Climat : les épisodes de chaleur extrême pourraient devenir la norme

Les vagues de chaleur sont plus longues, plus fortes et, de fait, plus dangereuses à cause du changement climatique. La vague de chaleur extrême qui touche actuellement le Canada et les États-Unis n'en n'est que le dernier exemple.

De Alejandra Borunda
Publication 5 juil. 2021, 16:20 CEST
Au petit matin, un voyageur examine ce qui pourrait être l'endroit le plus chaud sur Terre ...

Au petit matin, un voyageur examine ce qui pourrait être l'endroit le plus chaud sur Terre : le désert de Lut. En 2014, des chercheurs français ont mesuré ici une température non officielle de 61°C à l'ombre, un record potentiel, s'il est à nouveau mesuré avec des instruments standard. Plus la Terre se réchauffe, plus elle pourrait devenir inhospitalière pour l'espèce humaine.

PHOTOGRAPHIE DE Matthieu Paley

Les vagues de chaleur tuent. Le bilan humain des températures extrêmes ayant touché l’Amérique du Nord ces dernières semaines est déjà très lourd. Au moins quatre-vingts personnes ont perdu la vie ces derniers jours aux États-Unis et des centaines au Canada. À mesure que de nouvelles données sont publiées, ces nombres sont susceptibles d’augmenter.

De nombreux scientifiques ont prouvé que les vagues de chaleur sont plus longues, plus fortes et, de fait, plus dangereuses à cause du changement climatique. Une récente étude publiée dans la revue Nature Climate Change vient apporter de nouvelles précisions en estimant le coût humain de l’augmentation des températures. En juin, une équipe de 70 chercheurs a indiqué que sur les 732 sites étudiés, répartis sur 6 continents, 37 % des décès en moyenne pouvaient être attribués au changement climatique.

Cette étude confirme l’urgence de lutter contre le changement climatique induit par l’Homme, assure Ana Vicedo Cabrera, auteure principale et épidémiologiste spécialisée dans le changement climatique à l’université de Berne.

« Le changement climatique n’est pas une question future. C’est une question actuelle et qui affecte d’ores et déjà notre santé de façon spectaculaire », déclare-t-elle. Les épisodes de chaleur extrêmes et meurtriers comme celui qui s’abat sur l’Amérique du Nord actuellement ne sont qu’un aperçu de ce qui nous attend. « Nous devons nous attendre à ce que [les phénomènes] observés par le passé, ces 37 %, augmentent de manière exponentielle à l’avenir. »

 

LA CHALEUR EXTRÊME TUE

En France, lors des épisodes de canicule de l’année 2019, les décès ont augmenté de 9,1 % au cours des périodes de dépassement des seuils d’alerte.

À l’échelle mondiale, les conséquences de la chaleur sont considérables. Lors des vagues de chaleur historiques, comme celles de 2003 en Europe ou de 2019 en France, des milliers de personnes sont mortes et ont souffert de problèmes de santé graves. Ces derniers peuvent perdurer longtemps même après que les températures sont descendues, explique Camilo Mora, climatologue à l’université d’Hawaï. Il est l’auteur d’une étude nommée 27 ways a heat wave can kill you: Deadly heat in the era of climate change (Vingt-sept manières dont un vague de chaleur peut vous tuer : l’époque meurtrière du changement climatique.).

« Ces évènements peuvent engendrer des conséquences sur le long terme, allant des insuffisances rénales aux lésions cérébrales en passant par des affections cardiaques. »

Des études antérieures ont établi des liens entre les vagues de chaleur induites par le changement climatique et l’augmentation du nombre de morts dans les villes. Au cours de la vague de chaleur étouffante de 2003 qui a balayé l’Europe, le risque de décès a augmenté de 70 % à Paris à cause du changement climatique d’origine anthropique. Le nouveau papier étend ce type d’analyse à l’échelle mondiale, en passant en revue plus de 700 lieux répartis sur tous les continents habités.

Les chercheurs ont examiné tous les décès survenus pendant l’été ainsi que les données de températures pour ces mêmes lieux à la même période. Ils ont cherché à repérer toutes les morts potentiellement liées à la chaleur extrême. Il existe des seuils de température au-delà desquels l’Homme a beaucoup plus de risques de mourir. Toutefois, ils varient selon les régions.

L’équipe a donc mis au point une formule mathématique pour relier les températures extrêmes au nombre de personnes ayant pu mourir si ce seuil était atteint. Cette approche leur a permis de déterminer combien de personnes sont mortes à cause de la chaleur dans chaque région étudiée.

Par la suite, ils ont utilisé un modèle climatique afin de simuler un monde imaginaire dans lequel le changement climatique induit par l’Homme n’existait pas. Ils ont appliqué leur formule pour établir combien de personnes seraient mortes de la chaleur extrême dans cet univers alternatif et théorique.

