Le point commun des rivières du monde entier ? Les résidus de médicaments

Des scientifiques ont évalué la pollution mondiale de l’eau de nos rivières et les résultats démontrent la contamination aux résidus de produits médicamenteux et toxiques dans tous les cours d’eau analysés.

De Margot Hinry
Publication 10 mars 2022, 17:16 CET
Le soleil se couche au-dessus des cascades de la rivière inférieure Lewis, situées dans la forêt ...
Le soleil se couche au-dessus des cascades de la rivière inférieure Lewis, situées dans la forêt nationale Gifford Pinchot de l’État de Washington. Si cette portion de la rivière est sauvage et spectaculaire, d’autres ont perdu leur charme avec la construction de grands barrages et de réservoirs. La Lewis draine l'impressionnante chaîne des Cascades. Les centrales hydroélectriques permettent certes de produire de l'électricité, mais elles changent aussi le caractère naturel de la rivière, au détriment des poissons migrateurs, comme le saumon. Pour permettre à nouveau aux poissons d'accéder à 270 km de leur habitat principal situé en amont, des camions ont commencé à les transporter pour les emmener de l'autre côté des barrages de la Lewis.
PHOTOGRAPHIE DE Scottyboipdx Weber, National Geographic Your Shot

Quotidiennement, les hommes et les femmes du monde entier consomment et ingèrent des produits chimiques qui se retrouvent tôt ou tard dans l’environnement. Lorsqu’un médicament est ingéré par l’organisme, « on en métabolise qu’une partie, l’autre est éliminée » explique Jeanne Garric, directrice de recherche émérite à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

Le docteur John Wilkinson, basé au département Environnement et Géographie de l'Université de York en Angleterre, a coordonné un projet d’étude avec une équipe internationale de 127 collaborateurs pour établir un état des lieux de la pollution des eaux de rivières. Pour la première fois dans le monde, une étude d’une grande ampleur a vu le jour, pour mettre en lumière l’étendue de la pollution chimique et médicamenteuse des rivières. Des échantillons de 258 rivières différentes ont été observés, du Venezuela à Séoul, en passant par Londres. L’étude publiée dans PNAS implique tous les continents, toutes les zones climatiques et « les zones d'instabilité politique, comme par exemple, la Cisjordanie palestinienne » affirme le docteur John Wilkinson.

« Nous savons depuis un peu plus d'une vingtaine d'années que les produits pharmaceutiques se retrouvent dans nos rivières et nous avons commencé à comprendre qu'ils peuvent avoir des effets biologiques sur les organismes aquatiques » précise le coordinateur de l’étude.

Cette étude permet de mettre en avant le niveau de pollution des rivières et à quel point certains points d’eau sont devenus toxiques pour le vivant : « 19 % des sites que nous avons étudiés dans le monde présentaient des concentrations d'au moins un médicament antimicrobien supérieures aux seuils de sécurité. Nombre de ces sites se trouvaient dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, qui n'avaient pas été étudiés auparavant ou qui l'avaient été de manière très insuffisante » ajoute John Wilkinson.

L’étude révèle qu’au Bangladesh, les concentrations de métronidazole, un antibiotique prescrit pour traiter des infections pouvant être causées par des parasites et des bactéries anaérobies, sont plus de 300 fois supérieures à la limite de sécurité contre la sélection bactérienne de la résistance aux antimicrobiens.

L’un des gros enjeux de cette surconcentration de produits pharmaceutiques dans l’eau des rivières est le développement d’une résistance aux médicaments antibiotiques. Le docteur Pierre Souvet, cardiologue et fondateur de l’association Santé Environnement France parle d’antibiorésistance. « Une communauté bactérienne exposée à un antibiotique à une fraction infime de cette concentration peut développer une résistance à un médicament antimicrobien. […] Il est prouvé que la résistance aux antimicrobiens est déjà à l'origine de décès dans le monde » confirme le principal auteur de l’étude. « Nous commençons tout juste à comprendre que la composante environnementale est un facteur important dans cette menace […] pour la santé publique humaine. La compréhension des effets de ces substances dans l'environnement reste une voie de recherche très active, car nous n’en savons tout simplement pas grand-chose pour l'instant. »

En effet, il ne s’agit pas uniquement de produits pharmaceutiques, mais de toutes sortes de substances toxiques. « On retrouve aussi les perturbateurs endocriniens. On retrouve beaucoup de glycérol, de plastifiants, de pesticides… » liste Pierre Souvet. La pollution toxique ne provient pas seulement de l’accumulation d’un antibiotique, mais bien des mélanges « de tous ces micro-polluants ».

 

COMMENT LUTTER CONTRE CETTE POLLUTION ?

