Fonte des glaces en Antarctique : 40 ans pour agir
Selon une nouvelle étude, la hausse « rapide et imparable » du niveau de la mer due à la fonte des plateformes de glace et des glaciers ne pourra être évitée que si les nations s’unissent pour réduire leurs émissions. Et ce, rapidement.
Le glacier de l’île du Pin perd un nouveau bloc de glace, déversé dans les eaux de l’Antarctique. Selon une nouvelle étude, la glace de l’Antarctique pourrait atteindre un point de bascule d’ici 2050 si les grandes nations ne s’engagent pas à réduire drastiquement leurs émissions. Le niveau de la mer pourrait alors s’élever dangereusement.
Si les plus grands émetteurs de carbone de la planète ne réduisent pas drastiquement leurs émissions, la fonte des glaces en Antarctique pourrait s’accélérer de façon spectaculaire vers le milieu de notre siècle. Selon une nouvelle étude de modélisation, cette fonte entraînerait une hausse « rapide et imparable » des niveaux de la mer pour les centaines d’années à venir.
Près de 200 nations se sont engagées à réduire leurs émissions carbone, objectifs surnommés Contributions déterminées au niveau national (CDN), signées lors de l’Accord de Paris. Cet accord mondial préconise de limiter le réchauffement planétaire à 2 °C. Pourtant, l’Accord de Paris estime une hausse des températures d’au moins 3 °C au cours du siècle. Le mois dernier, des dirigeants du monde entier ont renforcé leurs objectifs de réduction d’émissions afin de s’aligner avec les valeurs recommandées par l’accord.
Une étude publiée le 5 mai dernier dans la revue Nature a démontré que la validation de ces objectifs pourrait faire une grande différence pour la plus grande calotte glaciaire terrestre. Selon cette étude, si l’humanité réussit à contenir la hausse des températures à 2°C, la fonte des glaces en Antarctique se stabiliserait pour tout le 21e siècle.
Toutefois, si le rythme actuel se poursuit et que la hausse dépasse ces 2°C, l’Antarctique pourrait connaître une brusque augmentation de la fonte des glaces vers les années 2060. Sa contribution à l’élévation du niveau de la mer serait alors multipliée par deux d’ici 2100. L’inlandsis Ouest-Antarctique, déjà menacé, serait durement affecté.
« Il s’agit d’une nouvelle étude quantitative qui annonce, “Voici la limite” », explique Ted Scambos, glaciologue à l’université du Colorado à Boulder qui n’était pas impliqué dans la nouvelle publication. « Si nous gardons le pied sur l'accélérateur, nous allons nous retrouver dans une situation où l’inlandsis Ouest-Antarctique disparaîtra totalement. »
LE POINT DE BASCULE DE LA CALOTTE GLACIAIRE
Depuis le début des années 1990, l’Antarctique a perdu environ trois mille milliards de tonnes de glace. Aujourd’hui, le rythme de fonte des glaces s’accélère. La température des océans étant en hausse, elle fait fondre et déstabilise les plateformes de glace flottantes qui retiennent les glaciers de l’Antarctique occidental. De fait, ces glaciers fondent plus rapidement dans l’eau. Il est évident que la maîtrise du réchauffement climatique est la meilleure solution pour limiter la future fonte des glaces de l’Antarctique et la hausse des niveaux de la mer. Néanmoins les scientifiques ne savent toujours pas estimer la quantité de glace qui s’apprête à disparaître, ni à quelle vitesse.
Cette incertitude s’explique en partie par le déclenchement de processus qui pourraient entraîner un état de recul effréné des principaux glaciers d’Antarctique, engendré par l’amincissement ou la fonte des plateformes de glace qui les soutiennent.
