La géothermie, une alliée de taille dans la transition énergétique ?
En Italie, des centrales géothermiques utilisent la chaleur naturelle de la Terre pour produire de l'électricité propre et renouvelable. Cette méthode fait toutefois l'objet de controverses qui ralentissent son développement à grande échelle.
Tour de refroidissement d'un site géothermique d'Enel Green Power, tout près de la bourgade de Sasso Pisano, à Larderello, en Italie. Larderello abrite le plus ancien site géothermique du monde. Cette source d'énergie a été utilisée pour la première fois pour alimenter des ampoules électriques en 1904. Aujourd'hui, la géothermie génère plus de 5 % de la production d'énergie propre italienne.
LARDERELLO, ITALIE – Par une fraîche matinée d’automne en plein cœur de la campagne toscane, le paysage brumeux me rappelle pourquoi la région est surnommée Valle del Diavolo, la vallée du diable. Cette terre, qui aurait servi d’inspiration à l’Enfer de Dante Alighieri, se compose d’un réseau de fissures naturelles gravées dans la roche qui permettent à la vapeur et au gaz présents sous terre de rejoindre la surface. Des cheminées volcaniques connues sous le nom de fumerolles et des geysers rejettent des nuages de fumée blanche dans l’air.
Contrairement aux collines ondulantes, aux vignobles et aux routes bordées de cyprès qui caractérisent le reste de la Toscane, ici, le paysage est parsemé de dizaines de tours de refroidissement grises qui émettent de la vapeur blanche. Dans la centrale géothermique de Valle Secolo, la violente et bruyante rotation d’une turbine permet de transformer la vapeur, qui a parcouru pas moins de 1 000 mètres pour atteindre la surface, en énergie pour 150 000 foyers toscans.
« Plus nous parvenons à extraire de la vapeur, moins les pétroliers auront à voyager », affirme Geoffrey Giudetti, géologue pour Enel Green Power, le plus grand opérateur géothermique d’Europe, qui exploite Valle Secolo ainsi que trente-trois autres centrales géothermiques à travers la Toscane. Environ 30 % de l’électricité de la région provient de cette source d’énergie souterraine. Une fois la production d’électricité terminée, la vapeur résiduelle est utilisée pour chauffer l’eau des quartiers voisins.
Cette énergie exploitée dans le sous-sol s’est récemment révélée être une ressource vitale pour les Italiens à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a mis en évidence la dépendance de l’Italie à l’égard des combustibles fossiles russes, provoquant une hausse impressionnante du prix de l’électricité. En 2022, les factures d’électricité des ménages italiens comptaient parmi les plus élevées au monde. Les usines ont donc dû réduire leur cadence de production et les ménages ont dû baisser leur chauffage.
Les habitants de la région de Larderello, cependant, n’ont pas eu froid cet hiver-là, et ce grâce aux centrales géothermiques locales qui exploitent en continu ces vapeurs brûlantes, explique Giudetti.
Bruno Della Vedova, président de l’Union géothermique italienne, est convaincu que d’autres régions du pays pourraient bénéficier d’une telle ressource. Selon un rapport du gouvernement italien paru en 2015, l’énergie convertie à partir de ces sources de chaleur souterraines suffirait à alimenter une grande partie du pays.
Dans un monde qui cherche à entreprendre une transition vers les énergies renouvelables, l’expérience de la Toscane en matière d’exploitation des ressources géothermiques pourrait représenter un élément essentiel de la stratégie énergétique italienne.
EXPLOITER (OU CULTIVER) UNE RESSOURCE GÉOTHERMIQUE
Alors que des pays comme l’Islande et le Kenya ont su tirer profit de leurs ressources géothermiques, en Italie, la croissance de l’industrie semble stagner. Les coûts d’installation élevés et les difficultés liées à l’extraction qui, si elle n’est pas effectuée correctement, peut entraîner de lourdes pertes économiques et environnementales, constituent des obstacles importants au développement de ce secteur. Les nouvelles installations se heurtent également à l’opposition des communautés locales, qui craignent de potentiels risques pour leur santé.
Ce travailleur se trouve sur le site géothermique Sasso 2 d'Enel Green Power à Larderello, en Italie.
Selon Della Vedova, la position géographique de l’Italie est idéale pour en matière de géothermie. Située à l’intersection des plaques tectoniques africaine et eurasiatique, la péninsule italienne se trouve au-dessus d’un système géologique complexe dans lequel de la roche en fusion est poussée en direction de la surface de la Terre.
Sous Larderello, un vaste réservoir de vapeur et d’eau, qui s’étend sur une profondeur de 500 à 4 000 mètres, est piégé entre la chaleur émise par le noyau de la Terre et une couche de lourdes roches d’argile, qui agit comme un couvercle de casserole, illustre Giudetti. Les températures très élevées qui en découlent entraînent la formation de vapeur à l’intérieur du réservoir, créant ainsi une importante source d’énergie.
Cependant, si la chaleur émise par le noyau terrestre est pratiquement inépuisable, ce n’est pas le cas des fluides contenus dans les profondeurs de notre planète.
« Au fil du temps, [les réservoirs] perdent en pression et en débit, et donc en capacité de production », explique Della Vedova. Selon lui, la capacité de production d’électricité de Larderello diminue de 20 mégawatts par an, et ce même si une grande partie de l’eau extraite est réinjectée sous terre. Bien que la majeure partie de cette perte soit compensée par l’efficacité accrue des centrales plus récentes, il demeure fondamental pour l’avenir de restaurer les réserves d’eau souterraine et de les utiliser de manière durable et responsable.
