Les passoires thermiques, une urgence environnementale et sociale

Rénover les logements très mal isolés permettrait à la fois d’aider les personnes les plus pauvres et de lutter contre le réchauffement climatique. Mais ces rénovations s'apparentent souvent à un parcours du combattant.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 31 janv. 2022, 16:03 CET
Il y aurait 4,8 millions de passoires thermiques - des logements très mal isolés - en ...

Il y aurait 4,8 millions de passoires thermiques - des logements très mal isolés - en France, selon une étude du ministère de la Transition écologique.

PHOTOGRAPHIE DE ivansmuk, iStock via Getty Images

Chaque hiver, c’est la même rengaine. Sandra, retraitée de 74 ans, porte plusieurs pulls alors qu’elle reste chez elle. « Je ressemble à un bonhomme Michelin » sourit-elle. Derrière la boutade se cache une situation compliquée. Elle a d’ailleurs préféré utiliser un nom d’emprunt, pour ne pas prendre le risque d’être reconnue par son entourage – elle aurait honte. Sandra vit dans une passoire thermique, c’est-à-dire un logement qui consomme beaucoup d’énergie pour atteindre une température confortable.

En cause : sa maison du 19e siècle, mal isolée, qui laisse facilement entrer le mistral - ce vent glacial du sud de la France. « Ma maison est tellement mal protégée du vent, que lorsqu’il souffle à l’extérieur, mes plantes et mes rideaux à l’intérieur bougent aussi »  soupire cette provençale. Pour boucler un budget serré chaque mois, elle préfère endurer le froid chez elle, plutôt que de payer des facture d'électricité et de gaz élevées. Et ce, même avant la hausse des prix de l'électricité, limitée à 4 % à partir de ce mardi 1er février et jusqu’à fin janvier 2023. 

Il y aurait 4,8 millions de logements de ce type - les « passoires thermiques » - en France - soit près de 17 % du parc, selon une étude du ministère de la Transition écologique. Classés de E à G au sein du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), ces maisons ou appartements sont difficiles à chauffer. Les rénover intégralement permettrait à des millions de foyers de vivre mieux. C’est un enjeu crucial pour plusieurs raisons. D’une part, selon une enquête du médiateur de l’énergie, 15 % des Français ont déclaré avoir souffert du froid au cours de l’hiver 2019 - et la mauvaise isolation de leur logement en est toujours la raison principale. 

D’autre part, rénover les appartements ou maisons classés F et G permettrait d’ « économiser » 6 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année, selon une étude du réseau Cler pour la transition énergétique. Si cela peut faire pâle figure face aux chiffres du transport aérien (en 2019, l’aviation en France a produit 23,4 millions de tonnes de CO2), ces rénovations constituent l’une des actions qui limiterait l’impact du secteur du bâtiment dans le réchauffement climatique. Aujourd’hui, ce dernier est responsable en tout de près de 20 % des émissions nationales de gaz à effet de serre. Et ces émissions sont dues principalement aux installations de chauffage, aux climatiseurs - ainsi qu’aux appareils de cuisson.

Enfin, c’est aussi un enjeu sanitaire : les passoires thermiques coûteraient 750 millions d’euros chaque année en dépense de santé. « On voit plus de gens qui font le choix de ne pas chauffer, que de gens accablés de dettes » remarque Franck Billeau, dirigeant du réseau Eco Habitat, une association spécialisée dans l’accompagnement des ménages pauvres habitant une passoire thermique. Sandra est dans ce cas-là. En faisant très attention, ses factures de gaz et d’électricité sont d’environ 130 euros chaque mois. « Avec ma toute petite retraite de 830 euros par mois, je dois faire attention à tout. Parfois, avant de dormir, j’éteins complètement le chauffage. Mais je me réveille en grelottant et je risque la bronchite. J’ai des sinusites continuellement, j’ai toujours des maux de tête » raconte-t-elle.

Une fenêtre simple vitrage, donc très peu isolante.

Une fenêtre simple vitrage, donc très peu isolante.

