La précarité énergétique et ses angles morts : comment avancer ?
La lutte contre la précarité énergétique présente de nombreux angles morts qui empêchent les acteurs de la société civile d’œuvrer efficacement.
La précarité énergétique désigne l'état de précarité de foyers n’ayant pas un accès normal et régulier dans leur logement ou lieux de vie aux sources d'énergie nécessaires à la satisfaction de leurs besoins primaires, par exemple à cause de bâtiments mal isolés contre le froid ou la chaleur, ou à la suite de l’inadaptation ou du prix des ressources énergétiques.
En France, le droit d'accès à l’énergie est garanti par la loi n°2000-108 du 10 février 2000, qui dispose que tous les citoyens français ont le droit d’accéder à l’énergie pour leur assurer un niveau de vie décent tout en agissant pour la protection de l’environnement. Il prévoit entre autres un accès à une énergie abordable, ayant un coût raisonnable au regard des ressources du ménage.
Bien que ce droit soit institutionnalisé, il n’est pas encore acquis pour tous. Nombre de Français restent dans une situation de précarité énergétique et éprouvent des difficultés à isoler correctement leur logement du froid ou de la chaleur, soit parce que leur habitation est inadaptée, soit parce qu'ils n'ont pas les moyens de l'isoler ou de se chauffer.
En 2011, l’Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE) a été créé afin de mesurer les effets des dispositifs mis en place. L’organisation a d’abord permis de définir un seuil du taux d’effort énergétique à partir duquel un ménage est considéré comme étant en situation de précarité énergétique.
Isolde Devalière, cheffe de projet précarité énergétique à l’ONPE explique qu'en moyenne « les chiffres démontrent que les Français dépensent 4 à 5 % de leur budget dans les factures d’énergie domestiques. Un ménage en situation de précarité énergétique serait alors celui qui fait partie des trois premiers déciles de revenus et qui dépense le double de cette médiane, soit 8 % ou plus de son budget, dans les factures d’énergie ». De même, si un ménage déclare « avoir souffert d’un inconfort thermique en raison de ressources insuffisantes, en se privant d’énergie ou en raison d’un logement mal isolé ou d’un chauffage insuffisant, alors il est aussi en situation de précarité énergétique », ajoute -t-elle.
DONNÉES INSUFFISANTES
Toutefois, connaître l'étendue de ce phénomène n’est pas une mince affaire. À ce jour, « nous ne sommes pas en capacité de mesurer précisément combien de ménages en France sont en situation de précarité énergétique au regard des indicateurs de l’ENL (les enquêtes nationales logements, ndlr) », explique la cheffe de projet.
Cet indicateur permet en théorie de collecter des données auprès d’un échantillon de 70 000 logements représentatifs des types d’habitats, des régions et des années de construction. Mais il présente plusieurs défauts. Tout d’abord, les enquêtes ne sont pas suffisamment régulières pour permettre une analyse de la tendance croissante ou décroissante de la précarité énergétique. Par exemple, les dernières données récoltées pour l’enquête de 2023-2024 ne seront disponibles que fin 2025 selon le Conseil national de l’information statistique (CNIS).
Ensuite, « l’intégration des revenus des ménages dans l’ENL se fait à partir des fichiers fiscaux, or la diffusion des revenus a été reportée à la fin du mois de janvier 2025 et le retraitement des charges des ménages à une date ultérieure », relève Isolde Devalière. « Sans ces données, il est alors impossible de quantifier le nombre de ménages en précarité énergétique. Il faudra donc patienter jusqu’en 2026 pour traiter à la fois les ENL de 2020 et 2024 ».
Il existe heureusement, d’autres indicateurs donnant une idée plus complète de l'ampleur du phénomène. Le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) fournit par exemple le taux d’effort énergétique annuel des trois premiers déciles des revenus des ménages français. En 2022, 10,8 % d’entre eux étaient en situation de précarité énergétique en France, soit 3,2 millions de ménages. Un chiffre en baisse de 0,9 point par rapport à l’année précédente, ce qui ne signifie pas pour autant que la précarité énergétique en elle-même diminue.
En 2022, l’invasion russe en Ukraine et la crise énergétique qui s'en est suivie ont eu pour effet l'augmentation du prix de l’énergie en Europe et en France. Sans l’intervention de l’État et son bouclier tarifaire sous la forme de deux chèques énergie, les chiffres de la précarité énergétique auraient atteint les 13,8 %, soit 4 millions de ménages selon l’indicateur du CGDD.
L'année 2022 a également été marquée par un hiver relativement doux, ce qui a entraîné une diminution de la consommation d’énergie. C’est aussi l’année de la mise en place du plan de sobriété énergétique par l’ancienne Première ministre, Élisabeth Borne. Ce plan a entraîné des conséquences sur le confort thermique des ménages en prônant par exemple la réduction du chauffage à 19°C dans son logement.
Le média "Mâtin, quel journal", connu pour ses illustrations sous la forme de bandes dessinées, aborde des sujets socio-économiques divers. Ici, l'illustration traite de la précarité énergétique. L'épisode en entier est à retrouver sur leur compte Instagram !
Le taux d’effort énergétique défini par le CGDD ne semble également pas différencier « les ménages qui se privent de leur droit à l’énergie en faveur d’autres besoins élémentaires comme l’alimentation, les transports, et ceux qui choisissent de payer leurs factures d’énergie aux dépens de ces mêmes autres besoins élémentaires » constate Isolde Devalière.
La question du froid n’est pas non plus mesurée par le taux d’effort énergétique du CGDD. Selon une enquête du médiateur national de l'énergie publiée chaque année, « 30 % d’un échantillon de 2007 personnes, représentatif de la population française, déclarent avoir souffert du froid au cours de l’hiver précédant l’année de l’enquête », la dernière en date ayant été menée en 2024.
