La forêt amazonienne aurait-elle contribué au petit âge glaciaire du 17e siècle ?
De nouvelles études révèlent que la repousse de la forêt amazonienne, survenue après la colonisation européenne, aurait influencé le climat de la planète tout entière.
Vue du lac Maciel, situé dans la réserve de développement durable de Mamirauá au Brésil. Le pollen retrouvé dans les plans d’eau de la forêt tropicale amazonienne révèle des indices d’une période brève, mais intense, de refroidissement au cours des années 1600.
Au cours du siècle qui a suivi l’arrivée des colons européens sur le continent américain à la fin du 15e siècle, plus de cinquante millions d’indigènes auraient été victimes d’épidémies, de guerres et de mise en esclavage. Cette colonisation aurait également eu des répercussions sur les paysages du « Nouveau Monde » et son climat.
Dans une analyse menée en 2019, des chercheurs britanniques ont émis l’hypothèse que la repousse des forêts au sein des terres préalablement défrichées par les indigènes pourrait avoir absorbé et stocké assez de carbone pour contribuer à la chute des niveaux de CO2 atmosphérique au 17e siècle. Cette anomalie serait l’une des causes du petit âge glaciaire, une période durant laquelle le climat était anormalement froid.
Pourtant, une étude publiée à la fin du mois d’avril dans la revue Science n’a pas révélé de preuves qui attesteraient d’un tel scénario au sein de l’Amazonie.
Pour savoir si la repousse de la forêt amazonienne serait survenue avant ou après le massacre des indigènes, un groupe de chercheurs dirigé par le paléontologue Mark Bush de l’institut technologique de Floride et par Crystal McMichael de l’université d’Amsterdam, a analysé des sédiments provenant de trente-neuf lacs au sein du bassin amazonien.
« Les sédiments présents au fond des lacs représentent l’histoire de la région avec les couches les plus anciennes au fond et les plus récentes au sommet », explique Bush. La datation au carbone 14 ayant permis de déterminer l’âge de chaque couche de sédiments, les scientifiques ont soigneusement examiné les échantillons de pollen et de charbon. « Cette région de l’Amazonie n’est pas sujette aux feux naturels donc si l’on y trouve du charbon, il s’agit là d’une preuve attestant de la présence humaine. »
LE RETOUR DU YARUMO
Grâce au pollen, l’équipe a pu identifier les plantes qui poussaient aux abords des lacs à différentes époques. Lorsque la forêt est défrichée, on retrouve moins de grains de pollen provenant des arbres dans les lacs mais davantage provenant des herbes, des plantes et des cultures, explique McMichael. « On retrouve souvent du pollen de maïs et de manioc mais également de courge et de patate douce. »
Lorsque les régions de l’Amazonie sont abandonnées, le premier pollen que l’on retrouve dans les sédiments du lac sont ceux des arbres du Cecropia peltata, connus dans la région sous le nom de yarumo. « Ce sont des arbres très envahissants », déclare Bush. « En deux ans, ils atteignent cinq mètres, tellement vite qu’ils sont en réalité creux, remplis de fourmis qui s’y sont établies. Ils vivent quelques dizaines d’années, puis se retrouvent étouffés par d’autres arbres. Mais ils produisent une quantité astronomique de pollen. »
L’analyse du charbon et des différents types de pollens a révélé des preuves de la présence de clairières, de brûlis ou de cultures dans quatre ou cinq lacs, et ce, précédant l’arrivée des Européens. « Cela ne signifie pas que 80 % de l’Amazonie a été déforestée, bien évidemment », assure Bush. « Les peuples se concentraient aux abords des lacs. »
Pourtant, lorsque les chercheurs ont atteint les couches contenant des preuves de reforestation, elles étaient généralement antérieures à l’arrivée des colons, et ce, de plusieurs centaines d’années. « Il existe de nombreuses variations mais on constate que la déforestation était plus forte de 350 à 750 après J.C. Après cette époque, elle ralentit, et les forêts commencent à se restaurer vers l’an 1000 après J.C. » Les preuves du reboisement des forêts pendant ou après le massacre des indigènes sont, quant à elles, rares.
