La guerre des pailles : la lutte pour débarrasser les océans du plastique

Chaque jour, les Américains utilisent près de 500 millions de pailles. De nombreux militants souhaitent réduire leur utilisation.

De Laura Parker
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Chaque année, l'équivalent de cinq sacs remplis de déchets de plastique disposés tous les 30 centimètres le long de la côte, se répandent dans les océans. Ici, sur une île isolée de la mer des Caraïbes, des bouteilles, des emballages et des pailles en plastique sont jetés à l'eau, s'échouent sur le rivage et recouvrent la plage.
PHOTOGRAPHIE DE Ethan Daniels, Alamy

Sur les huit millions de tonnes de déchets de plastique qui se retrouvent dans les océans du monde chaque année, la paille en plastique n'est certainement pas la plus présente.

Pourtant, ce petit tube fin, dont l'utilité pour la consommation de boissons est complètement superflue, est au centre d'une campagne environnementale grandissante visant à sensibiliser contre l'utilisation des pailles pour sauver les océans.

Petites et légères, les pailles ne se retrouvent que trop rarement dans les poubelles de recyclage, un problème qui peut être observé sur les plages. Et bien que les pailles ne représentent qu'une infime fraction du plastique polluant les océans, leur taille en font l'un des pollueurs les plus nocifs car ils s'enchevêtrent et les animaux marins et les poissons les consomment. Du reste, une vidéo de 2015 dans laquelle des scientifiques retirent une paille enfoncée dans le nez d'une tortue de mer a fait beaucoup parler d'elle.

« Faire le choix de ne pas utiliser de paille en plastique c'est à la fois contribuer à la propreté des plages et prendre conscience des effets néfastes du plastique dans les océans, » explique Jenna Jambeck, un professeur en génie environnemental de l'Université de Géorgie dont l'étude pionnière en 2015 a permis de mesurer pour la première fois la quantité de débris pénétrant l'océan chaque année. « Si vous pouvez faire ce choix, alors peut-être que vous pouvez en faire davantage. »

Les pailles se placent en dernière position d'une longue liste de produits en plastique prohibés, taxés ou boycottés établie afin d'endiguer la pollution par déchets plastiques des océans avant qu'elle ne décime la population de poissons, un scénario qui risquerait de se réaliser d'ici 2050 selon une étude

L'automne dernier, la Californie est devenue le premier État des États-Unis à interdire les sacs en plastique, se joignant aux efforts de plusieurs autres nations qui le faisait déjà, comme le Kenya, la Chine, le Bangladesh, le Rwanda et la Macédoine. La France a non seulement interdit les sacs en plastique, mais elle est devenue le premier pays à interdire également les assiettes, les gobelets ainsi que couverts en plastique à partir de 2020. San Francisco a interdit le polystyrène, y compris les gobelets, les récipients alimentaires, les emballages ainsi que les jouets de plage en styromousse. Quant à Rhode Island, les lâchers de ballons sont dans le collimateur des militants, après que près de 2 200 ballons ont été ramassés sur les côtes de l'île Aquidneck au cours des quatre dernières années.

L'industrie des plastiques trouve la moindre occasion pour s'opposer aux interdictions. Les fabricants de sacs ont quant à eux persuadé des législateurs de Floride, du Missouri, d'Idaho, d'Arizona, du Wisconsin et d'Indiana d'adopter une loi condamnant les interdictions des sacs.

Keith Christman, directeur général des marchés plastique pour l'American Chemistry Council (Conseil américain de l'industrie de la chimie), soutient que l'industrie s'opposera à tout effort visant à proscrire les pailles en plastique.

Les interdictions de produits individuels s'accompagnent souvent de « conséquences imprévues », affirme Christman. Les produits de substitution peuvent causer plus de dommages environnementaux que les produits en plastique qui ont étés interdits, ajoute-t-il. Dans certains cas, les produits annoncés comme biodégradables s'avèrent ne pas l'être. Pis encore, il arrive que le comportement des consommateurs change. Lorsque San Francisco a interdit les produits de styromousse, dit-il, un audit des déchets a révélé que si la quantité de déchets de gobelets en styromousse avait diminué, celle des déchets de gobelets en carton avait quant à elle augmenté. 

