Le Lac Érié, véritable machine à neige

À cause de l’effet de lac, les communautés vivant autour du lac Érié subissent des tempêtes de neige dévastatrices qui font s’effondrer les toits et rendent les routes impraticables. Cet effet météorologique pourrait-il s’aggraver ?

De Stephen Starr
Publication 27 févr. 2025, 17:22 CET
En 2021, à la mi-février, le lac Érié avait gelé. Mais les scientifiques sont en train ...

En 2021, à la mi-février, le lac Érié avait gelé. Mais les scientifiques sont en train de s’apercevoir que la glace apparaît plus tard l’hiver sur l’eau du lac, qui se réchauffe. Cela génère des conditions propices à de dangereux effets de lac et chutes de neige qui touchent les communautés vivant sous le vent.

PHOTOGRAPHIE DE Gabe Leidy

ASHTABULA, OHIO – Jim Timonere attend patiemment que le lac Érié gèle pour avoir enfin un peu de répit. 

L’hiver a été brutal pour les communautés qui vivent sur les rives sud et sud-est du lac Érié, qui empiète sur trois États : l’Ohio, la Pennsylvanie et New York.

Lors du dernier week-end de Thanksgiving, la région a été paralysée par une tempête « historique » dont les chutes de neige ont atteint 1,80 mètre et perturbé le quotidien des habitants sur des centaines de kilomètres.

« Quand je me suis levé à trois heures du matin pour vérifier les chutes de neige, je me suis dit : "Rien de bien grave." », se souvient-il. « Deux heures plus tard, j’ai jeté un œil dehors et c’était : "Oh mon Dieu." Des mètres de neige sont tombés en l’espace de quelques heures. »

Les toits de plus d’une dizaine de bâtiments d’Ashtabula se sont effondrés, y compris celui du lycée local, ce qui a contraint des centaines d’élèves à suivre leurs cours en ligne pendant un mois.

« Nous sommes habitués à nos 20 centimètres de neige. Ça, on peut gérer », affirme Jim Timonere, directeur depuis 2011 des services municipaux d’Ashtabula, ville de près de 18 000 habitants. « [Mais] quand on commence à parler en mètres, et de cinq à sept centimètres par heure, personne ne peut suivre le rythme. »

À bien des égards, le lac Érié est le moins spectaculaire des Grand Lacs ; c’est le moins profond, le moins volumineux et le plus méridional. Mais il engendre des conditions neigeuses aussi dangereuses pour les habitants de Cleveland, dans l’Ohio, que pour ceux de Buffalo, dans l’État de New York, et d’ailleurs.

Alors que dans la majeure partie du nord du Midwest les chutes de neige ont été inférieures à la moyenne saisonnière cet hiver, l’inverse se produit dans les régions se trouvant dans l’axe des vents des Grands Lacs.

Par deux fois déjà cet hiver, des habitants des rives sud et sud-est du lac Érié ont dû faire face à des chutes de neige record qui ont entraîné la mobilisation de la garde nationale et la déclaration d’états d’urgence.

De manière paradoxale, certains éléments suggèrent que le réchauffement que subit notre planète devrait exposer les communautés vivant dans l’axe des vents qui soufflent sur les Grands Lacs à davantage d’épisodes neigeux importants.

 

COMMENT DES TEMPÉRATURES PLUS ÉLEVÉES PEUVENT FAVORISER LES CHUTES DE NEIGE

Lorsque de l’air froid venant de l’Arctique et du Canada et se déplaçant vers le sud passe au-dessus de lacs chauffés durant tout l’été et tout l’automne, cela crée des conditions propices à une évaporation rapide de l’eau dans l’atmosphère, ce qui peut ensuite conduire à des chutes de neiges rapides et massives.

En raison de sa faible profondeur (64 mètres à son point le plus profond), la température des eaux du lacs Érié peut augmenter rapidement durant les mois d’été et d’automne. Depuis le début des relevés, en 1927, les températures de l’eau du lac ont augmenté. D’un bout à l’autre des années 1950, un thermomètre immergé à Buffalo, dans l’État de New York, a indiqué des températures inférieures ou égales à 20,5° C pendant vingt-huit jours au mois d’août. Lors de la décennie passée, cela ne s’est produit que durant deux jours et la température moyenne était montée à 23,3° C.

À cause du réchauffement de ces eaux, la superficie couverte par la glace a été historiquement faible lors des hivers récents ; lors des premiers jours de 2025, le lac Érié était encore dépourvu de glace, bien qu’une baisse ultérieure des températures ait fini par le faire geler. Ces conditions chaudes créent les circonstances parfaites pour des chutes de neige importantes.

« À un certain niveau, par rapport au passé, [l’effet de lac est] extraordinaire, surtout cet hiver. C’est à cause de la chaleur des lacs », indique Richard « Ricky » Rood, professeur émérite de l’Université du Michigan, qui dirige Open Climate, un site Internet qui recueille et partage des plans de leçons sur la climatologie.

« Ce que nous constatons cette année est le fait que les Grands Lacs restent chauds, que la glace est encore relativement absente bien plus tard dans la saison d’hiver, et qu’il y a encore des vagues de froid », observe Richard Rood.

Une étude publiée dans le Journal of Climate en 2003 montre « une tendance haussière statistiquement significative en ce qui concerne les chutes de neige sur les sites présentant un effet de lac » durant l’ensemble du 20e siècle et sur l’ensemble des Grands Lacs. En outre, une autre étude portant spécifiquement sur la ville de Buffalo et publiée dans la revue Earth’s Future en juin dernier révèle que les conditions à l’origine de la neige d’effet de lac pourraient entraîner une augmentation de 14 % des chutes à mesure que la planète se réchauffe, bien qu’une partie puisse tomber sous forme de pluie.

