La Maison Ruinart choisit une approche artistique pour sensibiliser sur l’urgence climatique

L'artiste Tomás Saraceno a imaginé pour la Maison Ruinart une installation permanente innovante, au sein de la Maison à Reims, donnant à voir la différence que peut faire 1° C dans un monde en plein réchauffement.

De Rédaction National Geographic France
Publication 13 juil. 2021, 16:00 CEST
Movement* - Sculpture aéroglyphique en réalité augmentée formée par la trajectoire d’un aérocene. Né d'un mouvement international pour ...

Movement* - Sculpture aéroglyphique en réalité augmentée formée par la trajectoire d’un aérocene. Né d'un mouvement international pour libérer l'air des énergies fossiles, l'aerocene est soulevé par la seule force de l'air et la chaleur du soleil avant d'être porté par le vent. Tomàs Saraceno avec Aerocene pour la Maison Ruinart.

*Mouvement

PHOTOGRAPHIE DE Tomás Saraceno Pour La Maison Ruinart

Si les comportements individuels et collectifs ne changent pas, si l’urgence climatique n’est pas traitée comme une véritable urgence, alors les tendances déjà observables du dérèglement climatique s’aggraveront, soulignent les experts.

Si l’on peut être tenté de penser qu’une différence de température de 1 °C, voire 2 °C, au niveau mondial sera simplement synonyme d’une douceur plus durablement installée, il n’en n’est rien.

Ce degré de plus est sans doute l’un des signes les moins tangibles d’un monde progressivement déréglé. Les tornades, la fonte rapide des glaciers, les épisodes de gelée ou de grèle anéantissant les récoltes agricoles et les vignes sont plus visibles, plus alarmants.

Mais ce degré aggraverait encore le dérèglement climatique : les épisodes de canicule et les vagues de chaleur mortelles pourraient se multiplier, même en limitant la hausse des températures à 2 °C1. Avec une augmentation de 1,5 °C dans les villes, 350 millions d'habitants supplémentaires seront exposés aux pénuries d'eau. Ce chiffre passera à 400 millions de personnes supplémentaires si la hausse des températures s'élève à 2 °C. Au-delà de +2 °C, la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique de l'Ouest, qui contiennent assez d'eau pour provoquer une hausse du niveau de la mer de 13 mètres, pourraient entraîner un point de non-retour.

Devant ce tableau d’une noirceur inédite, comment mieux sensibiliser avec pédagogie ? Comment matérialiser cette différence de 1 ou 2°C pour faire prendre conscience de l’importance d’agir ?

 

UNE VISION ARTISTIQUE POUR PRENDRE DE LA HAUTEUR

C’est le défi que s’est donné l’artiste argentin Tomás Saraceno pour la Maison Ruinart. Cet architecte de formation s’est fait connaître avec ses performances artistiques et sa conceptualisation de la place de l’Homme sur Terre, et son rapport à l’air.

Son œuvre tout entière cherche à remettre l’Homme à sa juste place. Pour pouvoir à nouveau vivre en harmonie avec la nature, il nous faut retrouver un équilibre juste.

À l'occasion de la COP21 en 2015, Tomás Saraceno a présenté sa vision d’une nouvelle ère : l'Aerocène. Cette période succèderait à ce que certains scientifiques considèrent être l’Anthropocène2. Selon cette théorie, l’influence des activités anthropiques sur les écosystèmes terrestres serait devenue si extrême qu’elle serait aujourd’hui le principal facteur des changements environnementaux.

Tomás Saraceno a pensé l’aérocène comme un mouvement international pour la conscience environnementale qui se matérialise en un ballon d’air, comme un mode de transport imaginé pour des Hommes et des biens.

Ce ballon s’élève sans brûleur et est totalement décarboné. Un seul degré de différence entre l’air enfermé dans la sculpture et chauffé par le soleil et l’air ambiant suffit à la faire s’envoler. Pour l’artiste, ce degré qui peut tout changer sur Terre se voit matérialisé dans un océan d’air.

Cette réinterprétation artistique a été confiée à l’artiste argentin pour expliquer l’importance de l’environnement dans l’élaboration du champagne et s’inscrit dans le cadre du compte à rebours vers le 300e anniversaire de la Maison Ruinart, la première et la plus ancienne maison de Champagne.

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    Movement* - Sculpture aéroglyphique en réalité augmentée formée par la trajectoire d’un aérocene. Né d'un mouvement international ...
    Gauche: Supérieur:

    Movement* - Sculpture aéroglyphique en réalité augmentée formée par la trajectoire d’un aérocene. Né d'un mouvement international pour libérer l'air des énergies fossiles, l'aerocene est soulevé par la seule force de l'air et la chaleur du soleil avant d'être porté par le vent. Tomàs Saraceno avec Aerocene pour la Maison Ruinart.

    *Mouvement

    Droite: Fond:

    Movement* - Sculpture aéroglyphique en réalité augmentée formée par la trajectoire d’un aérocene. Né d'un mouvement international pour libérer l'air des énergies fossiles, l'aerocene est soulevé par la seule force de l'air et la chaleur du soleil avant d'être porté par le vent. Tomàs Saraceno avec Aerocene pour la Maison Ruinart.

    *Mouvement

    Photographies de Tomás Saraceno Pour La Maison Ruinart

    Son histoire remonte au 18e siècle, quand Nicolas Ruinart délaisse le négoce de draps familial pour se consacrer à la production du champagne, ce nouveau « vin de bulles ». Inspiré par son oncle, Dom Thierry Ruinart, il lui faut attendre l'arrêté royal du 25 mai 1728 marqué du sceau royal pour que le transport du vin en bouteilles soit autorisé et que le commerce du champagne puisse devenir une réalité. Avant cette date, le vin ne pouvait voyager qu'en fûts, ce qui rendait l’acheminement du champagne impossible.