« Nous aurions réellement besoin d'une bonne structure de traitement des déchets dans les pays qui sont la source principale de ce problème, » dit-il. « En Asie, les pays à croissance rapide ne disposent pas d'une telle structure. »

La raison pour laquelle la campagne anti-pailles se distingue des autres initiatives – et pourquoi elle pourrait être couronnée de succès – est que les militants ne cherchent pas à modifier les lois ni les réglementations : ils demandent simplement aux consommateurs de changer leur habitudes et de dire non aux pailles.

 

COMMENT ENDIGUER LA CONSOMMATION ?

Trouvées à l’origine près des fontaines distributrices de boissons dans les années 1930, les pailles sont devenues l’un des produits les plus répandus et inutiles de la planète. Il n’existe aucun chiffre global d’utilisation, mais selon le National Park Service (agence nationale américaine qui gère les parcs nationaux du domaine fédéral), les Américains utiliseraient à eux seuls près de 500 millions de pailles par jour. À l’exception des personnes qui les utilisent pour des besoins médicaux, elles ne sont aucunement nécessaires à la consommation de boissons ou d’eau.

« Il y a dix ans, les pailles n'étaient pas si utilisées. Il fallait aller dans un bar pour en avoir une. Aujourd’hui, on vous en donne une même si ne commandez qu’un simple verre d’eau glacée, » s’insurge Douglas Woodring, fondateur de la Ocean Recovery Alliance, une organisation basée à Hong-Kong qui s’emploie à réduire les déchets dans l’océan. « Je pense que la peur des microbes y est pour beaucoup. »

C’est en 2003 qu’il a constaté une augmentation de leur utilisation, après l’épidémie du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) qui avait d’abord touché la Chine puis s’était répandue dans une vingtaine de pays, dans les Amériques et l’Europe, contaminant 8 098 personnes et tuant 774 d’entre elles.

« Puis soudain, les pailles étaient partout, » dit-il. « Puis les consommateurs ont considéré comme normal d’avoir une paille, même s’ils n’en n'avaient pas besoin. »

À mesure que les pailles proliféraient, les campagnes anti-paille faisaient de même. Certaines ont même des noms accrocheurs, comme Straw Wars (en français « la guerre des pailles », en référence au film Star Wars) dans le quartier Soho de Londres, ou Straws Suck (en français « la paille ça craint »), un nom utilisé par la Surfrider Fondation. D’autres campagnes ont été organisées par des écologistes en herbe, comme celle de OneLessStraw, créée à l’initiative d’un frère et d’une sœur, Olivia Ries et Carter Ries, âgés respectivement de 7 et 8 ans.

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Les déchets débordent des poubelles du marché de Brick Lane, dans l'East End de Londres. Des pailles en plastique transpercent les tas de déchets qui jonchent les rues où se tient ce marché hebdomadaire incontournable.
PHOTOGRAPHIE DE In Pictures Ltd., Corbis, Getty

Si la peur des germes a conduit à une consommation mondiale de milliards de pailles, alors la vidéo de l’extraction d’un morceau de paille long de 10 centimètres dans la narine d’une tortue de mer costaricaine pourrait ralentir cette sur-consommation. Bien que la vidéo soit pénible à regarder, elle a été vue plus de 11 millions de fois sur YouTube.

Linda Booker, une réalisatrice originaire de Caroline du Nord, dont le documentaire Straws fait le tour des festivals aux États-Unis, affirme qu’elle s’est en partie inspirée de la vidéo de la tortue pour son projet de film sur les pailles. Elle a interviewé des scientifiques et a intégré les images à son film.

« Je pense que la vidéo de la paille coincée dans le nez de la tortue a en quelque sorte servi de catalyseur pour ces campagnes anti-paillse, » dit-elle.

Le dernier entrant dans cette campagne anti-pailles est la Lonely Whale Fondation, une organisation à but non lucratif fondée par l’acteur Adrian Grenier qui met sa notoriété au service de cette cause. Son programme de sensibilisation a commencé au printemps, lors d’une conférence sur les plastiques des océans à Charleston, en Caroline du Sud, en racontant qu’il avait vu un serveur servir un verre d’eau avec une paille à sa table.

« C’est bon moyen de commencer, » explique Grenier. « Souvent, les gens se retrouvent dépassés par l’importance du problème et finissent par abandonner. Nous avons besoins d’établir des objectifs atteignables au quotidien pour tout un chacun. Si nous pouvons relever le défi d’éliminer les pailles, alors ce sera déjà un bon début. À partir de là, nous pourrons progresser dans la lutte. »

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