Île Maurice : une espèce endémique réintroduite grâce aux biotechnologies

Près de trente ans après son extinction à l’état sauvage, une espèce végétale endémique de l’île Maurice a pu être sauvée et réintroduite grâce à l’utilisation de biotechnologies très poussées, une première mondiale.

De Morgane Joulin
Publication 9 juil. 2024, 15:33 CEST
Cylindrocline lorencei est un petit arbuste qui a été considéré comme éteint à l'état sauvage depuis ...

Cylindrocline lorencei est un petit arbuste qui a été considéré comme éteint à l'état sauvage depuis 1990, mais a récemment été réintroduit dans son pays d'origine, Maurice.

PHOTOGRAPHIE DE anutr tosirikul / Alamy Banque D'Images

L'île Maurice a perdu plus de 97 % de sa surface depuis que les navigateurs européens l'ont découverte il y a 400 ans. Parmi ses espèces disparues, il y a des animaux, comme le célèbre dodo, mais aussi de très nombreuses espèces végétales.

Cylindrocline lorencei, un petit arbuste de la famille des astéracées, aurait pu en faire partie. Espèce endémique de l'île Maurice, il mesure environ deux à trois mètres de hauteur et se trouvait exclusivement sur le site de Plaine Champagne, un plateau situé à 750 mètres d’altitude, au cœur du Parc national de Rivière Noire. Son habitat naturel était constitué de fourrés et de forêts naines sur latérite, aujourd'hui très dégradés et envahis de Goyaviers de Chine, de Pins des Caraïbes et de Ravenales.

Le dernier spécimen a été observé dans la nature en 1973, et l’espèce a même été considérée comme éteinte à l’état sauvage au milieu des années 1990. En effet, la déforestation et la colonisation de son habitat par des espèces végétales envahissantes ont presque eu raison de lui. Presque, car quelques graines et boutures avaient été récoltées dans les années 1970, et conservées par Jean-Yves Lesouëf, le fondateur du Conservatoire Botanique National (CNB) de Brest. 

 

L’UTILISATION DE BIOTECHNOLOGIES

Placées dans une banque de graines, celles-ci n’étaient pas capables de germer naturellement. Les chercheurs ont donc décidé de recourir à l’utilisation de biotechnologies végétales. « L'utilisation de la culture in vitro d'embryons zygotiques avait alors été pratiquée avec succès, avec le concours de l'Inrae de Ploudaniel, situé à côté de Brest. Cette technologie a permis d'obtenir de jeunes plantules à partir de simples amas cellulaires microscopiques », détaille Stéphane Buord, directeur scientifique au Conservatoire botanique national de Brest.

À partir de 2010, ce même institut de recherche allié avec Végénov, un organisme breton spécialisé dans les biotechnologies végétales, ont pu mettre au point un protocole de micro-propagation in vitro de l'espèce, à partir de bourgeons axillaires. Ils ont ainsi pu produire suffisamment d'individus pour garantir sa conservation ex situ, et imaginer un retour à l'état naturel. « Sans ces deux technologies, Cylindrocline lorencei serait aujourd'hui une espèce définitivement éteinte », estime Stéphane Buord.

« Ce cas d'espèce illustre le niveau d'efforts qu'il est possible d'investir pour sauvegarder notre biodiversité, même lorsque a priori, le combat semble perdu d'avance ». En effet, le projet n’était pas simple et aura pris trente ans à se concrétiser. 

Ce célèbre dodo n'est pas seulement mort, il a été assassiné

LES OBSTACLES 

Stéphane Buord explique que les chercheurs ont fait face à deux obstacles principaux. D’abord, un obstacle biologique. Assurer la conservation ex situ, c'est-à-dire le sauvetage et la multiplication d'une espèce, est particulièrement complexe, car il était impossible d'obtenir avec des méthodes dites classiques de type semis, bouturage, etc. L'expérience a montré que les biotechnologies in vitro ne doivent pas être réservées exclusivement aux productions agricoles, mais peuvent aussi servir, en ultime recours, à la préservation de la biodiversité naturelle.

Le second obstacle était de nature écologique. Les chercheurs se sont demandés s’il était possible de réintroduire une espèce disparue dans son habitat naturel d'origine, même lorsque celui-ci est extrêmement dégradé par l'action humaine. La réponse fut donc positive, mais « à condition d'avoir bien évalué les causes de ces dégradations et de se donner les moyens de permettre une réhabilitation du milieu », explique Stéphane Buord.

Aujourd’hui, les agents du National Park and Conservation Service (NPCS) de Maurice sont chargés de surveiller le suivi de la population de Cylindrocline. « Tous les individus réintroduits sont identifiés, leur taille est mesurée régulièrement, les étapes de la croissance et du développement sont consignées, une inspection est réalisée mensuellement pour déceler d'éventuelles agressions de la faune exotique invasive résiduelle, notamment des singes, des porcs sauvages ou des achatines (des escargots introduits sur l'île) », énumère Stéphane Buord. 

 

L’IMPORTANCE DE LA BIODIVERSITÉ

Pourquoi réintroduire l’espèce et ne pas laisser les choses se faire naturellement, quitte à réduire la biodiversité de Maurice ? Parce que dans un écosystème aussi fragile que celui de Maurice, qui abrite une faune et une flore très particulières, souvent uniques au monde du fait de l'insularité, chaque individu y joue un rôle très précis. 

Selon le chercheur, chaque espèce, dont l’espèce humaine, peut être comparée métaphoriquement à une brique et son environnement à une maison. Si une espèce disparaît, si une brique manque, la maison (l'écosystème) ne sera pas déstabilisée. Mais si l'écosystème est trop perturbé, la disparition de plusieurs espèces (briques) va contribuer à la fragilisation de l'ensemble de la maison. « In fine, la disparition d'un trop grand nombre de briques peut aboutir à l'effondrement de la maison, c'est-à-dire à la destruction de l'ensemble de l'écosystème, comme nous l'observons à Plaine Champagne », alerte Stéphane Buord. 

Aujourd’hui, le CBN de Brest continue ses travaux, et se concentre sur le sauvetage de Hyophorbe amaricaulis, un palmier endémique de l'île Maurice dont l'espèce ne compte aujourd'hui plus qu'un seul individu. La stratégie pour sa sauvegarde est la même que pour Cylindrocline, utiliser les biotechnologies végétales pour multiplier la plante à partir d'embryons immatures ou d'apex de l'inflorescence. D’après Stéphane Buord, si les essais sont concluants, il sera alors envisageable d'imaginer son retour en nature, sous réserve que la population d'individus génétiquement identiques soit suffisamment viable. « L’expérience montre que ces exemples sont particulièrement évocateurs pour le grand public et sont des supports importants pour la compréhension et la sensibilisation aux enjeux de préservation de la biodiversité et de la nature », estime l’expert.

Il conclut : « le cas de Cylindrocline n'est malheureusement pas un exemple isolé, et le nombre d'espèces en voie d'extinction ne fléchit pas. Gageons qu'il servira d'exemple et inspirera d'autres responsables et gestionnaires de l'environnement, notamment dans les espaces insulaires de la planète où les flores sont si originales et fragiles. »

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