    Trois siècles plus tard, au-dessus du vignoble de la Maison Ruinart, terroir témoin d’un écosystème en changement perpétuel, la structure aérienne se détache. Selon l’artiste, on sent la force de l’air, cet air qu’il nous faut préserver pour assurer la pérennité des espèces et de celles qui nous entourent.

     

    LES VIGNOBLES, TÉMOINS D'UN RÉCHAUFFEMENT RÉCENT

    Thomas Labbé, historien à l'université de Leipzig, et ses collègues, ont étudié les archives des vignobles de Beaune3, dont les plus vieux écrits datent du 14e siècle et prennent la forme de fragiles parchemins consignés en l’église Notre-Dame de Beaune. Les registres font état de courtes périodes de réchauffement et d'années exceptionnellement chaudes comme celle de 1540. Mais depuis la fin des années 1980, la chaleur atteint des sommets. Sur les seize dernières années seulement, huit figurent parmi les années aux vendanges les plus précoces. Si l’on vendangeait à la fin du mois de septembre il y a quelques années encore, certaines vendanges commencent désormais dès la mi-août.

    Cela se vérifie également en Champagne, où le dérèglement climatique est une réalité de terrain. Les œnologues de la Maison Ruinart ont constaté une augmentation de 1,3° C entre 1961 et 2020. Sur la montagne de Reims, un plateau boisé où se trouvent les vignes de Taissy, on récoltait le raisin à la fin du mois septembre en 1981. De fait, trois des quatre dernières vendanges, six depuis 2003, ont eu lieu en août, ce qui n’était arrivé qu’une seule fois dans l’histoire de la Champagne, en 1822.

    Les effets de quelques degrés en plus sur la vigne sont variables. Les régions encadrées par de hautes collines sont davantage protégées que les vignes du Sud-Ouest par exemple, où la canicule de l’été 2019 a eu pour effet de brûler les feuillages de la vigne et de sécher les raisins.

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      La structure aérienne noire imaginée par Tomás Saraceno flotte au-dessus du domaine de la Maison Ruinart.

      La structure aérienne noire imaginée par Tomás Saraceno flotte au-dessus du domaine de la Maison Ruinart.

      PHOTOGRAPHIE DE Tomás Saraceno Pour La Maison Ruinart

      L’arôme des vins et des champagnes évolue aussi à mesure que le thermomètre grimpe. Une étude du Whitman College a ainsi démontré que la teneur en alcool des vins de Napa était passée d'environ 12.5 % dans les années 1970 à 14.8 % en moyenne en 20014, bien que ce chiffre varie selon les années et les régions. Cette augmentation est en partie due à la maturation plus rapide du raisin sous l'effet de la chaleur. La maturation apporte au raisin son sucre qui est ensuite transformé en alcool lors du processus de vinification et donc, plus il y a de sucre, plus le degré d'alcool d'un vin sera élevé. En Champagne, on observe une décorrélation dans la maturité technologique (les sucres) et la maturité physiologique (couleur, arômes), typique de variétés de raisins précoces soumis à des climats plus chauds.

      Dans les vignes de Taissy aussi le dérèglement climatique est devenu un enjeu majeur. Depuis la canicule de 2003, la Champagne a connu six vendanges précoces en août. Le raisin étant à la merci des éléments, chaque pic de chaleur complique fortement la création de cuvées.

      Afin de préserver la terre portant les fruits lui permettant de produire son champagne, la maison Ruinart a progressivement adapté l’ensemble des pratiques dans le vignoble. Un engagement fort pour cette maison de près de 300 ans d’existence, la plus vieille maison de champagne. L’utilisation d’intrants - fertilisants et produits phytosanitaires – et de fongicides a été diminué de 50 % et plus aucun herbicide n’est utilisé depuis 2020.

      Au cœur des vignes, un ambitieux projet en faveur de la biodiversité a vu le jour. Cette collaboration avec Reforest'Action va permettre la plantation de près de 25 000 arbres et arbustes dans le vignoble de Taissy d'ici 2022 pour régénérer les sols et faire revenir la faune dont l'habitat avait été morcelé. Car si les produits pulvérisés sur les vignes dans le passé ont participé à faire fuir les nuisibles, ils ont aussi chassé les être utiles à la culture de la vigne comme les coccinelles, les chrysopes, les oiseaux et les chauve-souris…

      La structure aéroglyphique flotte toujours au-dessus du vignoble de Taissy en attendant que la vie sauvage fasse à nouveau corps avec la vigne. Cette métaphore matérielle et pédagogique du dérèglement climatique se matérialise dans les airs.

       

      1 - Dérèglement climatique : l’humanité à l’aube de retombées cataclysmiques, alerte un projet de rapport du GIEC, Le Monde avec AFP, 2021.
      2 - Anthropocène : l’Homme transforme la Terre depuis des millénaires, de Glenn Hodges, traduit de l'anglais par Marisa Dos Santos, National Geographic, 2021. 
      3 - The longest homogeneous series of grape harvest dates, Beaune 1354–2018, and its significance for the understanding of past and present climate, de Thomas Labbé, Christian Pfister, Stefan Brönnimann, Daniel Rousseau, Jörg Franke, et Benjamin Bois, Université de Leipzig, Leibniz Institute for the History and Culture of Eastern Europe (GWZO), 2019.
      4 - Climate Change: Observations, Projections and General implications for viticulture and wine production, de Gregory V. Jones, Whitman College, 2007.

      L’abus d'alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

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