Dépolluer les eaux et les sols grâce aux plantes

La révolution de la chimie durable est en marche. Désormais, on utilise les plantes envahissantes pour assainir l’eau et les catalyseurs ne produisent plus de déchets. Ils sont revalorisés pour l’industrie cosmétique, chimique et pharmaceutique.

De Margot Hinry
Publication 22 août 2022, 16:55 CEST
Jussie rempante ou Jussie d'eau (Ludwigia peploides subsp. stipulacea)

Jussie rempante ou Jussie d'eau (Ludwigia peploides subsp. stipulacea)

PHOTOGRAPHIE DE Nagarazoku, WIKIPEDIA, WIKIMÉDIA COMMONS

Fer, nickel, zinc... les sols et les eaux de notre planète sont pollués par divers éléments industriels tels que les métaux ou les micro-plastiques. Pour tenter de dépolluer ces environnements naturels, la professeure et docteure Claude Grison, directrice du Laboratoire de Chimie bio-inspirée et d'Innovations écologiques, s’est penchée sur la question de ce qu’elle nomme la « nouvelle chimie ».

La chimiste a alors imaginé et étudié « une transformation de ces déchets végétaux contaminés en des outils utiles pour la chimie durable à l’aide de procédés respectueux de la nature ». Pour ce faire, Claude Grison s’est servie de plantes exotiques envahissantes qui prolifèrent dans les zones humides du Sud de l’hexagone, notamment, la « Jussie d’eau ».

« Nous avons identifié des "antennes moléculaires" à la surface de l’appareil racinaire de certaines plantes aquatiques et semi-aquatiques, qui sont capables d’absorber des quantités très importantes d’éléments métalliques. Mortes ou vivantes, les plantes sont très efficaces. Cette découverte nous a permis d’automatiser le processus de dépollution par biosorption » précise Claude Grison.

Entre les mois de mars et avril, l’équipe de Claude Grison s’attèle à la tâche de la récolte, principalement en région Occitanie. Plusieurs tonnes sont collectées puisque les plantes envahissantes se prolifèrent en grande quantité. Sans en prélever en masse, les plantes, telles que la Jussie d’eau, peuvent mettre en péril l’existence de certaines autres plantes aquatiques. Comme l’explique le CNRS, « en couvrant la surface de l’eau, elle condamne en effet les autres plantes aquatiques à demeurer dans l’ombre et finit par provoquer leur disparition, menaçant ainsi la biodiversité ». Le prélèvement permet non seulement de mieux comprendre et d’analyser ces plantes, mais aussi et surtout d’en faire une poudre de fines particules.

D’après Claude Grison, ces espèces vivantes possèdent « une physiologie très particulière » qui entraîne une certaine composition minérale « avant ou après dépollution ». « Ces minéraux sont directement transformés en catalyseurs métalliques, c’est-à-dire en accélérateurs de réactions chimiques. » La révolution verte de la « nouvelle chimie » commence ici. Claude Grison a inventé les « premiers catalyseurs métalliques d’origine végétale », qui lui ont valu le prix de l'inventeur européen 2022 dans la catégorie Recherche ». 

Jusqu’ici, les phytotechnologies, qui comprennent toutes les utilisations des plantes pour dépolluer, épurer, contrôler les sols, entrainaient un véritable point limitant aux yeux de Claude Grison, l’absence de valorisation. Selon l’experte, la valorisation des déchets végétaux est essentielle.

« Après restauration et/ou dépollution, les plantes et les filtres végétaux ne doivent pas constituer de nouveaux déchets. Une solution écologique de dépollution n’est viable et durable que si elle est valorisée d’un point de vue économique » précise la chimiste. « Il s’agit d’une révolution verte dans le domaine de la chimie de synthèse. […] La Jussie d’eau n’est qu’un exemple particulier. D’autres plantes permettent de construire ces filtres dépolluants sous forme de poudre végétale, puis de produire des écocatalyseurs. Ces catalyseurs écologiques nous permettent de créer des molécules 100 % biosourcées et sans intrant chimique ». 

D’après l’experte, ces catalyseurs durables peuvent pleinement remplacer les catalyseurs métalliques, d’origine minière. « Les écocatalyseurs sont très performants et sont mis en œuvre dans des procédés qui peuvent s’affranchir totalement de la pétrochimie. Enfin, ils permettent de résoudre des problèmes environnementaux (gestion des espèces exotiques envahissantes, dépollution des systèmes aquatiques), alors que les catalyseurs métalliques d’origine minière ont une forte empreinte environnementale » affirme l’inventrice.

Grâce à leur origine végétale, la structure particulière des écocatalyseurs leur permet d’accélérer les réactions chimiques « nécessaires à la synthèse de nouvelles molécules » qui seront ensuite réutilisées pour l’industrie. Afin de limiter au maximum la production de déchets dans le processus de chimie, Claude Grison a collaboré avec plusieurs sociétés pharmaceutiques, cosmétiques et chimiques. « Ces écocatalyseurs vont à leur tour favoriser la préparation de parfums biosourcés ou de médicaments. Ces procédés sont industrialisés par la société BIOINSPIR » précise la créatrice.

Cette société, BIOINSPIR, est l’une des quatre startups créées par la chimiste. À travers ces mécanismes, les équipes de Claude Grison proposent aux industries cosmétiques et de parfumeries de s’engager vers une réduction de leur empreinte carbone, à travers de nouvelles formules, dès la fabrication des ingrédients.

Pour une chimie plus durable, Claude Grison a choisi de prendre exemple sur la nature, qui elle, ne produit pas de déchet. « Les stratégies naturelles de recyclage sont remarquables et très inspirantes ». Après plus de 35 brevets CNRS déposés depuis la création de cette méthode de dépollution, l’experte espère que cette invention pourra enclencher la chimie de demain. « En toute humilité, j’espère vivement que notre démarche en inspirera d’autres et conduira à de nouvelles pistes de réflexions et d’actions dans le domaine du recyclage, de l’utilisation raisonnée des matières premières et de changements profonds dans nos modes de production. »

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