L’huile de palme menace les primates d’Afrique
L’Afrique souhaite développer la culture du palmier à huile. Les primates risquent-ils d’y subir le même sort que ceux d’Asie du Sud-Est, en péril à cause de ces plantations ? Des chercheurs européens tentent d’y répondre.
Biocarburant, agroalimentaire ou cosmétique... La demande mondiale d’huile de palme est en forte progression. Elle pourrait être multipliée par quatre d’ici à 2050 (par rapport à 2015). Actuellement, environ 20 millions d’hectares de palmiers à huile sont exploités à travers le monde, dont 85 % en Malaisie et en Indonésie. Mais, pour répondre aux besoins grandissants, les forêts tropicales d’Afrique pourraient également devenir des lieux de plantation. Or la déforestation associée à cette industrie est dramatique pour la biodiversité, notamment pour les primates, très dépendants de l’écosystème forestier.
Un groupe de scientifiques du Centre commun de recherche de la Commission européenne s’est intéressé à l’impact potentiel d’un développement du palmier à huile en Afrique sur 193 espèces de primates. La liste comprend 37 % d’animaux déjà considérés comme « en danger » ou « en danger critique d’extinction » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont les lémuriens, les gorilles, les chimpanzés, les bonobos ou les mandrills.
« Nous avons superposé les zones propices à la plantation de palmiers à huile à celles de la biodiversité en primates, explique Ghislain Vieilledent, écologue spécialiste des forêts tropicales au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et coauteur de l’étude. Notre objectif était de trouver des zones de compromis, où l’on aurait pu cultiver le palmier à huile tout en ayant un faible impact sur ces espèces. Ces zones sont malheureusement très limitées dans l’espace. »
Selon les chercheurs, les zones propices à la production d’huile de palme en Afrique se concentrent en Afrique de l’Ouest (Liberia, Côte d’Ivoire, Ghana), en Afrique centrale (Cameroun, Gabon, Congo, République démocratique du Congo et Guinée équatoriale) et en Afrique de l’Est (Mozambique et Madagascar). « Pour pousser, le palmier à huile a besoin d’un habitat tropical de basse altitude avec de fortes précipitations annuelles (supérieures à 1000 mm/an), des températures moyennes mensuelles au-dessus des 15 °C et d’un sol relativement plat, précise le scientifique. Ce qui représente tout de même 275 millions d’hectares en Afrique ! Mais, sur cette surface potentiellement exploitable, seuls 3 millions d’hectares peuvent être cultivés en ayant un faible impact sur les primates. Ces zones, situées essentiellement au Mozambique et à Madagascar, ne correspondent qu’à 6 % des surfaces nécessaires pour répondre à la demande supplémentaire en huile de palme en 2050. »
La présence de primate est capitale pour le bon fonctionnement des écosystèmes de forêt tropicale. « Les gorilles sont surnommés les jardiniers de la forêt, car, en mangeant les fruits, ils participent à la dispersion des graines et à la régénération forestière », précise Ghislain Vieilledent. Les solutions envisagées pour les protéger sont restreintes. L’une d’elles consisterait tout bonnement à diminuer la consommation mondiale en huile de palme.
« Pour y parvenir, les États devraient limiter le développement des biocarburants à base d’huile de palme ou encore celui des produits alimentaires à faible valeur nutritionnelle, pouvant contenir de grandes quantités de ce produit (pâtes à tartiner, barres chocolatées...) », avance l’écologue. Autre option proposée par le chercheur : « On pourrait augmenter les rendements en huile de palme, en plantant les bonnes variétés, au bon endroit, et en améliorant les pratiques de culture (distance optimale entre les plants, apport d’engrais, etc.). En conséquence, on produirait un peu plus d’huile de palme sans augmenter la surface des plantations. »
Signal positif : l’Europe veut aujourd’hui interdire l’utilisation d’huile de palme pour les biocarburants, ainsi que les importations dérivées de la déforestation. Quant à Ghislain Vieilledent, il se veut optimiste et espère que les gros consommateurs de demain, principalement l’Asie et l’Afrique, prendront également le chemin d’une consommation raisonnée.