PHOTOGRAPHIE DE RAPPEL

Céline, 70 ans, habitant Marseille dans un appartement très mal isolé, connaît bien ce problème. Pour elle, les factures sont une immense source d’anxiété. « Quand j’ai reçu ma facture d’électricité, j’ai pleuré. J’ai appris que j’avais 2 200 euros de régularisation annuelle. Je gagne 600 euros par mois et je n’ai aucune économie, car j’ai tout mis dans l’achat de ce logement. Le médecin m’a prescrit des anxiolytiques et j’ai fini par pouvoir payer la facture, en me sacrifiant et en me privant de plein de choses. J’ai mis six mois à m’en remettre. Aujourd’hui, j’ai peur de mettre le chauffage. Alors je continue d’avoir froid. »

Il existe pourtant de nombreuses aides pour les propriétaires afin de rénover le logement qu’ils habitent ou qu’ils louent. D’ailleurs, dès 2023, les logements les plus voraces en énergie (plus de 450 kW/h) ne pourront plus être proposés à la location. Mais financer ces travaux et accéder aux aides relève souvent du parcours du combattant, surtout pour les ménages plus modestes.


« UN MILLE-FEUILLE ADMINISTRATIF »

Depuis le 1er janvier 2022, le gouvernement a mis en place la plateforme « France Renov ». Ce service propose des aides plafonnées à 30 000 euros et finance jusqu’à 50 % des travaux assurés. Une avancée, selon beaucoup d’associations, mais qui comporte toujours d’importantes lacunes. La principale ? Le reste à charge, toujours conséquent puisque les travaux de rénovation énergétiques performants atteignent vite plusieurs dizaines de milliers d’euros. « Or, nous accompagnons des ménages modestes qui ne peuvent économiser qu’une dizaine d’euros par mois pour des travaux » explique Danyel Dubreuil, coordinateur de l’initiative citoyenne Renovons au sein du réseau Cler pour la transition énergétique. « S’il n’y a pas d’aides locales en plus, c’est impossible » renchérit Hélène Denise, chargée de plaidoyer à la fondation Abbé Pierre.

Mais les aides locales sont compliquées à trouver et à solliciter. « C’est un millefeuille administratif. Il y a les aides disponibles au niveau national, départemental, des communautés de communes... Il y a un tel morcellement de ces aides... Cela ressemble à un labyrinthe » explique Franck Billeau. Un dédale où se perdent facilement les propriétaires qui tentent de rénover leur logement…Voire même leurs conseillers. Selon une enquête de la fondation Abbé Pierre réalisée entre mars et juillet 2021 (avant le lancement de la nouvelle plateforme « France Renov ») sur près d’un quart des espaces de conseils, 62 % des contacts n’aboutissaient à aucune recommandation. Et même quand ils donnaient des conseils,  les employés oubliaient parfois certaines aides. Des associations prennent alors le relais. « On a régulièrement recours à une dizaine d’aides différentes pour financer des travaux » explique Franck Billeau. « Pourtant, même avec tout cela, il y a toujours une petite partie de reste à charge, entre 5 et 10 % du montant des travaux » poursuit-il. 

Pour venir à bout de ce que les associations surnomment le « maquis des aides », certains ont quelques idées en tête. « Idéalement, il faudrait un guichet unique capable de réunir toutes les aides en un seul endroit. Mais cela demanderait aux différents acteurs administratifs de se coordonner. Avec toutes les sensibilités politiques différentes, je n’y crois pas trop » explique Franck Billeau. Sollicité par mail et téléphone, le ministère de la Transition écologique n’a pas réagi avant la publication de cet article.

Pourtant, pour beaucoup d’acteurs du secteur, la rénovation est une urgence. « Face aux prix de l’énergie qui continuent d’augmenter, l’État a mis en place un bouclier tarifaire. Heureusement qu’il est là pour les ménages modestes. Mais la mesure va coûter environ 16 milliards d’euros (selon cette estimation, ndlr). Nous aurions eu besoin de cet argent il y a des années pour faire des rénovations » souligne Danyel Dubreuil. Pour ces associations, transformer les passoires thermiques apparaît comme l’un des outils pour s’attaquer, selon la formule, aux problèmes de fin du monde comme de fin du mois. 

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