La différence s’est révélée saisissante. Depuis la fin du 19e siècle, la température de notre planète a augmenté d’environ 1 °C. Sans de sérieux efforts pour contenir les émissions de gaz à effet de serre, elle pourrait se réchauffer au moins d'autant d’ici la fin du siècle.

Sans cette augmentation, les décès liés à la chaleur n’auraient compté que pour moins de 1 % de la mortalité estivale mondiale. Cependant, dans notre univers, les morts dues à la chaleur ont représenté environ 1,5 % des décès au cours de l’été, soit une différence de 60 %.

En appliquant ce phénomène au monde entier, cela signifierait que 100 000 décès par an pourraient être attribués au changement climatique anthropique. M. Vicedo Cabrera précise tout de même que davantage de données et de plus amples analyses sont nécessaires afin de formuler des estimations mondiales fiables.

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L’INJUSTICE CLIMATIQUE

La recherche a permis de déterminer qu’en moyenne, plus d’un décès sur trois dû à la chaleur pouvait être attribué au changement climatique. Dans certains pays d’Amérique du Sud, au Kuwait, en Iran et dans certaines régions de l’Asie du Sud-Est, ce taux est bien plus important. On compte par exemple 77 % pour l’Équateur et 61 % pour les Philippines. Cette disparité se creuse non seulement parce que ces régions sont particulièrement chaudes mais également car l’accès à la climatisation y est bien moins fréquent ou parce que les bâtiments distribuent moins bien la chaleur. Ces facteurs, entre autres, augmentent la vulnérabilité face aux hautes températures.

Selon Tarik Benmarhnia, expert en santé environnementale à l’université de Californie à San Diego, ces schémas de vulnérabilité révèlent une profonde inégalité.

« Réfléchissez à qui a contribué au changement climatique au cours du siècle dernier et à qui en subit le plus les conséquences aujourd’hui, et vous verrez que ce n’est pas juste. Il existe une grande injustice environnementale concernant les victimes de la mortalité liée à la chaleur, [elle-même] induite par le changement climatique anthropique. »

Les États-Unis sont responsables de 25 % des émissions mondiales relâchées dans l’atmosphère alors que le Guatemala, par exemple, n’y a contribué qu’à hauteur de 0,0002 %. Pourtant, plus de 75 % des décès enregistrés dans ce pays peuvent être directement liés au changement climatique.

D’autres études ont clairement attesté que ces répercussions ne sont pas réparties équitablement. Dans de nombreuses villes, les personnes âgées racisées ont deux fois plus de risques de mourir au cours des vagues de chaleur extrêmes que les personnes âgées caucasiennes.

« À l’échelle mondiale, les conséquences sont inégales. Aux niveaus régional, municipal et local, les conséquences sont inégales », indique M. Benmarhnia.

 

LES SIGNES MEURTRIERS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Les scientifiques s’efforcent de définir dans quelle mesure la vague de chaleur qui frappe l’Amérique du Nord en ce moment a été empirée et favorisée par le changement climatique.

Pour M. Mora, il a joué un rôle majeur sans l’ombre d’un doute. « Combien de fois devons-nous prouver que lorsqu’il pleut, nous sommes mouillés ? Depuis des dizaines d’années, nous, les climatologues, répétons à longueur de journée que les choses vont empirer. Désormais, c’est le cas. »

Même si toutes les émissions de gaz à effet de serre venaient à s’arrêter demain, la température moyenne de la planète continuerait d’augmenter bien au-delà du degré qu’elle a déjà enregistré. Les épisodes de chaleur intense que nous connaissons aujourd’hui deviendraient alors une norme plutôt qu’un phénomène extrême et isolé. Cependant, la sévérité de la chaleur à l’avenir dépend des actions que nous entreprenons pour le climat aujourd’hui, assure M. Mora.

« Nos choix pour le futur sont déterminants, très déterminants. Nous pouvons encore choisir entre [une situation] mauvaise ou catastrophique. »

Quoi qu’il en soit, il est grand temps de se préparer à aider les gens à faire face aux températures extrêmes, estime Kristie Ebi, experte en santé environnementale mondiale à l’université de Washington. Certaines mesures peuvent être simples, comme s’assurer que la population a accès aux ventilateurs, à la climatisation et à l’ombre. D’autres seront bien plus complexes, par exemple de trouver un moyen de renforcer le réseau électrique face aux nouvelles contraintes engendrées par la chaleur excessive.

Dans tous les cas, le message premier est simple, selon Mme Ebi : nous pouvons choisir de sauver des vies.

« La chaleur tue, mais nous pouvons l’en empêcher. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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