L’un des premiers processus s’appelle « l’instabilité de la calotte glaciaire marine ». Il survient lorsqu’un glacier qui se déverse dans l’océan fond et s’échoue sur une roche-mère dont la profondeur augmente au fur et à mesure. La plupart de l’Antarctique occidental se compose comme suit : la glace se trouve au sein d’un bassin situé sous le niveau de la mer. On pourrait comparer cela à une énorme boule de glace placée dans un bol peu profond.
À mesure que les pourtours de cette glace fondent en direction du centre du glacier, plus profond et plus haut, le front du glacier s’épaissit et exerce davantage de pression sur la plateforme de glace qui le soutient. Par conséquent, l’ensemble du courant glaciaire s’écoule plus rapidement dans la mer. Les climatologues s’accordent à dire que cette instabilité existe bel et bien. C’est la raison pour laquelle ils s’inquiètent pour l’Antarctique occidental. Ce phénomène pourrait déjà être en cours sur le glacier Thwaites, situé au cœur de l’Antarctique occidental. Sa fonte pourrait entraîner une hausse du niveau de la mer de plusieurs centimètres.
L’autre processus, appelé « l’instabilité des falaises de glace marines », serait plus hypothétique. À mesure que la banquise régresse vers le centre du bassin et qu’elle perd ses plateformes de glace flottantes qui la protègent, de très hautes falaises peuvent se dresser au-dessus de la mer. Au-dessus d’une certaine hauteur, qu’on estime à 100 mètres, ces falaises pourraient s’effondrer sous leur propre poids. Si le glacier Thwaites subissait ce phénomène, les pertes de glace et la hausse du niveau de la mer pourraient être bien plus rapides.
Afin de mieux comprendre l’avenir de l’Antarctique et comment ces instabilités pourraient l’affecter, la nouvelle étude a modélisé la physique de la calotte glaciaire en intégrant les deux processus. Elle s’appuie sur des travaux de modélisation antérieurs publiés en 2016. Elle inclut toutefois des processus et des interactions physiques plus sophistiqués entre la glace de l’Antarctique et d’autres régions de la planète.
LES CONSÉQUENCES DES ÉMISSIONS CARBONE
Les auteurs de l’étude ont appliqué leur modèle sur les siècles à venir. Ils ont utilisé un scénario au cours duquel le réchauffement ne dépasse pas les 2°C fixés par l’Accord de Paris mais également un autre où il respecte l’objectif ambitieux des 1,5°C. Ils ont aussi évalué une situation dans laquelle les températures grimperaient de 3°C, ce qui correspond à l’objectif initial de réduction des émissions mondiales annoncé lors de l’accord.
Les résultats démontrent qu’en se fixant des objectifs plus ambitieux, l'Antarctique pourrait être préservé. Le rythme actuel de la fonte des glaces du continent engendre une hausse du niveau de la mer de 0,5 millimètre par an. Si l’humanité restreint ce réchauffement à 1,5 ou 2 °C en stabilisant les températures mondiales vers le milieu du siècle, cette hausse s’élèverait à près de 2 millimètres par an. D’ici à 2100, ce sont 80 à 90 millimètres d’eau qui seraient ajoutés aux océans de la planète.
Si nous dépassons les objectifs de l’Accord de Paris, notre avenir s’annonce nettement plus sombre. Dans le cadre d’une hausse de 3°C, les plateformes de glace qui retiennent les glaciers de l’Antarctique occidental pourraient être déstabilisées, engendrant des instabilités. Selon la modélisation, à l'horizon 2060, l’Antarctique pourrait atteindre un point d’inflexion selon lequel la fonte des glaces et l’élévation du niveau de la mer grimperaient en flèche, et ce, à cause des instabilités de la calotte glaciaire et des falaises de glace marines.
Avec ce scénario, la calotte glaciaire pourrait être responsable d’une élévation de plus de 15 centimètres du niveau de la mer d’ici 2100. La fonte de l’Antarctique ferait grimper les niveaux des océans de 5 millimètres par an. Selon ce même scénario, d’ici 2300, la fonte de l’Antarctique aura, à elle seule, engendré une élévation du niveau de la mer de plus de 1,5 mètre, contre 92 centimètres si la hausse des températures se stabilise à 1,5 °C.
