Les conséquences du dégel sur le sol de l'Arctique
Le sol gelé des régions arctiques constitue la principale réserve de gaz à effet de serre de la planète. Les conséquences de son dégel sur l’élévation des températures pourraient être dramatiques.
On parle beaucoup de la fonte de la banquise. Moins du dégel du pergélisol. Le sol gelé de l’Arctique constitue pourtant le plus important réservoir de carbone de la planète. S’il venait à dégeler et à libérer l’intégralité de ses réserves de gaz à effet de serre, les températures pourraient augmenter de 12 °C ! Ces estimations vont bien au-delà des 4,8 °C d’élévation à l’horizon 2100 prévus par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans son pire scénario. Pourquoi la fonte du pergélisol peut-elle devenir la plus grande des menaces pour le climat ? Réponse avec Florent Dominé, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’université de Laval (Québec).
Les scientifiques observent, depuis plusieurs années, que le réchauffement climatique est plus intense aux latitudes extrêmes, où le sol est gelé. Pouvez-vous nous expliquer les raisons d’une telle amplification ?
Dans les régions polaires, les températures augmentent deux à trois fois plus vite que sur le reste du globe : entre 0,2 °C et 0,5 °C par décennie. Pourquoi ? Parce que la majeure partie de l'année, les régions polaires sont recouvertes de neige. Cette neige réfléchit la lumière solaire : on dit que l'albédo de la neige - la fraction de la lumière solaire qui est renvoyée vers l'espace - est élevé. Quand le climat se réchauffe, la neige fond et les surfaces de neige à albédo élevé sont remplacées par des surfaces de végétation ou de sol à albédo plus faible. La lumière solaire est réfléchie à 80 % par la neige et à seulement 20 % par les surfaces de sol. Ce changement d'albédo de la surface crée un réchauffement plus important. Pour vous donner un exemple concret, je reviens d'un voyage en Arctique. J'avais une mallette d'instruments noire, il faisait -10 °C mais la neige fondait dessus et, quand je la touchais, j'avais l'impression qu'elle était à 30 °C.
Quelles sont les prévisions d’augmentation des températures en prenant en compte le dégel du pergélisol ?
Si la totalité du carbone stocké dans le pergélisol se retrouve dans l’atmosphère, le réchauffement serait supérieur à 10 °C. Heureusement, le carbone du pergélisol ne va pas se réchauffer rapidement et la totalité du carbone dégelé ne se retrouvera pas dans l’atmosphère car une partie va sédimenter au fond des lacs, des rivières et de la mer. Quelle sera la vitesse de dégel du pergélisol ? Il y a d’énormes incertitudes à ce sujet. Quelle fraction de carbone se retrouvera dans l’atmosphère ? Là encore, nous sommes plein d’incertitudes. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la contribution du réchauffement du pergélisol au changement climatique à l’horizon 2100 sera comprise entre 1 et 12 °C. Si l’augmentation des températures est de 1°C, les effets seront modestes. Mais si elle est de 12 °C, ce sera la catastrophe !
Pourquoi le Giec ne prend-il pas en compte le réchauffement du pergélisol dans ses prévisions ?
Des modèles prennent ce phénomène en compte, mais ils n’ont pas été inclus dans les dernières estimations du Giec. C’est un peu dommage car le pergélisol contient deux fois plus de carbone que l’ensemble de l’atmosphère. Depuis 10 000 ans, des composés organiques (donc du carbone) se sont accumulés dans le sol gelé de l’Arctique : les végétaux meurent à la fin de l’été et la matière organique qu’ils ont produite s’accumule sans être dégradée car le froid de l’hiver empêche l’activité microbienne, contrairement à ce qui se passe aux latitudes moyennes. Mais, avec le dégel du pergélisol, le carbone se réchauffe et devient accessible à la dégradation microbienne : les microbes « mangent » alors le carbone, le digèrent et émettent du CO2 et du méthane dans l’atmosphère. Ce qui aggrave le réchauffement climatique. Il faut donc prendre ce processus en compte pour avoir un modèle réaliste et fiable du changement climatique à venir.
Quel est l’impact du dégel du pergélisol sur les populations locales ?
Si l’on parle du dégagement de gaz à effet de serre, celui-ci ne touche pas les populations locales et le reste de la planète autrement que par le climat qui se réchauffe. Mais, quand le pergélisol dégèle, il peut faire fondre la glace qui le compose, à n’importe quel endroit. Nous retrouvons parfois des inclusions de glace de plusieurs mètres d’épaisseur qui, en fondant, provoque un affaissement du pergélisol. Les dépressions ainsi formées ont des conséquences énormes sur les maisons, les routes, les pistes des aéroports, etc. Afin de lutter contre ce phénomène, la stratégie consiste à ne pas construire sur du pergélisol trop riche en glace. Il existe des zones très pauvres ou même dépourvues de glace, comme les substratum rocheux. Si ces derniers dégèlent, l’impact sera nul ou négligeable. Mais, dans les sols composés de sédiments à grains fins comme l’argile ou le limon, une forte présence de glace peut entraîner des affaissements de terrain. Par exemple, dans l’Arctique canadien, on tente d’agrandir l’aéroport de la ville d’Iqaluit. La problématique est de parvenir à préserver la piste sans qu’elle s’effondre dans dix ou vingt ans. Or, le cahier des charges fixe une garantie de la structure de vingt-cinq ou trente ans. Un constructeur français avait fait une offre pour l’aéroport, mais cet objectif l’a fait renoncer. Qui peut garantir que le pergélisol ne va pas dégeler pendant trente ans ? Personnellement, je ne m’y risquerais pas.
Quelles solutions proposez-vous pour limiter le dégel du pergélisol et ses conséquences ?
Le pergélisol occupe de 15 à 20 millions de kilomètres carrés, ce qui nous empêche d’agir directement dessus. On ne va pas lui mettre une grosse doudoune pour l’isoler de la chaleur ! La seule manière d’arrêter le dégel du pergélisol, c’est d’arrêter les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les activités humaines, qui sont la cause principale du changement climatique ! Il n’y a pas de miracle, on en revient toujours à la même solution.
Dans le magazine National Geographic de décembre 2017, la vie des Nenets, des nomades éleveurs de rennes en Sibérie, face au réchauffement climatique.