Manger deux fois moins de viande améliorerait significativement notre bilan carbone
La réduction de notre consommation de viande pourrait avoir des effets bénéfiques sur notre santé, mais aussi et surtout sur notre bilan carbone alimentaire.
La viande bovine représente 41 % des émissions dues à l’élevage de bétail dans le monde (74 % lorsqu’on prend en compte la production de lait), alors qu’elle ne représente que 22 % de la consommation totale de viande. Le porc, viande la plus consommée au monde (36,3 % de la consommation), représente que 9 % des émissions. Le poulet, aussi très populaire (35,2 % de la consommation mondiale de viande), est quant à lui responsable que de 8 % des émissions de gaz à effet de serre attribuées à l’élevage de bétail.
Au niveau national, l’alimentation représente 22 % de l’empreinte carbone de la France selon l’étude conjointe du Réseau Action Climat (RAC) et de la Société Française de Nutrition (SFN), parue le 20 février 2024. Intitulée « Comment concilier nutrition et climat ? », l'étude souhaite davantage prendre en compte les enjeux environnementaux dans le Programme National Nutrition Santé (PNNS).
Mis en place en France en 2001, le PNNS vise à améliorer la santé de l’ensemble de la population à travers des initiatives promouvant des habitudes alimentaires et des activités physiques bénéfiques pour la santé. On lui doit les célèbres recommandations « manger cinq fruits et légumes par jour », ou encore « évitez de manger trop gras, trop sucré et trop salé », mentions sanitaires obligatoirement apposées sur les publicités alimentaires.
En ce qui concerne la viande, le programme recommande de « privilégier la volaille et limiter les autres viandes (porc, bœuf, veau, mouton, agneau, abats) à 500 g par semaine » et de « limiter la charcuterie à 150 g par semaine. » Cela n’inclut pas la volaille, pour laquelle aucune limitation n’est préconisée.
La viande, si elle est consommée en bonne quantité et avec une alimentation variée et équilibrée, est « favorable à une bonne santé », rappelle Béatrice Morio, directrice de recherche à l’INRAE et vice-présidente de la SFN. « Elle apporte des nutriments indispensables au bon fonctionnement de l'organisme. Bien sûr, des protéines de bonne qualité, mais aussi des vitamines du groupe B (dont B12) et minéraux (dont fer et zinc). »
Pour autant, la viande, rouge particulièrement, n’est pas un aliment sans risques et une trop forte consommation peut entraîner une « augmentation du risque cardiovasculaire et métabolique (diabète) et de cancer (estomac et colorectal surtout) », précise l’experte. « Ce risque est observé pour des apports élevés, supérieurs à 500 g de viande rouge (comptée cuite) par semaine selon l'ANSES (2016) ».
LES RECOMMANDATIONS DU PNNS FACE AUX ENJEUX CLIMATIQUES
L’étude conjointe relève que « les recommandations du PNNS ont été élaborées en prenant en compte les enjeux de nutrition et de santé humaine, mais pas les enjeux environnementaux. » Selon la synthèse, ces recommandations « présentent un écart significatif avec la littérature scientifique sur les régimes alimentaires durables, en particulier en ce qui concerne la consommation de viande ».
En effet, la quantité de viande consommée par habitant en France représente deux fois la valeur de la moyenne mondiale. Et cette consommation est en légère hausse depuis une dizaine d’années. Elle a progressé d’un peu plus de 2 % entre 2013 et 2022, toujours selon l’étude.
Ces chiffres entrent en contradiction avec les enquêtes déclaratives sur le sujet. En effet en 2023, 57 % des Français affirmaient avoir réduit leur consommation de viande au cours des trois dernières années, selon une enquête Toluna Harris interactive pour Réseau Action Climat. L’explication se trouve dans la modification des habitudes de consommation alimentaire. Si l’achat des pièces de viande des ménages pour la consommation effective est effectivement en diminution, celui-ci a été compensé par la consommation de viande en restauration hors domicile, dans les plats préparés ou encore dans les plats livrés à domicile.