C’est une augmentation de quatre points par rapport à l’enquête de 2023 : 42 % des 30 % de l’échantillon déclarent avoir eu froid en raison d’une limitation de leur chauffage pour des raisons financières, 32 % l’imputent à une mauvaise isolation de leur logement, 11 % à cause d’un mauvais équipement de chauffage et 6 % à la suite d’une coupure pour impayés.
Ainsi, deux tendances sont observables. « D’un côté les ménages qui peuvent payer les factures voient une aide financière leur être apportée par les mesures mises en place par l’État. D’un autre côté, les ménages ne pouvant plus payer les factures d’énergie ont plutôt tendance à se priver et sont dans des situations de restriction assez préoccupantes », souligne Isolde Devalière.
Pour remédier à cela, il est aussi nécessaire de s’attaquer aux différentes causes de la précarité énergétique. D'abord, les fameuses passoires ou bouilloires thermiques. « Pour qu’un logement ne soit pas déperditif, il doit être isolé et ainsi permettre la maîtrise de la température intérieure en cas de températures externes extrêmes », commente-t-elle.
Actuellement, « l’État a mis en place des financements pour la rénovation des habitations déperditives en énergie, mais ces ressources semblent être insuffisantes et laissent un reste à charge qui, dans la plupart des cas, freine le propriétaire à lancer les travaux. »
LES ASSOCIATIONS À LA RESCOUSSE
Face au manque de moyens, des associations comme la Fondation Abbé Pierre ont entrepris de mettre en place plusieurs programmes à destination des ménages en situation de précarité énergétique. « Pour les ménages très modestes qui veulent faire des travaux de rénovation dans leur logement en général très dégradé et énergivore, le programme SOS Taudis apporte une aide financière qui couvre ce reste à charge non couvert par l’État », explique Hélène Denise, chargée de plaidoyer logement et climat à la Fondation Abbé Pierre.
« Aujourd’hui, les dispositifs nationaux peuvent couvrir une grosse partie des dépenses, jusqu’à 90 % des travaux de rénovation. Mais lorsqu’un ménage ne gagne que le SMIC et est bien en dessous du seuil de pauvreté, un reste à charge de 2 000, 3 000 voire 10 000 euros n’est pas gérable. Ces personnes sont souvent déjà endettées et ne peuvent pas contracter de nouveaux prêts. Autrement dit, les moyens pour couvrir cette dépense sont limités. »
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Grâce au programme SOS Taudis, la Fondation Abbé Pierre a pu ces dernières années soutenir près de 2 800 logements de propriétaires occupants en difficulté. La Fondation compte aussi dans ses programmes d’aides financières le projet Toits d’abord qui engage des fonds pour soutenir les habitations en réhabilitation.
« Cela permet de produire des logements sociaux performants pour que les personnes en situation financière difficile ne s’engouffrent pas dans la précarité énergétique », explique Hélène Denise. « À l’aide de ce programme, depuis 2012, plus de 7 900 logements ont été construits ou reconstruits, dont 5 000 réhabilités, avec en moyenne un gain énergétique de 65 % après les travaux », poursuit-elle.
LES GRANDS OUBLIÉS DE LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE
La précarité énergétique est un sujet complexe, difficile à mesurer et dont les causes sont nombreuses. À ce jour, certaines de ces causes restent encore peu traitées. L’adaptation des logements aux vagues de chaleur par exemple semble ne pas être prise en compte systématiquement dans le processus de réhabilitation. « Durant l’année passée, sur 200 000 maisons réhabilitées, seules 50 ont vu l’installation d’outils d’adaptation aux vagues de chaleur être financés », affirme Hélène Denise. « Il suffit pourtant de saisir l’opportunité de faire de simples ajouts durant la réhabilitation en utilisant par exemple un isolant adapté ou en installant des volets. Nous sommes en train de louper le coche » appuie-t-elle.
D’autres difficultés restent à surmonter comme la mobilisation des propriétaires bailleurs dans la rénovation énergétique de leurs biens immobiliers. La question de la ruralité et du manque d’accès aux services, équipements et informations sur le sujet, la question du réchauffement climatique qui doit être prévenu autant que faire se peut, et bien d’autres sujets doivent encore être abordés.
L’ONPE a choisi de se saisir de ces sujets à l’occasion de son colloque dont la dernière édition en date a eu lieu les 4 et 5 décembre 2024 à Lyon. Cet événement réunissait de nombreux acteurs en capacité de conseiller ou de prendre des décisions politiques, pour leur permettre d’échanger sur la question de la précarité énergétique.
La journée contre la précarité énergétique est l’un des autres événements financés par l’ONPE et organisés par de nombreuses associations en France, dont la Fondation Abbé Pierre. Cette journée est l’occasion pour les associations de sensibiliser globalement sur le sujet.
Au-delà de ces événements, les associations continuent de faire appel à l’État pour soutenir la lutte contre la précarité énergétique. Dernièrement, la coupe budgétaire du budget MaPrimeRénov de plusieurs milliards d’euros a inquiété les associations. Le budget initialement prévu pour ce projet n’a pas été totalement exploité durant l’année passée, certainement en raison d'un manque de communication et d’une mise en place ralentie. Par conséquent, l’État aurait décidé de « réduire la voilure » et réallouer le reste non exploité à d’autres secteurs. Une décision qu’Hélène Denise juge peu ambitieuse. « Aujourd’hui, si le secteur ne se forme pas et ne se met pas à la hauteur des besoins, nous n’arriverons pas à atteindre nos objectifs », conclut-elle.
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