Il y a moins d'un million d'années, le Groenland était une toundra verte et fleurie

Au cours du Pléistocène, les glaces arctiques ont fondu pendant d’une période de réchauffement modéré. Quel scénario envisager avec la vitesse du changement climatique actuel ?

De Marie Zekri
Publication 3 oct. 2024, 18:31 CEST
Fossiles de cochenilles de bourgeons de saule, de graines de pavot arctique, de champignons et de ...

Fossiles de cochenilles de bourgeons de saule, de graines de pavot arctique, de champignons et de mégaspores de mousse à épi de roche observés au microscope. Ces vestiges découverts dans un échantillon prélevé sous la calotte de glace du Groenland indiquent qu'autrefois, une grande partie de l'inlandsis était recouvert de toundra, libérée de la glace.

PHOTOGRAPHIE DE Halley Mastro

Les glaces arctiques fondent, et de plus en plus rapidement. Ce phénomène entraîne une augmentation du niveau de la mer, menaçant toujours plus les territoires insulaires. En 2019, une étude publiée dans la revue de l’Académie Nationale des Sciences des États-Unis (PNAS) révélait notamment une accélération par sept de la fonte des glaces du Groenland, avec 40 milliards de tonnes de glace perdues par an dans les années 1970 contre 280 milliards de tonnes par an dans les années 2010. 

En août, des scientifiques de l’université du Vermont dirigés par Paul Bierman, ont publié dans la revue PNAS les résultats d’une étude aussi fascinante qu’inquiétante. En étudiant la composition d’un échantillon de sol gelé prélevé dans les années 1990 sous la calotte de glace, les scientifiques ont été stupéfaits de découvrir des graines, de la mousse, des champignons, des morceaux de bois, des spores et des restes d'insectes fossilisés. 

Dans un passé géologique pas si lointain, la glace s’est donc mise à fondre rapidement. Le niveau global des mers a brusquement augmenté, redessinant le contour des terres. Le Groenland s’est alors paré d’une toundra verdoyante. 

 

LE GREENLAND ICE SHEET PROJECT 

«Le Greenland Ice Sheet Project a débuté dans les années 1970 », intervient Paul Bierman.  A la fin de l'année 1988, l'Office des Programmes Polaires (OPP) de la NSF (U.S. National Science Foundation) a amorcé le lancement d'une nouvelle mission scientifique destinée à développer la connaissance de l'évolution des changements environnementaux en Arctique : le Greenland Ice Sheet Project Two (GISP2)

La station Summit, constituée d'une base scientifique et d'un site de forage, a alors été construite au centre de l’inlandsis Groenlandais. Au bout de cinq années passées à forer la calotte glaciaire sur plus de 3 kilomètres, les ingénieurs et scientifiques ont fini par atteindre le fond de la calotte glaciaire. Le 1er juillet 1993, ils sont parvenus à remonter des échantillons prélevés sous 1,55 mètres du manteau rocheux. 

Grâce à sa localisation sur le point culminant du Groenland, à 3 208 mètres d’altitude, la station Summit permet d’extraire des carottes de glace et de sédiments très nettes. Puisqu'il se trouve sur la ligne de partage des glaces au centre de l’inlandsis, le site est relativement épargné par le phénomène d'érosion. Il offre aux scientifiques un accès privilégié à des vestiges remarquablement conservés des époques antérieures, essentiels pour comprendre les variations climatiques passées. 

Dôme de forage et camp du Greenland Ice Sheet Project Two (GISP2) situés au point culminant ...

Dôme de forage et camp du Greenland Ice Sheet Project Two (GISP2) situés au point culminant de l’inlandsis groenlandais à 3208 mètres au-dessus du niveau de la mer.

PHOTOGRAPHIE DE Christine Massey

« L’échantillon sur lequel nous avons travaillé a été prélevé en 1993, dans le cadre du Greenland Ice Sheet Project 2 (GISP2) », explique Halley Mastro, qui a assisté Paul Bierman dans ses recherches. Les scientifiques avaient alors remonté 40 cm de rochers erratiques, 8 cm de sédiments glaciaires, et 105 cm de roches. 

Avec les années, quelques-unes de ces carottes sédimentaires sont tombées dans l’oubli, jusqu’à aujourd’hui, où un peu par hasard, les scientifiques se sont plongés dans les secrets que ces uniques échantillons du matériau de base du centre du Groenland renfermaient.  

 

DES FOSSILES QUI FONT PARLER L’AVENIR 

« La découverte de ces fossiles, notamment d’un spécimen de selaginelle des rochers, sorte de mousse qui ne vit que dans des endroits rocheux ou sablonneux vierges de glace, la Selaginella rupestris, nous a permis de déterminer que la glace a disparu jusqu’au centre du Groenland, au courant du dernier million d’années », explique Halley Mastro. 

Les scientifiques estiment que la glace de l’inlandsis a fondu sur plus de 90 % de sa superficie totale au moins une fois depuis le début du Pléistocène, il y a 2,7 millions d’années. Cette preuve met fin à des années de débats sur l’éventualité d’une période de déglaciation importante dans un passé géologique récent. Étudiés au microscope, les fossiles végétaux qui ont été identifiés, caractéristiques d’un écosystème de toundra, se trouvent dans un si bon état de conservation que l’éventualité qu’ils appartiennent à une période interglaciaire antérieure apparaît comme peu probable.

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    Ces découvertes permettent de comprendre la façon dont les écosystèmes et milieux arctiques se comportent en période de déglaciation, ouvrant la voie à l’élaboration de scénarios sur les conséquences à venir de l’augmentation du niveau de la mer. Le bilan est alarmant. 

    Halley Mastro fait observer que « les niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère sont 1,5 fois plus élevés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient alors » en se basant également sur les résultats d'une étude menée sur des échantillons similaires prélevés sur le site de Camp Century en 1966. La vitesse de réchauffement climatique actuel est bien supérieure à celle qui a été identifiée au courant du Pléistocène. 

    Tandis que nous nous approchons bien plus rapidement qu’alors des températures responsables de la fonte des glaces, les scientifiques s’inquiètent. Ils estiment que le niveau de la mer pourrait augmenter d’une dizaine de mètres, ce qui bouleverserait la vie de milliards de personnes. Et avec l’effet d'albédo, plus la glace fondra, plus vite le climat se réchauffera.

    Depuis l’apparition de la vie sur Terre, il y a plus de 3,8 milliards d’années, notre planète a arboré toute une variété de visages qui ont permis à différentes formes d’organismes de se succéder. Oscillant entre périodes glaciaires et interglaciaires, façonné par les caprices des éléments et d’une géologie complexe qui en redessine perpétuellement les contours, notre monde n’a pas toujours été tel que nous le connaissons aujourd’hui. 

    Selon Paul Bierman, l’étude des climats passés nous permet de nous faire une idée assez claire de ce qui nous attend à l’avenir. Sa découverte contribue à son tour à tirer la sonnette d’alarme quant au caractère urgent de notre situation climatique. Sans une véritable action sur l’accélération du réchauffement d’origine anthropique, la fonte des glaces arctiques, mais aussi plus encore, antarctiques, pourrait avoir des répercussions catastrophiques sur l’élévation du niveau de la mer, et ce bien plus prématurément qu’escompté. Situation d’autant plus préoccupante que plus de 60 % de la population mondiale réside en zone côtière selon l’INSEE.

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