Entre défis et succès, le retour du bison d’Europe
Le dernier bison européen à l’état sauvage a été abattu en 1927 dans le Caucase. Il s’en est fallu de peu que cette espèce disparaisse à jamais.
Des bisons d'Europe (Bisons bonasus), errent dans le parc naturel de Maashorts aux Pays-Bas. Ces gentils géants façonnent le paysage, créant un espace pour que la nature sauvage puisse s'épanouir.
Meilleurs vœux,
Alors que de nombreuses espèces sauvages ont été décimées, les initiatives de réintroduction et des mesures de préservation des écosystèmes ont permis le retour de populations d'animaux sauvages dans plusieurs régions d’Europe. Parmi ces espèces, on trouve le lynx, le castor (Castor fiber), ou encore le vautour (Vautour fauve et Vautour moine)... Mais plus marquant et moins attendu, c’est le bison d’Europe (Bison bonasus) qui renaît de ses cendres et symbolise les importants efforts de conservation entrepris pour la biodiversité en Europe.
Ce grand herbivore, autrefois omniprésent dans les forêts et prairies du continent, a frôlé l’extinction au 20e siècle, ne laissant dans les années 1930 qu’un maigre troupeau de 54 individus répartis dans des parcs zoologiques à travers l’Europe. Aujourd'hui, grâce aux efforts de conservation et aux initiatives de nombreuses ONG comme Rewilding Europe, le bison d’Europe retrouve peu à peu sa place à l'état sauvage.
UN ENJEU ÉCOLOGIQUE
Actuellement, de l’Europe de l’Ouest jusqu’à la Russie, on compte environ 10 000 bisons dont beaucoup sont nés à l’état sauvage. Cette réintroduction dans les milieux alpins et dans les forêts d’Europe de l’Est contribue non seulement à restaurer une nature dégradée par des siècles d’exploitation industrielle, mais elle s’avère cruciale pour l’équilibre des prairies et des habitats forestiers en évitant que les forêts ne deviennent des canopées fermées.
Pour Sophie Monsarrat, écologue et Responsable de territoires réensauvagés chez Rewilding Europe, réintroduire le bison d’Europe va bien au-delà de la simple augmentation de la population de bisons ; c’est aussi et surtout œuvrer au rétablissement d'un équilibre écologique. « Au départ, il y avait trop peu d’individus pour envisager l’impact sur les écosystèmes, mais aujourd’hui avec le courant de réensauvagement et l’expérience acquise, la réintroduction du bison prend tout son sens. En tant qu’espèce clé de voûte, il joue un rôle essentiel : c’est un ingénieur de l’écosystème qui favorise les espèces de milieux ouverts et crée des habitats uniques », précise-t-elle.
En Roumanie, des bisons d'Europe se déplacent dans les Carpates du Sud, reprenant leur place dans la nature et témoignant du pouvoir du réensauvagement.
LES DÉFIS À RELEVER
Les premières réintroductions soutenues par Rewilding Europe, en collaboration avec le WWF ont commencé en 2014 en Roumanie, établissant une population de bisons dans les montagnes des Carpates. « Un pool génétique suffisant était nécessaire pour éviter la consanguinité et nous avons veillé à sélectionner des individus distants génétiquement. Nous avons réintroduit environ 110 bisons et aujourd’hui nous comptons plus de 200 individus. Cette augmentation témoigne de la bonne santé de cette population et offre un espoir pour la survie de l’espèce » explique Sophie Monsarrat.
Pour une viabilité à long terme, il est également nécessaire que les acteurs locaux en comprennent les enjeux et les effets positifs. Les lieux de renaturation sont choisis en fonction de leur potentiel et la possibilité d’amener des bénéfices aux communautés locales. « Les principaux risques ne sont pas liés à la viabilité des bisons, mais au défi de la coexistence avec les humains » souligne la biologiste.
La plupart des Européens ont oublié qu’il y avait eu des bisons en Europe. De plus, le bison d’Europe n’est pas du tout la même espèce que le bison d’Amérique du Nord, qui, lui, reste ancré dans l’imaginaire collectif. Générations après générations, nous avons perdu la mémoire de cet état écologique naturel et n’imaginons pas que le bison puisse avoir sa place dans notre environnement, un phénomène appelé « amnésie environnementale ». Ceci étant, la perception varie considérablement d’un pays à l’autre.
Bisons d'Europe proches d'infrastructures en Pologne.
Autre défi majeur : le braconnage. Bien qu’il relève de la responsabilité des autorités, Rewilding Europe s’implique activement pour lutter contre ce fléau. En Roumanie par exemple, des patrouilles sont effectuées par des rangers.
« Nous travaillons aussi à changer les mentalités, notamment par des actions de sensibilisation dans les écoles » poursuit Sophie Monsarrat. Il est selon elle essentiel de sensibiliser à différents niveaux, du local au continental, pour réduire la tentation du braconnage. « Au final, nous ne pouvons pas faire grand-chose si nous sommes témoins d’actes de braconnage, sauf dans les zones que nous contrôlons parce que nous en sommes propriétaires. C’est pourquoi nous avons des équipes qui éduquent, expliquent, interviennent dans les écoles et organisent des stages pour les enfants sur le thème de la nature » ajoute-t-elle.
Rewilding Europe adopte en outre une approche collaborative impliquant ONG, collectivités locales et territoriales dans le processus de réintroduction. En travaillant avec des acteurs locaux pour démontrer les avantages du retour du bison, que ce soit en termes de tourisme ou d’identité locale, elle maximise les bénéfices socio-économiques liés au retour des bisons.
