Les algues vertes, carburant d'avenir ?
La question des alternatives aux énergies fossiles pour les hydrocarbures se fait de plus en plus pressante. Plusieurs équipes de scientifiques travaillent sur ce sujet et explorent notamment le potentiel des micro-algues.
Études de micro-algues au Laboratoire de Physiologie Cellulaire et Végétale, IRIG, CEA Grenoble.
« On n’en est plus à vouloir inverser la machine, on en est à faire face à la sixième extinction » se désole Eric Maréchal, chef de laboratoire au CNRS. Alors pourquoi ne pas explorer la piste des micro-algues pour nos futurs biocarburants ? Ces organismes constituent une réelle alternative bas carbone, notamment pour les gros-porteurs tels que les avions, les bateaux et les poids lourds routiers.
« L’idée, c’est de sortir des énergies fossiles » explique Eric Maréchal. Aujourd’hui, nos hydrocarbures sont « des molécules riches en carbone, issues de la photosynthèse qui a pu se faire au cours des temps géologiques pendant des millions d’années ».
Pour comprendre à quel point la technique de captage d’hydrocarbures issus d’énergies fossiles n’est pas viable dans le temps, Eric Maréchal contextualise. « On ne peut manger de la matière organique que parce qu’avant, c’était du CO2. Une fois que la matière organique est mangée, recyclée ou qu’elle entre dans le réseau trophique, le CO2 est recraché. Ou alors, ça se sédimente, ça se stocke. Ce stockage, au cours des temps géologiques, a créé les gros réservoirs d’hydrocarbures que nous brûlons aujourd’hui. On recharge l’atmosphère par le CO2 patiemment capturé au cours des temps géologiques. […] Depuis plus d’un siècle, on recrache le CO2 capturé par la photosynthèse qui nous a précédés ».
Ces ressources ne sont pas éternelles. Ainsi, plusieurs unités du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) cherchent à développer un modèle avec le bilan carbone le plus neutre possible.
« Pour cela, le modèle, c’est de capturer [le CO2] par la photosynthèse, de le convertir et de se débrouiller pour que cela soit énergétiquement dense, pour que l’on puisse l’utiliser pour faire un carburant liquide et lorsqu’on le brûle, le CO2 rejeté dans l’atmosphère soit le CO2 capturé au début. Ainsi, on a peu d’impact sur l’atmosphère » explique le scientifique.
La recherche se tourne vers une solution qui limite les productions de CO2, « voire même une utilisation du co2 comme un substrat » ajoute Jérome Garin, directeur de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire de Grenoble (IRIG).
Photo d’études de micro-algues au Laboratoire de Physiologie Cellulaire et Végétale, IRIG, CEA Grenoble.
« L’avantage des micro-algues, c’est qu’il y a une grande diversité d’organismes. Nous travaillons notamment avec des organismes issus de milieux marins. Les prévisions pour les décennies à venir ce sont des déficits d’eau douce, alors l’utilisation d’eau salée est un avantage » témoigne Juliette Salvaing chercheuse à l’Inrae.
La culture de ces micro-algues ne nécessite aucune compétition avec les terres de cultures utilisées par les biocarburants « de première et deuxième générations » puisqu’il s’agit d’une culture sur terres arables. « L’un des autres avantages, c’est que contrairement à d’autres biocarburants de deuxième génération qui reposent sur des micro-organismes, les micro-algues ce sont des organismes photosynthétiques. Elles sont capables d’utiliser la lumière du soleil et le CO2 ambiant pour ensuite produire de l’oxygène et utiliser l’énergie solaire pour faire de la biomasse » décrit Juliette Salvaing.
DIFFÉRENTS ORGANISMES POUR PLUS D’HYDROCARBURE
« Le terme micro-algues regroupe une grande diversité d’organismes. Je l’utilise pour parler d’un organisme d’eucaryotes, qui ne sont pas des bactéries » précise la scientifique. Selon l’experte, la définition du terme de micro-algues est plutôt large. Cela englobe tant des organismes très proches des plantes, comme les micro-algues, que les diatomées (Bacillariophyta) qui ont une évolution très divergente des plantes.
Ces organismes peuvent pousser dans une pluralité de milieux tels que « l’eau douce, l’eau de mer, les milieux saumâtres, les eaux usées, les eaux issues de rejets industriels » précise Juliette Salvaing, chaque espèce est différente. Les différents groupes d’experts qui travaillent sur ces questions doivent adapter les conditions de culture selon ces espèces.
Ces connaissances autour du métabolisme végétal permettent de pouvoir l’orienter « dans le sens vers lequel on veut aller » explique Jérome Garin. Pourtant, il existe deux inconvénients majeurs.
D’abord, la concurrence entre la production d’huile et la croissance cellulaire. « Pour produire de l’huile, cela se fait généralement sous l’effet d’un stress qui va ralentir, voir stopper la croissance. Il y a une concurrence entre la multiplication de la biomasse et la production d’huile. Selon les espèces, la production est plus ou moins importante, on parle de 40 à 80 % de rendement d’huile » précise Juliette Salvaing.
Le deuxième obstacle reste le coût d’extraction. « Les micro-algues possèdent des parois ; à l’heure actuelle, les procédés d’extraction sont encore coûteux en énergie. Ce n’est pas encore rentable mais on y travaille pour améliorer cela et rendre ces biocarburants utilisables. »
« Avec la recherche, on a montré la faisabilité. À ce jour, on sait faire marcher un moteur à explosion avec de l’huile issue d’algues de plantes. Mais non, on n’a pas encore de rendements économiques comparables à ce que l’on récupère dans le sol. […] Il est possible que nous ayons à basculer vers un nouveau modèle économique dans le secteur des énergies. Il faut imaginer un changement pour l’avenir » confirme Eric Maréchal.
Toujours en phase de recherche, les équipes de scientifiques ont besoin de retours d’industriels pour « optimiser les souches et les procédés de culture ». Afin de produire à grande échelle, au-delà des tubes à essai de laboratoires, un système industriel doit s’emparer du projet pour le développer. Ici, c’est TotalEnergies qui s’approprie les procédés afin d’explorer la possible utilisation de micro-algues comme biocarburants de gros-porteurs. « Il est probable que certaines souches ne résisteront pas à ce passage à grande échelle. Il va falloir passer de quelques millilitres à des milliers de mètres cube. C’est la compétence d’industriels, mais ça ne paraît pas aberrant du tout » conclut le directeur de l’IRIG.