Si l’Antarctique dépasse ce point de bascule, même en diminuant les taux de carbone dans l’atmosphère, le retrait de la banquise ne s’arrêterait sûrement pas. Selon les constatations des auteurs, si les objectifs initiaux de l’Accord de Paris étaient accompagnés d’une stratégie de réduction du carbone dans l’atmosphère qui prendrait effet d’ici peu, le niveau de la mer augmenterait encore pendant des centaines d’années. À moins que cette technologie ne soit déployée à grande échelle dans les quarante prochaines années, l’élévation totale du niveau de la mer sera tout de même plus importante que si le réchauffement planétaire était limité à 2 °C ou moins. Actuellement, les technologies d’extraction du carbone de l’atmosphère n’en sont qu’à un stade très précoce de développement.
« Une fois ce seuil atteint, il n’y a pas de retour en arrière », prévient Andrea Dutton, coauteure de l’étude et chercheuse spécialisée dans le niveau de la mer à l’université du Wisconsin à Madison. « Nous sommes piégés. C’est la conclusion à en tirer. »
DES MODÈLES CONCURRENTS
Aucune étude n’a pu déterminer quel serait l'avenir de l’Antarctique. C’est l’une des principales conclusions de l'étude publiée dans la revue Nature. Elle a analysé des centaines d’études de modélisation des glaciers et de la calotte glaciaire afin de déterminer quel rôle jouera l’ensemble de la banquise terrestre sur l’élévation du niveau de la mer. Ces études portaient autant sur la calotte glaciaire du Groenland ou de l’Antarctique que sur les glaciers ou les inlandsis de dix-neuf régions du monde. Elles passaient en revue les différents scénarios concernant les émissions carbone.
Cette nouvelle étude a elle aussi révélé que les scénarios différaient selon le respect ou le dépassement des objectifs de l’Accord de Paris. Dans un monde où les températures grimpent de 3°C, la fonte des glaces entraînera une hausse du niveau de la mer deux fois plus importante que si elles n’augmentaient que d’un degré et demi.
Toutefois, en ce qui concerne l’Antarctique, cette deuxième étude ne révèle pas de lien clair entre les taux d’émissions et la fonte des glaces, et ce, pour tous les scénarios étudiés. Selon les auteurs, il n’est pas possible de déterminer clairement quelles seront les conséquences de la fonte des glaces en Antarctique car le continent fait face à deux processus concurrents : ladite fonte mais aussi les nouvelles chutes de neige, qui renforcent la masse de la calotte glaciaire.
Tamsin Edwards, climatologue au King’s College de Londres et auteure principale de la deuxième étude, explique que ces résultats ne signifient pas que l’Antarctique n’est pas affectée par le changement climatique. « Ce que l’on explique, c’est que lorsque vous vous penchez sur de nombreux modèles de climat et de calotte glaciaire différents, la réponse de l’Antarctique au changement climatique varie énormément », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse.
La nouvelle étude de Mme Dutton et ses collègues révèle que la fonte de l’Antarctique sera plus intense que ce que prédit l’analyse de Mme Edwards, mais elle se situe « dans la fourchette » des estimations fournies par les modélisations plus pessimistes, selon Mme Edwards. Aucune de ces deux modélisations n’a pris en compte l’instabilité des falaises de glace marines. Elles expliquent la hausse de la fonte des glaces par d’autres facteurs, notamment une fonte accrue des plateformes de glace situées en dessous ou au-dessus du continent.
Quel que soit le modèle le plus fiable, Mme Dutton assure qu’il est crucial de prendre en compte que la calotte glaciaire de l’Antarctique peut atteindre un véritable point de bascule.
« Et il est fort probable que nous en soyons proches. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher que cela se produise. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.