Biodiversité : la France à un tournant décisif

Dans l’Hexagone, le réensauvagement de la nature commence à faire son chemin. Enquête dans ces territoires où la vie sauvage retrouve sa place.

De Léa Outier
Publication 7 nov. 2024, 17:37 CET
Le vallon du Lauzanier, dans le parc national du Mercantour, est une mosaïque de milieux naturels ...

Le vallon du Lauzanier, dans le parc national du Mercantour, est une mosaïque de milieux naturels protégés depuis 1979. C’est dans ces paysages que le loup, venu des montagnes voisines d’Italie, a fait son retour spontané en France.

 

PHOTOGRAPHIE DE JESSICA BUCZEK

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À l'horizon, la ligne calcaire du massif du Vercors est rendue plus blanche encore par la lumière de fin d'été. À ses pieds s’étend la plaine agricole de la Drôme, où la ferme du Grand Laval se démarque des monotones parcelles de maïs et de colza : des haies foisonnantes, des vergers regorgeant d’herbes folles, des parcelles de lentilles et de blé ancien voisinant avec des mares débordantes, des poules et des brebis laissées en liberté. Remontant à grandes enjambées un sentier grignoté par la broussaille, Elsa Gärtner s’arrête devant un prunier chargé de fruits. « Ici, nous tirons nos ressources de la nature, mais nous ne la dominons pas. Cela implique d’accepter de ne pas la maîtriser et de se poser sans cesse la question de notre intervention : faut-il couper ces ronces, empêcher ce ruisseau de déborder, cultiver cette parcelle où nichent peut-être des oiseaux ? C’est une attention permanente au vivant. »

Depuis 2006, cette exploitation de 50 ha mène un processus de réensauvagement. « Nous voulons réintégrer la vie sauvage dans la ferme, montrer que l’on peut concilier productivité agricole et protection de la nature. Nous pratiquons en quelque sorte une forme hybride de réensauvagement » , explique Sébastien Blache. Cet ancien ornithologue de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), naturaliste dans l’âme, a repris en 2006 la ferme familiale. Il a été rejoint par Elsa, écologue ayant oeuvré à la conservation des espèces dans des parcs naturels au Mexique et en Australie. Avec d’autres défenseurs de la nature, tel le philosophe Baptiste Morizot, l’un des principaux penseurs du vivant en France, ils ont fondé en 2021 l’association Réensauvager la ferme. Leur méthode : remplacer les cultures uniformes par une mosaïque de cultures afin de diversifier les paysages et… « lâcher prise ».

En 2011, Alexandre Garnier, garde-moniteur du parc national de la Vanoise, observe des bouquetins en vue d’une capture pour les réintroduire dans le parc naturel régional de Chartreuse.

 

PHOTOGRAPHIE DE MICHAËL DELORME - PNV

Sur leurs parcelles, le monde sauvage est en pleine reconquête. Chevreuils, renards, musaraignes, mais aussi grenouilles, lézards, vers de terre, fleurs, champignons… À ce jour, 2 370 espèces y ont été répertoriées. Oiseaux et papillons, en chute libre dans le monde rural, reviennent occuper les haies du Grand Laval : « En 2006, on comptait trois espèces nicheuses pour soixante-six couples. Aujourd’hui, quarante-huit espèces d’oiseaux pour 157 couples vivent sur la même surface. Et soixante-six espèces de papillons ont été observées – un chiffre élevé pour une zone agricole », illustre l’ornithologue Maxime Zucca, coordinateur scientifique du projet. Au printemps, une marouette ponctuée – un oiseau migrateur vulnérable –, a même été repérée.« Cela peut sembler une petite victoire, poursuit-il, mais c’est le signe de l’incroyable capacité de restauration de la nature. Dès lors qu’on libère les pressions humaines, les dynamiques naturelles se remettent en route, et il est possible de retrouver un écosystème complexe en peu de temps. »

Cette résilience de la nature est le moteur d’un nombre croissant d’initiatives de réensauvagement en France. Traduction du concept de rewilding apparu aux États-Unis dans les années 1990, le mot lui-même était jusqu’alors absent des dictionnaires français. Depuis 2024, il a sa définition dans le Larousse : soit un « mode de protection de l’environnement consistant à rendre aux écosystèmes leur caractère naturel, sauvage ». « L’usage du mot est très récent dans l’Hexagone : il n’est apparu qu’au milieu des années 2010, alors qu’il émerge en Grande- Bretagne dès les années 2000. L’idée est encore jeune », explique la géographe Salomé Dehaut, qui prépare une thèse sur le réensauvagement en Europe à l’université Grenoble Alpes. Le concept a sans doute pâti de l’ambivalence, dans la langue française du mot « sauvage ». « Il est porteur d’aspects autant négatifs que positifs, poursuit-elle. La langue anglaise, elle, dispose de deux mots : “wild”, qui renvoie plutôt à ce qui relève du naturel et du non domestiqué, et “savage”, qui peut revêtir une dimension plus négative, incontrôlée, voire dangereuse. » Jusqu’à présent peu investi, le thème devient peu à peu un champ d’étude pour la recherche académique française.

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    Dans les Vosges, un cerf mâle profite de la tranquillité offerte par le couvert forestier. En France, la superficie de la forêt a doublé depuis le xixe siècle et recouvre aujourd’hui 31 % du territoire métropolitain.

    PHOTOGRAPHIE DE VINCENT MUNIER

    Comme le reste du continent, la France n’échappe pas à l’érosion de la biodiversité : l’artificialisation des sols y croît plus vite que la population et la dégradation des habitats naturels y est galopante. L’Hexagone, riche de quelque 104 000 espèces, se place parmi les dix pays du monde hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées : « près d’une espèce sur cinq présente un risque de disparition à moyen terme », pointait ainsi en 2023 l’Office français de la biodiversité. Mais le tableau s’éclaircit par petites touches : la forêt, après avoir atteint sa surface minimale au XIX e siècle, a depuis doublé sa superficie, recouvrant environ 31 % du territoire métropolitain. Sous l’effet de l’abandon de terres agricoles et de l’adoption d’énergies alternatives au bois, des forêts jadis domestiquées retournent à l’état sauvage, comme dans les Cévennes ou le Massif central. Le volume de bois mort, aujourd’hui reconnu comme crucial pour le stockage du carbone et la survie des nombreuses espèces animales et végétales qui y élisent domicile, a augmenté de 7 % en moyenne depuis 2008 sur le territoire hexagonal.

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