« Nous ne pouvons pas exploiter une ressource géothermique. Nous devons la cultiver. »
UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA GÉOTHERMIE
« Nous avons inventé l’énergie géothermique », indique Giorgio Simoni, un technicien local qui travaille depuis trente-deux ans dans le domaine de la géothermie. En 1904, Pietro Ginori Conti, un aristocrate italien, est parvenu à allumer cinq ampoules électriques à l’aide d’un générateur alimenté par de la chaleur qui s’échappait de la surface de la Terre, à Larderello. Dix ans plus tard, il a construit la première centrale géothermique au monde.
Aujourd’hui, Enel Green Power a foré 507 puits d’extraction pour alimenter ses centrales. L’entreprise, autrefois publique, a été privatisée dans les années 1990, et le gouvernement italien a modifié sa réglementation en 2010 afin de permettre à d’autres entreprises privées d’étudier et d’extraire les ressources géothermiques. Malgré cela, seule Enel a continué à construire de nouvelles centrales.
Déterminer où trouver cette ressource souterraine afin d’y construire une centrale est toutefois plus facile à dire qu’à faire. Pour Della Vedova, la recherche d’un réservoir géothermique peut être comparée à la réalisation d’une prise de sang : les infirmières ne piquent pas leurs patients à un endroit au hasard en espérant que tout se passera bien, elles prennent soin de rechercher des veines spécifiques. Étudier un réservoir afin de déterminer si la température et la pression qu’il renferme permettraient de produire suffisamment d’électricité peut coûter des millions d’euros, explique Giudetti, et une fois sur deux, le résultat est négatif.
C’est en raison de cet obstacle économique initial que plusieurs pays et entreprises privées tardent à se lancer dans l’exploration géothermique, et ce même si, selon Manzella, les coûts à long terme sont « comparables, voire inférieurs, à ceux d’autres technologies renouvelables ».
DES CRAINTES SANITAIRES
Les vapeurs rejetées par les tours de refroidissement géothermiques toscanes suscitent par ailleurs des inquiétudes sanitaires chez certains habitants de la région.
« Nous n’avons ni trafic urbain ni industries chimiques, et pourtant, nous avons des taux élevés de cancer et de mortalité », témoigne Velio Arezzini, 75 ans, originaire d’Abbadia San Salvatore, un hameau situé à quelques kilomètres de deux centrales géothermiques.
Les craintes exprimées par Arezzini, porte-parole de NoGesi, réseau de lutte contre l’énergie géothermique spéculative et polluante, se fondent sur une étude réalisée en 2012 par l’Agence régionale de santé, qui a documenté des anomalies sanitaires en Toscane. (Une étude de suivi réalisée en 2016 a par la suite écarté tout lien entre les tours de refroidissement et un risque accru de mortalité ou d’hospitalisation.)
Une serveuse sert une bière pression à la Vapori de Birra, une brasserie artisanale qui produit de la bière à partir de la chaleur générée par l'énergie géothermique à Sasso Pisano, en Italie.
Della Vedova indique que plusieurs facteurs pourraient être à l’origine des problèmes de santé observés dans cette population : par exemple, des substances chimiques comme le mercure sont naturellement incrustées dans l’écosystème de ces vallées, qui constituent un point chaud géothermique. L’interception souterraine de la vapeur pourrait même, selon lui, aider à réduire les émissions toxiques à la surface en permettant à cette vapeur de ne pas traverser les couches rocheuses dans lesquelles elle risquerait de capter des polluants.
Enel Green Power a installé des systèmes de réduction des émissions sur ses installations afin de diminuer les émissions de sulfure d’hydrogène et de mercure. Toutefois, les effets possibles des émissions des centrales dans la région devraient, selon une étude réalisée en 2019, faire l’objet d’une analyse plus approfondie.
UTILISATION DE LA CHALEUR RÉSIDUELLE
Mario Tanda, un agriculteur de 56 ans, nous montre un tuyau gris qui se dirige vers son usine de fabrication de fromage à Monterotondo Marittimo. À 1 kilomètre de là, la centrale géothermique de Nuova San Martino, construite par Enel sur des terres confisquées à sa famille, crache des nuages de vapeur.
« Chaque cycle de production nécessite de l’énergie », explique Tanda. Malgré l’opposition de son père à la construction des centrales géothermiques, en 2007, l’agriculteur a relié son exploitation à la centrale par le biais d’un système de tuyaux dans le but d’apporter, à moindre coût, la chaleur nécessaire pour transformer le lait de ses 800 brebis en pecorino.
Quelques kilomètres plus loin, à Sasso Pisano, Edo Volpi, 71 ans, fabrique de la bière, et à Monterotondo Marittimo, Giacomo Anterminelli cultive des courgettes et des concombres sous serre. Tous deux font tourner leur production en utilisant la chaleur résiduelle provenant des usines voisines.
« Si nous n’utilisions pas cette énergie, elle serait gaspillée », affirme Tanda. Les profondeurs bouillonnantes de notre planète pourraient apporter une aide cruciale dans la transition énergétique que de nombreux pays comme l’Italie souhaitent mettre en place dans les années à venir.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.