Pierre Souvet déplore le manque de contrôle des médicaments lors de leur mise sur le marché. « On réclame depuis longtemps que dans les autorisations de mise sur le marché, au niveau des médicaments humains, il y ait une étude environnementale. Actuellement, s’il y a un problème, l’autorisation de mise sur le marché n’est pas bloquée. C’est-à-dire que si c’est très toxique pour l’environnement, ça ne sera pas forcément interdit. »

Comment une eau traitée peut-être finalement si concentrée en micro particules polluantes ? « Les stations d’épuration sont formellement fabriquées pour abattre l’azote et le phosphore, tout ce qui nous vient des eaux usées, de nos toilettes. Pour ce qui est des produits chimiques, les processus ne sont pas nécessairement très performants. Cela dépend complètement des molécules, de leurs réfractions à la biodégradation » précise Jeanne Garric. Il existe cependant des systèmes de traitements « oxydants » qui utilisent l’ozone pour « casser les molécules ». Mais la limite économique rattrape la plupart des pays qui ne font pas du traitement des eaux et la gestion des déchets une priorité.

L’étude a analysé 1 052 échantillons prélevés selon les mêmes protocoles. « Nous avons développé une sorte d'approche "en étoile" pour aborder la question. Avec l'Institut d'études géologiques des États-Unis (USGS), nous avons trouvé un moyen de collecter des échantillons dans le monde entier et de les expédier à un seul centre d'analyse (à York, au Royaume-Uni) sans qu'il y ait de dégradation significative en cours de route. Cette méthode s'est avérée étonnamment efficace. Grâce à cette méthode unique, nous avons pu surveiller 61 produits pharmaceutiques dans 104 pays, ce qui représente une sorte "d’empreinte pharmaceutique" de près d'un demi-milliard de personnes sur tous les continents » éclaire John Wilkinson.

Comme l’explique l’INRAE dans un communiqué, « les résultats montrent que le degré de pollution des cours d’eau est corrélé aux conditions socio-économiques du pays : les sites les plus contaminés étant ceux des pays à faibles revenus et avec peu ou pas de système de traitement des eaux usées domestiques, ou issues des industries pharmaceutiques ».

« La concentration cumulée moyenne la plus élevée a été observée à Lahore, au Pakistan. […] Ce site était suivi de La Paz, Bolivie […] et d'Addis-Abeba, Éthiopie. […] Les échantillons les plus contaminés provenaient principalement de campagnes d'échantillonnage dans des pays africains (par exemple, Éthiopie > Tunisie > République démocratique du Congo > Kenya > Nigeria) et asiatiques (Pakistan > Inde > Arménie > Palestine > Chine) » selon les données de l’étude.

Malheureusement, la pollution des eaux de rivières n’est pas un problème écologique et sanitaire récent. En 2014, une pétition avait été relayée par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) pour lutter contre les rejets polluants dans les Calanques de Marseille. Détergents, hydrocarbures, métaux et substances pharmaceutiques avaient été relevés par plusieurs équipes de recherche. « En 2007, dans les calanques de Marseille, il y avait déjà beaucoup de paracétamol, […] 250 microgrammes de paracétamol par litre, est-ce que vous vous rendez compte ? » s’insurge le docteur Souvet.

Certaines solutions sont envisagées, mises sur la table, et parfois même votées, mais selon le président de l’association Santé Environnement, il y a un manque de suivi et d’accompagnement.

« Le 31 janvier, il y a eu un décret autorisant la vente de médicaments à l’unité. Mais sous la condition que c’était facultatif pour les pharmacies et qu’il n’y ait aucun accompagnement. […] Il n’y a donc pas eu d’accompagnement des pharmaciens pour leur faciliter la tâche, les industriels qui devaient éventuellement faire des plaquettes avec des blisters qui soient détachables facilement n’ont rien fait. En termes de volume, ils peuvent perdre de l’argent. Donc ça a été publié, c’est officiel, mais je ne sais pas s’il y aura un seul pharmacien qui va le faire. C’est une mesure vouée à l’échec par manque d’accompagnement. Aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne, ça fonctionne comme ça depuis longtemps. On ne vous donne pas une boite, on vous donne votre quantité exacte ».

John Wilkinson est optimiste et espère que cet état des lieux permettra une prise de conscience « des gouvernements et ONG », qu’ils comprendront l'importance des infrastructures de traitement des eaux polluées « et encourageront leur développement, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire ».

Finalement, le scientifique conclut en insistant sur l’aide et le changement d’habitude de la population en général. « Au lieu de jeter les vieux produits pharmaceutiques dans les toilettes ou de les mettre en décharge, vous pouvez les rapporter dans la plupart des pharmacies où ils seront éliminés en toute sécurité bien avant d'atteindre l'environnement ».

Des travaux de recherches pour viser à créer des produits chimiques et pharmaceutiques plus sains constituent, selon l’expert, « un domaine très prometteur ».  

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