Des modèles du Centre des sciences et évaluations intégrées sur les Grands Lacs (GLISA) suggèrent que les températures atmosphériques dans la région pourraient augmenter de 6,1° C d’ici à 2100, un changement qui entraînerait un réchauffement de l’eau des lacs à mesure que se succèdent des années de météo plus chaude.

Étant donnée la relation complexe entre les flux d’air arctique et les régimes climatiques changeants, les experts ne peuvent pas prédire avec certitude ce à quoi les chutes de neige futures autour des Grands Lacs ressembleront, bien que les ingrédients propices aux tempêtes de neige graves (réchauffement de l’eau en surface et vagues d’air arctique extrêmement froid) ne soient vraisemblablement pas en voie de disparaître.

« La fréquence à laquelle l’air traversant les Grands Lacs est suffisamment froid pour produire des épisodes neigeux dus à des effets de lac est probablement en train de diminuer en moyenne », explique David Kristovich, membre du département des sciences climatiques, météorologiques et atmosphériques de l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign.

« Cependant, il est difficile d’imaginer une situation où cesseraient de se produire des vagues occasionnelles et extrêmes d’air relativement froid entraînant d’intenses précipitations ou chutes de neige dues à des effets de lac », ajoute-t-il.

Dans les années qui viennent, les habitants des Grands Lacs ne seront pas les seuls qui pourront être confrontés à des effets de lac. Le réchauffement des eaux a engendré des tempêtes de neige dues à des effets de lacs et de mer ailleurs dans le monde ; des tendances sont documentées à Istanbul et dans des villes situées sous le vent en mer du Japon.

En janvier, un épisode neigeux dû à un effet de lac a été signalée le long de la côte du Golfe, aux États-Unis.

Dans l’ensemble, les hivers se réchauffent, mais cela n’empêchera des vagues d’air froid d’avoir lieu ; les tempêtes seront moins fréquentes mais plus virulentes. En janvier, par exemple, la partie du lac Érié qui se trouve en Pennsylvanie a enregistré des chutes de neige dans la moyenne pour le premier mois de l’année, mais la moitié de ces chutes ont eu lieu en l’espace de trois jours seulement.

« Comme le climat se réchauffe activement, ce que nous faisons maintenant, c’est de commencer à tester ce climat qui se réchauffe, explique Richard Rood. Ne considérez pas cela comme un événement isolé. »

 

S’ADAPTER AUX CHUTES DE NEIGE IMPORTANTES

JoAnn Vranek, professeure d’anglais à la retraite qui vit à Ashtabula depuis plusieurs décennies, raconte ne pas avoir pu sortir de sa maison lors de la tempête du week-end de Thanksgiving et avoir dû faire appel à un entrepreneur pour déneiger son allée.

« J’ai fait une bonne affaire [mais] d’autres dans ma rue ont dû payer des centaines de dollars pour engager des gens », indique-t-elle. « La maison à côté de la mienne, ses gouttières et son toit ont cédé. Elle va devoir faire réparer cela. Je n’ai pas souvenir que cela se soit déjà produit. »

Le bâtiment du lycée local où elle travaillait et qui a été construit il y a moins de vingt ans pour un coût de 40 millions de dollars (plus de 50 millions d’euros actuels) demeure fermé, car son toit s’est effondré sous le poids de la neige. Selon les autorités, il faudra peut-être une année avant que les étudiants puissent réintégrer le campus dans leur ensemble.

La tempête de Thanksgiving a également placé certains services cruciaux d’Ashtabula sous une contrainte considérable. Selon Jim Timonere, les services d’urgence de la ville ont eu du mal à atteindre les habitants dont les maisons présentaient parfois des niveaux élevés de monoxyde de carbone, car la neige avait bloqué les conduits d’évacuation de leurs systèmes de chauffage. Un canton des environs a dû déployer un camion-citerne pour éteindre un incendie parce que les bouches d’incendie étaient ensevelies sous la neige et parce que les pompiers n’arrivaient pas à les trouver.

« En ce qui concerne les petites communautés comme la nôtre, nous ne disposons pas de fonds abondants pour faire face à cela », précise-t-il. « Je n’ai pas vingt gars que je peux envoyer sur les routes quand nous avons de la neige comme ça, comme peuvent le faire les grandes villes. »

Il recommande aux habitants se trouvant sur le chemin de tempêtes dues à des effets de lac de faire inspecter leurs toits par des professionnels.

Selon Yue Li, professeur d’ingénierie à l’Université Case Western Reserve, à Cleveland, l’adaptation à des tempêtes de neige plus importante nécessitera de sérieuses mises à niveau.

« Les villes devront concevoir des quartiers dotés de meilleurs systèmes de drainage, intégrer des zones de stockage de la neige [et] réévaluer les standards en matière de construction, notamment pour ce qui est des toits, afin de faire en sorte qu’ils puissent supporter des charges neigeuses importantes », explique-t-il. « Étendre l’accès aux équipements de déblayage de la neige, aux sites de stockage et aux fournitures de secours, comme le sel et le sable, est vital pour le maintien de la mobilité et de la sécurité. »

Ashtabula lance un plan de 100 millions d’euros visant à mettre à niveau son infrastructure de traitement de l’eau et des eaux usées et les dirigeants de cette communauté se retrouvent désormais à prendre en compte les inondations causées par la pluie et les épisodes neigeux importants.

« Espérons que cela n’ait été qu’une anomalie, mais ainsi que nous l’avons dit, conclut Jim Timonere, la météo est en train de changer et il n’est plus possible de le nier. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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