UNE DÉFORESTATION SANS PRÉCÉDENT
Selon Bush, les résultats suggèrent que, en Amazonie du moins, la repousse de la forêt pendant et après le massacre des indigènes ne semble pas avoir contribué à la chute du CO2 qui a donné suite au petit âge glaciaire. « Pour que les niveaux de CO2 atmosphérique changent brutalement, il faudrait qu’une grande partie de l’Amazonie change également en même temps. Il ne s’agit pas d’un phénomène ayant déjà été observé. [Ces processus] sont généralement étalés dans l’espace et dans le temps. »
Il ajoute que ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas s’inquiéter de la déforestation actuelle de l’Amazonie. « L’ampleur des feux et de la déforestation aujourd’hui est bien plus grande. La menace d’atteindre un point de non-retour et que l’Amazonie devienne une source de CO2 plutôt qu’un puits de carbone est malheureusement très réelle. »
Alexander Koch, géographe à l’université de Hong Kong et auteur principal de l’étude de 2019 qui estime qu’il existe un lien entre le massacre des indigènes et le petit âge glaciaire, explique que « les données du pollen nous permettent seulement de savoir si la forêt a repoussé à un endroit précis. » Il pense que la nouvelle étude « n’a pas réfuté la principale hypothèse » de son article, qui faisait référence aux Amériques en tant qu’ensemble.
Il explique que la nouvelle étude apporte une importante contribution mais il ajoute que l’influence de l’Amazonie pourrait être moindre par rapport à des régions du Mexique, d’Amérique centrale et des Andes, où la chute des populations était plus marquée. « La plupart de l’Amazonie était difficile à atteindre et moins affectée par les maladies et les colons », affirme Koch. Dans sa propre analyse, il estime que seuls 4 % du CO2 auraient été absorbés en Amazonie.
« L’arrivée des Européens en Amazonie a été un processus progressif », déclare McMichael. Les effets les plus dévastateurs sur les peuples amérindiens auraient pu survenir après le massacre des indigènes au sein du Mexique ou des Andes. Il existe davantage de preuves de forts taux de mortalité juste après l’arrivée des colons dans ces régions.
LES CONFLITS ET LES MALADIES
Selon leurs nouvelles données, Bush et McMichael estiment que les populations d’Amazonie auraient atteint leur apogée bien avant l’arrivée des colons européens sur le continent. Ils pensent que le nombre d’habitants dans ces régions aurait chuté puis se serait stabilisé à un niveau plus bas, ce qui aurait permis aux forêts de se restaurer après les phases les plus intenses de l’activité humaine.
Manuel Arroyo-Kalin, archéologue à la University College de Londres, n’a pas pris part à la nouvelle étude. Toutefois, grâce à des preuves archéologiques, il a pu reconstituer les tendances démographiques de ces régions, qui concordent avec les hypothèses des deux chercheurs. Il souligne que les « données ethnohistoriques indiquent clairement une chute de la démographie à la suite de la colonisation européenne ». Il ajoute toutefois que sa propre étude suggère que le pic de population des peuples indigènes de l’Amazonie « aurait pu se produire des siècles auparavant ».
Si les colons étrangers n'étaient pas responsables du déclin des peuples indigènes d’Amazonie, quelle en serait la cause ? L’étude de Bush et McMichael met en évidence une augmentation des hostilités dans la région des Andes qui a débuté aux alentours de 1000 et 1200 après J.C. En témoignent des « crânes brisés » et des « palissades de défense ». D’autres chercheurs ont révélé des preuves de villages fortifiés au sein de l’Amazonie datés de 1200 après J.C., explique Bush. « [Ces preuves] laissent penser que les peuples se réunissaient dans certaines régions, se réorganisaient pour éviter les dispersions et pour être plus axés vers la défense », déclare-t-il. Ils auraient évité les frontières, ce qui aurait permis à la forêt de se régénérer.
Il a également été démontré que des cas de tuberculoses avaient été déclarés dans les Andes entre 1000 et 1300 après J.C., qui auraient pu se propager aux peuples d’Amazonie par le biais du commerce. « Il est légitime de se demander si les populations amazoniennes auraient été confrontées à des défis similaires à leurs voisins dans les Andes, qui devaient faire face à des épreuves tumultueuses », assure Tiffiny Tung, anthropologue à l’université Vanderbilt. Elle mène actuellement des recherches sur les causes des bouleversements des peuples andins mais n’a pas participé à l’étude sur l’Amazonie.
Il est difficile de combiner les données issues du pollen des lacs des plaines avec celles des maladies et des conflits des régions montagneuses, explique-t-elle. « J’espère donc que nous obtiendrons de meilleures données environnementales provenant des régions riches en données archéologiques, et vice-versa. »
Il s’agit également de ce que recherchent Mark Bush et Crystal McMichael. « Nous travaillons avec des archéologues désormais », déclare McMichael. « La prochaine étape, c’est de nous rendre aux lacs situés à proximité de leurs sites [de fouille] pour voir ce que nous pouvons en tirer. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.