« Le constat actuel est que nos sociétés occidentales, et surtout la France, consomment plus de viande qu'il n'est nécessaire », déclare Béatrice Morio. « 125g de viande par jour » (soit 875 g par semaine) pour être exact, selon la dernière enquête nationale sur les consommations alimentaires des français (INCA3). « Or, de nombreux scénarios et prospectives indiquent qu’une consommation de viande deux fois moins élevée pourrait contribuer à faciliter l’atteinte des objectifs climatiques et le respect des limites planétaires ».
Nicole Darmon, directrice de recherche honoraire à l’INRAE, membre de la SFN et experte en nutrition santé, explique : « Les travaux menés par la Société Française de Nutrition (SFN) et le Réseaux Action Climat (RAC) montrent qu'il est possible de maintenir un apport optimal en nutriments en diminuant de moitié la consommation de viande et en complétant les apports protéiques par des sources végétales (céréales, légumineuses, oléagineux) qui sont également vectrices de nutriments favorables à une bonne santé (fibres, vitamines (dont B9 et béta-carotène), minéraux (fer, magnésium, zinc et potassium) et polyphénols) ».
LE BILAN CARBONE LIÉ À LA CONSOMMATION DE VIANDE
Le rapport indique ainsi que réduire de moitié notre consommation en viande conduirait à une réduction de l’impact carbone de l’alimentation comprise entre -20 % et -50 % selon le type de changements alimentaires associés à la réduction de la viande.
De fait, la viande est un aliment au très lourd bilan carbone. « Les études scientifiques montrent que les produits d’origine animale représentent la majeure partie de l’impact carbone de notre alimentation » explique Benoit Granier, Responsable Alimentation chez Réseau Action Climat. En France, la consommation de produits animaux représente 61 % de l’impact carbone de notre alimentation.
Le dernier rapport de la FAO, publié en 2013, estime que l’élevage de bétail dans le monde était responsable, en 2005, de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Cette activité émet environ sept milliards de tonnes de CO2 par an, soit plus que les États-Unis et la France réunis.
« L’élevage est un contributeur important aux émissions de gaz à effet de serre, directement de par les émissions de méthane rejetées par les ruminants et de protoxyde d’azote issues des déjections animales, et indirectement par l’intermédiaire de la production de l’alimentation des animaux qui nécessite l’utilisation d’engrais azotés et participe fortement au changement d’affectation des terres et à la déforestation », poursuit-il.
L'étude incite donc le PNNS à mieux prendre en compte les enjeux environnementaux, comme le font déjà les programmes de recommandations alimentaires en Espagne, au Danemark ou aux Pays-Bas. « La plupart des autres pays européens, notamment ceux qui ont intégré les enjeux environnementaux dans leurs recommandations de consommation alimentaire, recommandent eux aussi de limiter la consommation de viande, mais indiquent des quantités maximales plus faibles », relate en ce Nicole Darmon.
Ainsi, selon les pays, les quantités maximales recommandées sont « de l’ordre de 300 à 630 grammes par semaine, et cette limitation inclut non seulement la charcuterie et les autres viandes transformées mais aussi souvent la volaille. » À titre d’exemple, les Pays-Bas recommandent un maximum de 500g par semaine toutes viandes confondues, l’Espagne 375g et le Danemark 350g. L’étude recommande quant à elle de ne pas dépasser les 450 g par semaine, toutes viandes confondues.
Toutefois attention, « remplacer la viande par des pâtes ou des chips réduirait aussi l’impact environnemental et le coût de l’alimentation, mais dégraderait considérablement sa qualité nutritionnelle. C’est donc vers une végétalisation diversifiée et colorée qu’il faut aller pour concilier nutrition, environnement et budget », conclut la spécialiste.
Le mode d’élevage pourrait être aussi davantage pris en compte. Ainsi, des bovins nourris au pâturage jouent un rôle favorable au maintien des prairies dont le rôle dans le stockage de carbone s’approche de celui des forêts, en plus de leur rôle important sur le maintien de la biodiversité.
La dernière déclinaison du PNNS, le PNNS 4 arrive à échéance fin 2023. L’étude conjointe du Réseau Action Climat et de la Société Française de Nutrition propose donc d’intégrer les enjeux environnementaux dans les recommandations alimentaires des prochaines versions du PNNS, et également de les inscrire dans le projet intitulé « Stratégie Nationale Alimentation Nutrition Climat » (SNANC), qui est en cours de préparation.