Des coraux "super-résistants" pourraient sauver les récifs des Caraïbes

Au Honduras, une barrière de corail a survécu à un siècle de pollution et de maladies. Percer le secret de sa résilience pourrait aider les scientifiques à reconstituer les récifs coralliens mourants des Caraïbes.

De Ashley Stimpson
Publication 20 août 2024, 09:57 CEST

Bien qu’exposé pendant des décennies à la pollution industrielle sur la côte nord du Honduras, le récif corallien de la baie de Tela, abritant par exemple ce spectaculaire grand corail étoilé (Montastraea cavernosa), est plus que prospère. Comment expliquer la résilience du récif ? Les scientifiques commencent à trouver des réponses.

PHOTOGRAPHIE DE Antal Borcsok

Tout porte à croire que le corail de la baie de Tela aurait dû mourir. Pourtant, malgré des décennies de pollution, de dégradation industrielle et de vagues de chaleur ayant décimé les autres récifs de la région, cette barrière de corail des Caraïbes située sur la côte nord du Honduras est étonnamment prospère. 

La baie de Tela abrite plus de 68 % de la couverture corallienne vivante, un chiffre exceptionnel comparé au reste des Caraïbes, qui ne compte en moyenne que 18 % de coraux vivants. En perçant les secrets de la résilience des récifs de Tela, les scientifiques pourraient utiliser ces coraux (voire simplement leurs gènes) pour reconstituer les récifs souffrants des Caraïbes.

Le projet a déjà commencé. Au mois de mai, des scientifiques de l’université de Miami ont collecté treize spécimens de coraux corne d’élan (Acropora palmata) dans les eaux de la baie de Tela dans le cadre de la toute première tentative mondiale de culture de coraux de deux pays différents. Ce projet a pour but d’améliorer la tolérance des coraux aux vagues de chaleur océaniques mortelles, de plus en plus fréquentes à cause du changement climatique. Si l’opération porte ses fruits, ce corail croisé pourrait servir à restaurer les récifs du pays.

« Si l'on veut que le corail corne d’élan survive en Floride, il nous faut une aide extérieure », explique Andrew Baker, biologiste marin à l’université de Miami. « Pour ce faire, nous allons devoir introduire de la diversité, idéalement issue d’une population résiliente qui résiste aux mêmes conditions. »

Andrew Baker, professeur de biologie marine et d’écologie à l’école Rosenstiel de l’université de Miami, charge un fragment de corail corne d’élan de la baie de Tela dans une glacière pour l’expédier à Miami. Andrew Baker tente de croiser le corail de la baie de Tela avec ceux que l’on trouve en Floride afin de créer une variété plus résistante aux aléas climatiques.

PHOTOGRAPHIE DE Teia Baker

L’équipe de Baker a également collecté des échantillons d’ADN au Honduras dans l’espoir d’élucider un mystère que les chercheurs tentent de résoudre depuis la découverte du minuscule récif d’Amérique centrale en 2010 : pourquoi le récif corallien de la baie de Tela est-il si résistant ? 

Après seulement quelques semaines dans leurs nouveaux bassins en Floride, les coraux commencent déjà à livrer leurs secrets.

 

UN RÉCIF EXCEPTIONNEL

La baie de Tela a été l’un des premiers endroits où Antal Borcsok a enfilé son masque de plongée. En 2010, lui et son épouse, qui étaient alors les propriétaires d’un hôtel des environs et avaient tout récemment obtenu leur certification de plongée, ont décidé de passer l’après-midi dans les eaux de la petite baie.

« Il y avait tellement de coraux, tellement de variétés, de couleurs et d’espèces à divers stades de croissance. C’était tout simplement magnifique », raconte Borcsok, aujourd’hui directeur exécutif de Tela Marine, un programme d’éducation scientifique à but non lucratif. « Nous étions des néophytes en matière de plongée, donc nous pensions que c’était normal, car personne n’en faisait tout un plat. »

Pourtant, Borcsok avait l’intuition qu’ils étaient tombés sur quelque chose d’exceptionnel. Très vite, il a invité des amis, des plongeurs plus expérimentés de Roatan (la Mecque de la plongée sous-marine du pays) à venir voir ce qu’il en était.

« Dès que nous sommes entrés dans l’eau, ils ont été happés par la beauté des lieux et ont commencé à prendre des photos », raconte Borcsok. « Ils n’avaient jamais rien vu de tel. »

En réalité, personne n’avait jamais assisté à un tel spectacle.

« On aurait pu s'attendre à ce que le récif soit en piteux état », déclare Baker. « Il y a beaucoup de ruissellement d’eau douce, beaucoup d’eau trouble et d’importantes fluctuations de salinité. »

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    La madrace jaune prospère le long du récif de la baie de Tela, au Honduras. La biodiversité, la présence d’oursins et même les fluctuations de la salinité de l’eau font partie des théories avancées pour expliquer la résistance de ce récif au changement climatique.

    PHOTOGRAPHIE DE Antal Borcsok

    En plus d’avoir traversé des épisodes de chaleur qui auraient blanchi n’importe quel autre récif, les espèces de coraux de Tela ont été exposées à des décennies de pollution industrielle provenant des innombrables cargaisons de bananes qui étaient autrefois chargées à quelques mètres au-dessus de ce fragile écosystème. Elles ont également été soumises au ruissellement agricole et au déversement d’une lagune d’eaux usées locale qui dessert les 100 000 habitants de Tela.

    Et pourtant, le récif s’épanouit. Les branches du corail corne d’élan, gravement menacé d’extinction, poussent en grappes noueuses, tandis que d’imposants spécimens de coraux-cerveaux jaillissent des fonds marins. Comment est-ce possible ?

