La mer d'Aral que l'on croyait morte est revenue à la vie
Grâce aux importants efforts de restauration de l’écosystème, les poissons sont de retour dans la partie nord de la mer d’Aral. Un soulagement pour les populations qui en dépendent.
Dans la région d’Aralsk, au Kazakhstan, Omirserik Ibragimov a le regard fixé sur le trou qu’il a creusé dans la mer d’Aral, recouverte de glace. Le jeune homme de 25 ans remonte le filet de pêche qu’il a installé avec son père il y a tout juste trois jours sous la surface solide et recouverte de neige.
Après un long silence d’une minute, deux brèmes émergent du trou. Puis c’est au tour de trois sandres, leurs écailles argentées scintillant alors qu’ils se débattent dans les mailles du filet.
« Voilà notre or », sourit Omirserik, tout en continuant à remonter le filet. Avec sa chair tendre qui comporte peu d’arrêtes, le sandre est considéré comme la prise la plus précieuse et se vend au prix de 650 tenge, soit un peu plus d’1,60 € le kilo. Les pêcheurs locaux le surnomment « le poisson d'or ».
Le père d’Omirserik, Kidirbai, sort les poissons du filet à mains nus. Ses poings sont rougis par l’eau gelée. Une fois tous les filets remontés, c’est le moment de peser la prise du jour : environ 35 kilos de sandre et 20 kilos de brème. Un beau butin pour quelques heures de travail.
Il y a 15 ans, on ne pouvait que rêver d’une telle prise. Alors qu’elle était l’un des lacs d’eau douce les plus grands au monde avec une superficie de plus de 67 000 km², la mer d’Aral a été victime des politiques agricoles de l’Union soviétique dans les années 1950. Afin d’irriguer les cultures de coton, le gouvernement a pris la décision de détourner l’eau de l’Ama Darya et du Syr Darya, les deux fleuves qui se jetaient dans la mer.
La baisse du débit d’eau dans la mer d’Aral a provoqué une hausse de la salinité et les espèces de poisson d’eau douce ont commencé à périr. Dans les années 1980, la pêche dans la région d’Aralsk n’était plus qu’un lointain souvenir. Avec la disparition de cette industrie, qui constituait l’un des plus importants employeurs de la région, la population est partie en masse. Ceux qui sont restés ont alors dû affronter des conditions météorologiques extrêmes, conséquences de l’assèchement de la mer, et ont vu leur état de santé se détériorer.
« Nous avons détruit l’Aral et la Nature s’est vengé sur nous », a déclaré Madi Zhasekenov, directeur du musée de la région d’Aralsk et du musée des pêcheurs.
UN DÉSASTRE DE GRANDE ENVERGURE
Une trentaine d’années à peine auront suffi à détruire cette mer qui chevauche le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Aujourd’hui, sa superficie est très réduite : elle ne représente plus qu’un dixième de sa surface originale. Ce qu'il reste de la mer est désormais séparé en deux parties distinctes : la mer d’Aral du nord et la mer d’Aral du sud. En Ouzbékistan, c’est tout le bassin à l’est de la mer d’Aral du sud qui s’est desséché : il ne reste plus qu’une bande d’eau à l’ouest. Ce désastre est considéré comme l’une des pires catastrophes écologiques de l'Histoire par les environnementalistes.
L’issue est plus heureuse pour la mer d’Aral du nord au Kazakhstan. Grâce à un projet de 70 millions d’euros financé en grande partie par la Banque Mondiale, les digues déjà en place ont été réparées pour éviter que l’eau ne se déverse et Kokaral, un barrage d’environ 13 km a été construit au sud du fleuve Syr Darya. Sa construction a été achevée à l’été 2005 et ses conséquences sur la mer d’Aral ont dépassé toutes les espérances. Après seulement sept mois, le niveau de l’eau a augmenté de trois mètres, surprenant les scientifiques qui pensaient que cela prendrait au minimum trois ans.
Suite à ce revirement de situation dans la partie nord de la mer d’Aral, les poissons sont réapparus, une bonne nouvelle pour les populations locales. Alors que les politiques du gouvernement la condamnaient, une partie de la mer d’Aral revit grâce au projet de restauration de l’écosystème entrepris.
Pour Kristopher White, chercheur et professeur à l’Université KIMEP d’Almaty qui a étudié l’impact économique de l’assèchement de la mer d’Aral, la mer ne retrouvera jamais son niveau d’antan, mais une hausse de 18 % de la superficie de la mer d’Aral du nord est la preuve que la volonté politique et la recherche scientifique peuvent avoir des effets bénéfiques sur l’environnement.
« L’intervention humaine peut altérer de façon positive les dommages écologiques anthropogéniques », a-t-il déclaré.
ESPOIR ET OPTIMISME
En 1957, année où les propensions de la Mer d'Aral étaient les plus importantes, l'on pouvait y pêcher plus de 48 000 tonnes de poissons, l'équivalent de 13 % de la consommation de poissons de toute l'Union Soviétique. Dans les années 1980, à cause d'une salinité plus importante de l'eau, les 20 espèces de poissons endémiques du lac ont été décimées. La surpêche a aggravé un peu plus ce phénomène pour réduire à néant les populations de poissons en 1987.
L'eau de la Mer d'Aral a reculé et aujourd'hui, elle ne recouvre qu'une étendue de 20 kilomètres.
Au cours des décennies 1980 et 1990, le flet était le seul poisson qui pouvait survivre à un tel taux de salinité. Mais après la construction du barrage de Kokaral, la salinité moyenne est passée de 30 à 8 grammes par litre, ce qui a entraîné le retour de près de deux douzaines d'espèces de poissons d'eau douce dans la rivière Syr Darya.
Selon l'Unité d'inspection des poissons d'Aralsk, les prises de poissons dans la mer d'Aral Nord ont été multipliées par six depuis 2006. En 2016, 7 106 tonnes de poisson ont été capturées, la dorade étant la plus commune, suivie du gardon et du sandre si recherché. Pour 2018, la limite de pêche est fixée à 8 200 tonnes, pour préserver ce nouvel équilibre si fragile.