peuvent devenir résistants aux pesticides chimiques », explique Fabienne Maupas, directrice scientifique de l’Institut Technique de la Betterave (ITB). Il arrive ainsi régulièrement que « des graminées deviennent résistantes aux produits de désherbage, ou des champignons aux fongicides ».
Malgré tout, cette méthode est encore minoritaire dans la protection des cultures françaises. Selon le site du Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, les solutions de biocontrôle représentaient 13 % du marché de la protection des plantes en 2021.
La principale difficulté avec l’utilisation des produits de biocontrôle se trouve selon elle, dans « tout ce qui est lutte contre les adventices », c’est-à-dire les mauvaises herbes en culture. Pour lutter contre elles, il n’existe « pas grand-chose ». L’acide pélargonique pourrait être une solution, mais la scientifique estime qu’il présente « pas mal d’inconvénients. Il peut être utilisé en remplacement du glyphosate, mais n’a pas une aussi grande efficacité ».
Fabienne Maupas rappelle que « tout ce qui est naturel n’est pas forcément bon pour nous ». Ainsi, les produits de biocontrôle subissent eux aussi une procédure d’homologation. « Ils doivent être approuvés au niveau européen et avoir une autorisation de mise sur le marché délivrée au niveau national par l’ANSES ». Même si les procédures sont « généralement accélérées » car, explique-t-elle, il y a « moins de risques », ils font quand même l’objet d’une évaluation scientifique complète. Il est donc important de distinguer les produits de biocontrôle, les vingt-quatre « substances de base », qui ne sont pas réglementées et ne subissent pas de procédure d’homologation. Par exemple, certains agriculteurs utilisent des produits à base de bière pour lutter contre les limaces, du lait ou du vinaigre pour désherber et de l’ortie ou de la prèle comme insecticide.
Roman Roynard, paysan dans le Lot-et-Garonne, a fait le choix de n’utiliser aucun produit phytosanitaire de synthèse sur son exploitation. Il cultive une grande variété de fruits et légumes sur une petite surface, et possède également quelques brebis. Il précise qu’il est avant tout dans une démarche d’« auto-suffisance », et ne vend que les surplus de ses récoltes. « On n’est pas dans une logique de production », résume-t-il.
La « logique intensive, dit-il, c’est une logique de spécialisation ». Il estime ainsi que son modèle de pluricultures, dans lequel il n’utilise pas de produits phytosanitaires, ne peut pas s’adapter aux grandes exploitations de monoculture qui ont pour objectif de produire le plus possible. Malgré son choix, il comprend la situation des agriculteurs qui utilisent des produits phytosanitaires. « Quand on est pris à la gorge et qu’il faut gagner de l’argent avec son exploitation, il faut faire des choix et des compromis, pour essayer de pouvoir s’en sortir ». Selon lui, « les conditions dans lesquelles on demande aux agriculteurs de travailler ne permettent pas de le faire sans pesticides. […] Il y a des gens qui aimeraient faire sans, mais compte tenu ce qu’on leur impose comme rythme, ils ne peuvent pas faire autrement ».
Aujourd’hui, les produits de biocontrôle sont majoritairement utilisés sur des petites surfaces. Dans les grandes exploitations, il est plus difficile de mettre en place de telles solutions. Mais il reste tout de même de l'espoir. Fabienne Maupas espère notamment que les solutions plus naturelles pourront, à terme, devenir majoritaires dans la protection des cultures.