    « C’est ce que tout le monde essaie de comprendre », explique Borcsok, qui, avec sa femme, sont devenus « les évangélistes du récif ». Ensemble, ils ont contribué à faire de la baie de Tela une zone marine protégée et ont créé le seul aquarium public d’Amérique centrale, invitant les Honduriens à découvrir l’éblouissante vie marine qui s’épanouit si près de leurs côtes, et dont la plupart n’avait pas connaissance.

    Ils ont également lancé un appel à des scientifiques comme Baker pour qu’ils étudient le corail et découvrent peut-être un moyen de sauver les récifs du monde entier menacés de disparition par le changement climatique.

    « La baie est résiliente, mais elle le sera jusqu’à un certain point ; un jour ou l’autre, elle atteindra ses limites », soutient Borcsok. « Nous n’avons probablement pas beaucoup de temps pour résoudre ce problème. »

     

    DIVERSES THÉORIES

    Les théories avancées pour expliquer la résilience de la baie sont presque aussi variées que sa vie marine. 

    De manière générale, il semblerait que le succès de Tela s’explique par la diversité et la bonne santé des créatures marines qui peuplent ses eaux. Bien que le Honduras compte de nombreux pêcheurs, la plupart évitent la baie de Tela. Comme son récif labyrinthique offre de nombreuses cachettes aux petits poissons, les plus gros poissons tendent à rester à l’écart, tout comme les hommes. Par conséquent, ces eaux regorgent de coquillages, de crevettes et d’étoiles de mer qui maintiennent les algues nuisibles sous contrôle.

    Selon une autre théorie, la vitalité de la baie incomberait à son nombre inhabituellement élevé d’oursins à longues épines (Diadema antillarum), qui ont mystérieusement survécu à l’apparition, dans les années 1980, d’un agent pathogène aquatique ayant décimé près de 90 % de l’espèce ailleurs dans les Caraïbes. Ces oursins se nourrissent d’algues qui peuvent étouffer les coraux, et créent ainsi des espaces où peuvent s’implanter les coraux.

    Dan Exton, écologue spécialisé dans l’étude des récifs coralliens, qui a étudié la baie de Tela, explique que les oursins ont prospéré dans la baie grâce à la complexité structurelle de ses coraux, qui leur offre une protection contre les prédateurs. Pour autant, les scientifiques ignorent qui a précédé l’autre. « C’est le paradoxe de l’œuf et de la poule », explique-t-il. « Qui était là en premier ? La population inhabituellement élevée d’oursins ou celle de coraux ? »

    De son côté, Borcsok s’est demandé si ce n’étaient pas les fluctuations de la salinité de la baie qui l’avaient protégée. De la même manière qu’un bain de bouche élimine la plaque dentaire, les flux sporadiques d’eau salée ont-ils pu garder les agents pathogènes sous contrôle ? Selon Baker, cette théorie tient la route, mais ne peut être vérifiée scientifiquement.

    En revanche, ce que Baker peut vérifier de manière scientifique est la présence de symbiotes résistants à la chaleur. Comme leur nom l’indique, les symbiotes vivent en symbiose. Dans ce cas précis, il s'agit d'algues vivant à l'intérieur des cellules des coraux, qui fournissent de l’énergie à ces derniers à travers la photosynthèse. Il existe de nombreux types de symbiotes, que les coraux peuvent « réorganiser » après des évènements stressants, un processus qui pourrait les aider à s’adapter aux conditions changeantes. Le récif hondurien disposerait-il de symbiotes super-résistants ?

    Les travaux de Baker commencent déjà à apporter des réponses. En l’espace de quelques semaines, son équipe a découvert que le corail corne d’élan de la baie de Tela « était complètement dominé par un symbiote inhabituel résistant à la chaleur », un symbiote qui avait déjà été identifié sur du corail, mais jamais sur des récifs entiers.

    Bien que cette découverte ne fournisse pas d’explication définitive à la résilience des coraux de la baie de Tela, elle n’en demeure pas moins très prometteuse pour la suite, souligne Baker. « La situation semble être naturelle pour les coraux. [Cette adaptation] pourrait offrir un aperçu de l’avenir des récifs coralliens. »

     

    LE FUTUR DE LA BAIE DE TELA

    D’autres bonnes nouvelles nous viennent de Miami : quatre des treize spécimens de coraux corne d’élan honduriens collectés par les scientifiques ont déjà été croisés avec succès avec des coraux corne d’élan de Floride.

    « Nous disposons de plusieurs milliers de larves qui sont sur le point de devenir de jeunes coraux », raconte Baker. « J’ai l’impression d’être père ! »

    Le scientifique reste néanmoins réaliste quant à la suite des évènements.

    « Ce n’est que la première étape pour sauver les récifs coralliens des Caraïbes », souligne-t-il. Baker espère que ce type d’échange génétique entre pays deviendra la norme. « Le changement climatique se moque des frontières », dit-il, et les chercheurs devraient en faire autant.

    Pour que cela advienne, il faudrait simplifier les restrictions autour du transport des coraux à travers les frontières internationales à des fins de conservation, selon Baker.

    « [Le processus d’échange] s’est avéré extrêmement compliqué, entre les permis d’exportation, les contrôles vétérinaires et les inspections douanières. Vous n’imaginez pas toutes les questions qu’ils nous ont posées à l’aéroport », raconte-t-il.

    De retour à Tela, Borcsok reste déterminé à, comme il l’explique, « téléverser les gènes de Tela dans le cloud » en créant une ferme de corail de secours sur terre. « Nous pourrions être une banque de semences génétiques, » soutient-il. « Mais nos gènes devront être exportés dans autant d’endroits que possible, pour que tout le monde puisse disposer de quelques gènes de Tela ».

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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