SURVEILLANCE ET SUIVI DES POPULATIONS
Les individus réintroduits sont équipés de colliers GPS, y compris les femelles dominantes, ou matriarches, afin de suivre leurs déplacements. Cette technologie permet d’identifier les animaux s’approchant d’infrastructures humaines et permet une intervention avant qu’un conflit ne survienne.
Cette surveillance contribue également à suivre la répartition des bisons sur le territoire et à connaître leurs préférences écologiques. Des équipes sur le terrain relèvent tous les signes et les traces, incluant les excréments, afin de déterminer l'appétence et les habitudes alimentaires non seulement des bisons, mais aussi d’autres espèces comme les cerfs, les sangliers, les ours et les prédateurs comme le lynx et le loup.
Bisons européens (Bison bonasus) : deux mâles adultes dans un pré enneigné, portant des colliers radio, en Pologne.
En fonction des régions de réintroduction, les préoccupations de surveillance varient. Par exemple au Portugal, la vigilance se concentre sur les risques de feux de forêt, exacerbés par la présence d’espèces invasives comme l’eucalyptus et les acacias. « Nous avons réintroduit huit bisons dans une réserve, et la première chose qu’ils sont allés brouter, ce sont les acacias. Leur présence pourrait donc avoir un impact très positif sur ce plan-là » note Sophie Monsarrat.
UN AVENIR PLEIN DE PROMESSES
Bien que le bison soit une espèce protégée, ce qui signifie que les autorités gouvernementales sont engagées dans cette mission de conservation, des débats scientifiques persistent quant à la distribution historique et l’écologie de l’espèce. « Nous ne cherchons pas à atteindre un consensus absolu de tous les chercheurs européens avant d'agir », souligne l’écologiste. « Au lieu de cela, Rewilding Europe suit le plan d’action européen pour le bison, élaboré par un groupe de protection des bisons en consultation avec des experts de nombreux pays, qui établit des priorités claires pour la conservation » précise-t-elle.
Les réglementations varient considérablement d’un pays à l’autre. En Roumanie, le bison est classé comme un animal sauvage ; une fois qu'il est relâché dans la nature, il appartient au gouvernement qui en assume la responsabilité. A contrario, aux Pays-Bas, le bison est considéré comme un animal domestique, sans statut qui diffère de celui d’une vache. Cela confère plus de liberté pour les réintroduire, mais cela signifie également qu’ils doivent être gardés dans des zones délimitées. Leur bien-être est sous la responsabilité des gestionnaires, qui doivent aussi s’assurer qu’ils ne causent pas de dégâts.
Dans les pays où l’espèce est considérée native et protégée, des demandes de permis soutenues par une étude de faisabilité peuvent être faites pour réintroduire l’espèce à l’état sauvage.
Enfin, la réintroduction du bison s’inscrit dans un cadre plus large de réensauvagement, qui inclut d’autres espèces emblématiques. Implantée dans onze pays sur dix territoires qui s’étendent de la Suède à la frontière entre l’Allemagne et la Pologne, l’Écosse, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Croatie, la Roumanie, l’Ukraine et la Bulgarie, l’ONG se concentre sur le retour des espèces clés de voûte. « Nous avons une liste non exhaustive d’espèces, environ une cinquantaine, mais nous n’allons pas toutes les réintroduire. Certaines reviennent d’elles-mêmes » précise Sophie Monsarrat.
Le retour du bison d’Europe est un signe positif pour la biodiversité du continent. Les efforts continus de réintroduction et de sensibilisation au sein des communautés locales montrent qu'il est possible de restaurer les écosystèmes tout en impliquant les populations humaines.
La Pologne abrite certains des plus grands troupeaux de bisons européens en liberté en Europe.
Cependant, le succès de ces réintroductions dépend de plusieurs paramètres. Tout d’abord, il est essentiel que la population de bisons soit viable, ce qui signifie qu’elle doit compter au moins 250 individus. Ensuite, il faut prendre en compte les aspects socio-économiques, en évaluant l’acceptation locale et les bénéfices que cela peut apporter aux communautés, notamment en matière de tourisme, de revenus et d’identité locale.
À l'avenir, Rewilding Europe continuera de travailler à la coexistence entre la faune sauvage et les activités humaines en Roumanie. Elle renforcera également ses efforts en Bulgarie, où une petite population de bisons est déjà présente, tout en appliquant les leçons apprises en Roumanie. Au Portugal, bien que des initiatives viennent tout juste de d'être mises en place, il existe un grand potentiel, tout comme en Croatie où des projets similaires sont envisagés.
Rewilding Europe participe également à des groupes de réflexion sur des plans d’actions futurs pour le bison pour les vingt à trente prochaines années. Par ailleurs, l'ONG soutient un groupe de partenaires tant sur le plan logistique que financier, grâce à un fonds de financement dédié à la réintroduction. Ce fonds de financement a notamment permis de soutenir un projet du WWF et du zoo Tierpark de Berlin pour la réintroduction de bisons en Azerbaïdjan.
Rewilding Europe soutient également la réintroduction du bison dans d'autres régions d’Europe. Ce mouvement vers une nature plus sauvage qui n’exclut pas l’Homme témoigne d’un engagement fort pour soutenir la biodiversité. Les succès rencontrés en Europe ouvrent la voie à une renaissance de la faune sauvage, et renforce l’espoir d’un avenir où l’Homme et la nature coexisteront harmonieusement.